Maroc

Multinationales : les accords préalables, nouvelle vigie du Trésor sur les prix de transfert

Les accords préalables sur les prix de transfert, (APP) adossés à la base des données Moody’s, permettent aujourd’hui au fisc d’apporter plus de sécurité aux multinationales et aux investisseurs. A fin 2024, une soixantaine de ces rescrits fiscaux (64 plus précisément) ont été instruits par la Direction générale des impôts (DGI). Au-delà, l’enjeu est de sécuriser l’assiette imposable au moment où la pression sur les objectifs de recettes n’a jamais été si élevée.

Les facturations des biens corporels et incorporels entre les filiales de multinationales (un raccourci pour désigner les filiales de groupes internationaux basées au Maroc) et leur maison mère, ou entre les sociétés-soeurs, constituent la principale cible des inspecteurs des impôts au cours d’un contrôle.

Les fantassins du fisc rentrent rarement bredouille de leur «chasse» car l’examen des prix de transfert génère souvent des redressements d’assiette spectaculaires. En moyenne, les montants réclamés par l’administration fiscale sont rarement en dessous de 100 millions de dirhams. Des rappels d’impôt que contestent les «multinationales» et qui finissent presque toujours par un accord à l’amiable en échange d’une (grosse) remise sur le montant.

Fini par ailleurs le cauchemar logé dans l’article 213 du Code général des impôts (CGI) et les fameux «comparables secrets» dont se prévalent jadis les inspecteurs pour rejeter en bloc les modalités des prix de transfert. Le guide élaboré par la Direction générale des impôts (DGI) à l’intention de ses inspecteurs et, surtout, la base des données «Prix de transfert» Moody’s, permettent aujourd’hui d’assoir le contrôle de ces grands comptes sur des bases moins contestables et de les sécuriser.

Des rescrits particulièrement complexes
La possibilité de conclure un Accord préalable sur les prix de transfert (APP) avec le fisc complète ce dispositif de sécurité juridique aux investisseurs et aux multinationales, insiste la DGI. Après un début laborieux, car «les entreprises ne souhaitaient pas se déshabiller», les demandes des APP affluent désormais au quartier général du fisc.

Elles sont passées de 10 en 2018, année de démarrage, à 64 demandes fin 2024. Un quart de ces demandes est déposé aux fins de renouvellement, «ce qui témoigne de la confiance des multinationales en l’investissement dans notre pays», analyse Younes Idrissi Kaitouni, directeur général des Impôts, qui rappelle que «le Maroc a été le premier pays en Afrique ayant signé des APP depuis 2020».

A fin 2024, le taux de clôture des accords préalables sur les prix de transfert, depuis la mise en place de ce mécanisme, est de 50% dont la moitié représente des APP en portefeuille.

Selon une étude de l’OCDE basée sur 4.000 accords préalables, il faut compter en moyenne 6,8 mois pour conclure. En effet, ces rescrits sur les prix de transfert sont particulièrement complexes, notamment lorsqu’il s’agit des accords bilatéraux ou multilatéraux à négocier entre plusieurs pays. Ils exigent une expertise pointue pour décrypter une documentation très étoffée. Cette expertise et ce savoir-faire sont, en général, peu répandus, en particulier dans les pays en développement.

La maîtrise technique des prix de transfert est une arme de pointe pour la DGI dans lutte contre l’évasion fiscale au moment où la pression des objectifs de recettes n’a jamais été aussi forte. Au cœur des investigations, se trouve le principe dit de «pleine concurrence».

Les inspecteurs des impôts s’assurent si l’entreprise visée applique avec loyauté le principe de pleine concurrence dans les échanges des biens et services, et financiers (prêts, avances en compte courant, etc) avec la maison-mère et les entreprises sœurs appartenant au même groupe.

Ce principe adopte la démarche consistant à traiter les membres d’un groupe multinational comme des entités distinctes et non comme des sous-ensembles indissociables d’une seule entreprise unifiée. Il s’agit de mettre l’accent sur la nature des transactions entre les membres du groupe et sur le fait de savoir si elles diffèrent de celles qui seraient obtenues pour des transactions comparables sur le marché libre.

Dans sa traque, le fisc peut s’appuyer également sur le renfort de l’Office des changes dont les inspecteurs scrutent particulièrement les prix de transfert pratiqués par les multinationales.

L’Office des changes en embuscade
Il arrive que les montants rejetés par l’Office des changes, au titre de règlements en devises, se transforment en rappels d’impôts. Dans ce cas-là, c’est la double peine. Le principe de libre concurrence s’appuie sur le doute cartésien. Que dit-il ? Lorsque des entreprises associées procèdent à des transactions entre elles, leurs relations ne subissent pas forcément de la même manière l’influence directe des mécanismes du marché.

Les administrations ne doivent pas présumer systématiquement que des entreprises associées essaient de se livrer à des manipulations concernant leurs bénéfices, mettent en garde des fiscalistes. Il peut être réellement difficile de déterminer un prix sur le marché libre alors que les mécanismes du marché n’entrent pas en jeu ou qu’il s’agit d’adopter une stratégie commerciale particulière.

Il importe de garder à l’esprit que la nécessité d’opérer des ajustements pour se rapprocher des conditions de pleine concurrence s’impose, quelles que soient les obligations contractuelles par lesquelles les parties se seraient engagées à payer un prix déterminé et qu’il y ait ou non intention délibérée de minimiser l’impôt.

En effet, un ajustement fiscal au titre du principe de pleine concurrence ne porte pas atteinte aux obligations contractuelles qui lient les entreprises associées sur tous les plans autres que fiscal et peut se justifier même s’il n’y a pas intention de réduire ou d’éluder l’impôt. Il ne faut pas confondre la vérification d’un prix de transfert avec les vérifications portant sur des cas de fraude ou d’évasion fiscale, même s’il arrive que les politiques suivies en matière de prix de transfert poursuivent de tels objectifs. Hormis les considérations fiscales, d’autres facteurs sont susceptibles de fausser les conditions dans lesquelles s’établissent les relations entre entreprises associées.

A titre d’exemple, ces entreprises peuvent être soumises de la part des pouvoirs publics (en interne ou à l’extérieur) à des pressions contradictoires liées à la valeur en douane, à des droits antidumping, à un contrôle de changes ou à un contrôle des prix.

En outre, certaines distorsions au niveau des prix de transfert peuvent être dues aux contraintes de trésorerie des entreprises d’un groupe multinational. Une multinationale, dont le capital est largement diffusé dans le public, peut subir des pressions de la part de ses actionnaires pour qu’elle fasse apparaître une rentabilité élevée au niveau de la société mère, notamment si les comptes présentés aux actionnaires ne sont pas consolidés.

Tous ces facteurs peuvent avoir des répercussions sur les prix de transfert et sur le montant des bénéfices des entreprises associées d’un groupe multinational.

Abashi Shamamba / Les Inspirations ÉCO



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