Opinions

Autonomie des universités marocaines : une réforme ambitieuse à concrétiser

Par Pr. Radouane Mrabet et
Ancien président de l’Université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès et de l’Université Mohammed V Souissi de Rabat.

Pr. Brahim Akdim
Professeur à l’UPF, ancien vice-président et professeur honoraire de l’Université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès

L’autonomie universitaire constitue l’un des piliers fondamentaux des réformes de l’enseignement supérieur à l’échelle mondiale. Elle véhicule des valeurs de modernisation, d’agilité institutionnelle et de performance. Au Maroc, la loi n° 01-00, promulguée en 2000, a amorcé une timide transition vers l’autonomie des universités publiques. Toutefois, un écart persiste entre les intentions affichées et la réalité du terrain. Aujourd’hui, un consensus émerge : il devient urgent de changer de paradigme, en adoptant une autonomie à la fois plus large et davantage responsabilisante.

Un cadre juridique qui balbutie
La loi n° 01-00 a posé les premières bases de l’autonomie des universités publiques marocaines. Celles-ci disposent d’une certaine marge de manœuvre aux plans pédagogique, administratif et financier. Elles peuvent proposer des filières de formation, créer ades partenariats et élaborer leur budget. Toutefois, cette autonomie demeure étroitement encadrée par l’État, qui conserve un pouvoir décisif sur les nominations, l’accréditation des filières ou encore le contrôle budgétaire. Ainsi, le Conseil de l’Université peut théoriquement répartir les crédits, mais il reste soumis à des autorisations et à des procédures parfois lourdes et bureaucratiques, qui ralentissent la prise de décision. Des lourdeurs et entraves peuvent également émerger de son propre mode de fonctionnement. La présence de la Commission nationale de coordination de l’enseignement supérieur (CNCES) traduit cette volonté de l’État de conserver un pouvoir de régulation, au détriment d’une autonomie véritable.

Des intentions politiques réitérées, mais des résultats en demi-teinte
Au fil des ans, plusieurs plans et stratégies ont affiché la volonté de renforcer l’autonomie des universités, notamment à travers la vision stratégique 2015-2030. Tous convergent vers une même ambition : rendre les universités plus efficaces, mieux gouvernées et solidement ancrées dans leurs territoires. Pourtant, ces initiatives peinent à produire un changement significatif. Ce retard s’explique par l’absence de traduction concrète des engagements politiques en mécanismes opérationnels. Par exemple, la contractualisation entre l’État et les universités, qui permettrait de lier financements et résultats, demeure à un stade embryonnaire. Ce mode de gouvernance fondé sur la performance constitue pourtant un levier essentiel pour garantir autonomie et redevabilité.

Le nœud gordien de la question de l’autonomie reste le financement
Aujourd’hui, entre 70 % et 95 % du budget des universités provient de l’État. Cette dépendance limite fortement leur marge de manœuvre. Les ressources propres issues de contrats de recherche, de partenariats ou de prestations de services demeurent marginales.

À cela s’ajoute une gestion lourde et centralisée : de nombreuses démarches nécessitent l’aval du ministère des Finances. Résultat : les universités marocaines restent prisonnières d’une logique verticale, qui entrave leur créativité et leur capacité d’adaptation aux mutations de leur environnement. Les conseils universitaires, censés être des organes de gouvernance démocratique, sont eux aussi freinés par une polarisation politico-syndicale, des structures rigides et un manque d’autonomie dans la prise de décision. Par ailleurs, le poids de certaines contraintes extérieures compromet souvent leur efficacité.

S’inspirer de l’international pour progresser
L’étude des expériences internationales, en particulier celles des pays en développement dont les contextes sont comparables à celui du Maroc, peut offrir des éclairages précieux sur la mise en œuvre réussie de l’autonomie universitaire. Le Vietnam et l’Indonésie constituent des exemples pertinents de pays ayant engagé des réformes visant à renforcer l’autonomie de leurs universités publiques.

Ces modèles mettent en évidence différentes dimensions de l’autonomie : académique (conception des programmes, méthodes d’enseignement), financière (allocation des ressources, génération de revenus), administrative (gestion du personnel, organisation interne) et de gouvernance (composition et pouvoirs des instances dirigeantes).

