Evasion fiscale : les nouveaux Casques bleus du Maroc

Si le Royaume est connu pour son expertise dans les missions de maintien de la paix de l’ONU, il déploie aussi à bas bruit, des «Casques bleus» de son administration fiscale en exportant son savoir-faire afin de renforcer les capacités de pays africains à traquer le chalandage fiscal. Les techniques de contrôle des multinationales, l’analyse des prix de transfert et des accords préalables sur les prix de transfert (APP), sont des axes-clé du programme «Inspecteurs sans frontières». Et les résultats sont au rendez-vous : en 2024, les pays africains ont perçu 1,8 milliard de dollars de recettes additionnelles.
Sur le continent africain, les inspecteurs des impôts marocains ont en effet la réputation d’être sans équivalent pour démasquer les montages d’évitement de l’impôt dans les entreprises du secteur financier. Ils sont d’ailleurs intervenus au Sénégal pour accompagner l’administration fiscale à optimiser le contrôle des banques. L’autre chantier brûlant, et pas que dans les pays africains, est la lutte contre le chalandage fiscal. Très active au sein du réseau des administrations fiscales africaines (ATAF), la direction générale des Impôts (DGI) participe sans discontinu au programme «Inspecteurs sans frontières» depuis sept ans.
Cette diplomatie «fiscale» est moins connue, mais elle est très valorisante pour les cadres qui la déploient, confie une source à la DGI. Cette assistance technique vise à aider les pays à mobiliser les ressources de financement et à réduire les risques d’évasion fiscale de la part des firmes multinationales. Ainsi, grâce à ce programme, les pays africains ont encaissé 1,8 milliard de dollars de recettes additionnelles en 2024 et émis 4,3 milliards de dollars de redressements fiscaux.
L’assistance technique sur les prix de transfert, en général, et les vérifications fiscales internationales constituent le premier axe prioritaire. Cela inclut un appui technique à la négociation d’accords préalables en matière de prix de transfert (APP), une assistance sur les dossiers soumis à la procédure amiable et une expertise sectorielle dans le domaine des vérifications.
Le deuxième axe récurrent concerne les programmes d’enquêtes en matière de délinquance fiscale.Cette mobilisation internationale part du constat qu’une expertise sectorielle s’impose pour améliorer les compétences des inspecteurs des impôts en matière de vérification de prix de transfert. Dans bien des pays africains par exemple, une partie des revenus dégagés par le développement spectaculaire des télécoms et des services financiers échappe encore à l’impôt.
Par ailleurs, les multinationales minières opérant dans cette région titillent constamment les lignes rouges avec des montages fiscaux très agressifs.
La chasse au chalandage fiscal s’est intensifiée
Le Maroc a accumulé une longue expérience dans la lutte contre le chalandage fiscal, ce montage couramment prescrit aux investisseurs étrangers par les cabinets-conseil. Pour neutraliser la taxation de certaines catégories de revenus visés dans les conventions de non double imposition, la manœuvre consiste à se mettre sous le parapluie de la convention la plus avantageuse liant le Maroc à un État tiers en y logeant le véhicule qui porte son investissement dans le Royaume.
Concrètement, c’est de ce pays dont partent les transferts en devises pour financer l’investissement dans le Royaume. Il n’a souvent rien à voir avec le pays de la nationalité de l’investisseur. Ce phénomène qui avait connu une accélération au plus fort de l’explosion de l’immobilier et du boom de l’investissement dans l’hôtellerie et les maisons d’hôtes, serait à nouveau de retour. Il est en effet porté par le dynamisme des IDE, mais la nouveauté est l’entrée en lice de quelques investisseurs (marocains) dont beaucoup se sont jetés sur la dernière amnistie des avoirs non déclarés détenus à l’extérieur.
Dans leur ingénierie, les conseils sont toujours plus inventifs malgré les obstacles dressés sur leur route. Ils assurent, à juste titre, «qu’il n’y a rien d’illégal et qu’il s’agit d’une technique d’optimisation» quitte à frôler la ligne rouge. Ce n’est pas du tout l’exégèse de l’administration fiscale. Ses inspecteurs décortiquent la provenance de virements des fonds des investissements directs étrangers vers le Maroc.
Au milieu des années 2000, la DGI avait relevé une étrange concentration de la Suède, dont la convention de non double imposition avec le Maroc prévoyait une exemption totale des dividendes. Pour préserver les intérêts du Trésor, le gouvernement avait dénoncé cette convention. Et c’est à la suite de cet épisode que fut amendée toute la doctrine conventionnelle du Royaume.
Par ailleurs, des origines comme Maurice ou Dubaï, connues pour leur «clémence» en matière fiscale, sont particulièrement surveillées. C’est ainsi que les domiciliations à Dubaï, nouvelle trouvaille des conseils aux investisseurs, éveillent souvent des soupçons au fisc.
Mise en conformité accélérée de toutes les conventions avec le «BEPS»
L’équipe de la direction générale des Impôts, qui négocie les aspects techniques de conventions, est très vigilante. Tout le portefeuille des accords de non double imposition doit être conforme aux prescriptions du BEPS, la convention internationale de lutte contre l’érosion de la base imposable, portée par l’OCDE et le G20.
Ces traités sont déclinés de telle sorte que les failles éventuelles soient minimisées au maximum. Le processus d’ajustement et mis à jour est en cours d’achèvement à la DGI, mais la difficulté c’est que tous les partenaires, avec lesquels le Maroc est lié par une convention de non-double imposition, ne vont pas à la même vitesse.
Abashi Shamamba / Les Inspirations ÉCO