L’expérience d’autres pays en développement montre que la réussite de l’autonomie universitaire repose souvent sur une démarche progressive, par étapes, assortie de mécanismes solides de redevabilité et soutenue par un environnement politique favorable. Le Vietnam, par exemple, s’est engagé dans un processus d’autonomisation progressive de ses universités, en s’inspirant d’expériences internationales.

Des prérequis fondamentaux de l’autonomie universitaire espérée
Plusieurs facteurs clés semblent avoir contribué au succès des modèles d’autonomie évoqués. La qualité, dans toutes ses dimensions, figure au premier rang de ces prérequis. La corrélation entre réussite et qualité totale est manifeste : elle influence les résultats obtenus dans l’ensemble des domaines — gouvernance, offre et qualité pédagogiques, recherche scientifique, ouverture à l’international, etc.

La mise en œuvre d’une démarche de management de la qualité est, quant à elle, conditionnée par une clarification juridique des statuts et des structures de gouvernance, une taille gérable des établissements, une liberté académique et scientifique propice à l’innovation, une gestion efficace et formalisée, des compétences managériales solides, un leadership à tous les niveaux, un financement adéquat et diversifié, ainsi qu’une culture d’évaluation, de redevabilité et de transparence.

Pour un modèle marocain : l’autonomie responsabilisante
Le Maroc gagnerait, dans un premier temps, à adopter un modèle hybride : une autonomie responsabilisante. L’idée est simple : conférer davantage de libertés aux universités, à condition qu’elles mettent en place une démarche de management de la qualité leur permettant de s’engager sur des résultats mesurables et de répondre aux besoins nationaux et régionaux.

Cela implique l’instauration d’indicateurs de performance dans des domaines tels que la qualité de l’enseignement, la recherche, l’insertion professionnelle, l’impact local ou la gouvernance, ainsi que la mise en place de mécanismes d’évaluation des résultats et de redevabilité. Une telle approche exige également un renforcement des structures internes de gouvernance.

Il convient d’impliquer davantage, mais de manière encadrée, les enseignants, les personnels administratifs et les étudiants dans les processus décisionnels, et de créer des mécanismes de surveillance externe associant les représentants de l’État, du monde économique et de la société civile.

Une réforme à mener progressivement
Nous préconisons une mise en œuvre par étapes. La première phase consisterait à évaluer les capacités actuelles des universités, à améliorer leur cadre juridique et à former leurs dirigeants. Un groupe pilote d’universités parmi les mieux préparées pourrait bénéficier d’une autonomie élargie dans certains domaines (budget, ressources humaines, création de filières).

La deuxième phase viserait à étendre progressivement cette autonomie à d’autres universités, en fonction de leurs performances. Un suivi rigoureux et une évaluation continue permettraient d’ajuster le modèle au fil du temps.

La dernière étape consisterait à généraliser le système et à en garantir la durabilité grâce à un financement pérenne et à des politiques incitatives.

Des bénéfices attendus pour l’ensemble du pays
Les retombées d’une autonomie responsabilisante seraient nombreuses : dynamisation de l’offre de formation, rapprochement avec le tissu économique régional, renforcement de la recherche appliquée, meilleure insertion professionnelle des diplômés et rayonnement international accru. Des universités plus autonomes seraient également mieux à même de jouer leur rôle de locomotive du développement territorial, en lien avec les priorités de chaque région, voire de chaque province. Il s’agit là d’une condition indispensable à la réussite de la régionalisation avancée du Royaume.

Conclusion : l’autonomie de l’université, une urgence stratégique
L’autonomie des universités marocaines n’est plus une option, mais une nécessité stratégique. Pour relever les défis du XXIe siècle — massification de l’enseignement, exigence de qualité, transition numérique, employabilité —, le système d’enseignement supérieur doit gagner en agilité, en responsabilité et en ouverture. Cela suppose un changement de posture de la part de l’État : passer du contrôle à la contractualisation.

Cela implique également une transformation interne des universités : renforcer leurs capacités de gestion, promouvoir la transparence et mobiliser l’ensemble des parties prenantes. L’autonomie ne signifie pas désengagement. Elle incarne une responsabilité partagée, au service de l’intérêt général. Si le Maroc parvient à franchir ce cap, ses universités deviendront des moteurs puissants de développement et d’innovation.



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