Industrie de la chaussure : la longue marche vers la reconquête

L’industrie marocaine de la chaussure, autrefois symbole de dynamisme et de savoir-faire, traverse une crise profonde. La concurrence étrangère agressive, corrélée aux disparités douanières, désavantagent le «made in Morocco». Une protection s’impose de facto pour que l’industrie gagne en compétitivité. Un autre enjeu majeur réside au niveau de la structuration de la chaîne de valeur.
Jadis fleuron de l’économie nationale, l’industrie de la chaussure, qui brillait par son dynamisme aussi bien au niveau national qu’international, connaît actuellement des turbulences. Preuve en est, selon les statistiques de l’Office des changes, que les exportations s’inscrivent en recul mois après mois, même si elles se sont légèrement redressées en ce début d’année, avec une évolution de 5% par rapport à la même période un an auparavant. Un essoufflement qui reflète la morosité d’un secteur en quête de compétitivité.
Disparités douanières
Confronté à une forte concurrence et à une montée en puissance des importations, le secteur peine à maintenir son dynamisme d’antan. Au grand dam des industriels, qui dénoncent la présence en masse de certains produits qui inondent le marché marocain.
«En dehors des accords de libre-échange avec des pays comme l’Égypte et la Turquie, les droits de douane appliqués restent disparates, ce qui défavorise le produit local. Face à cette situation, il s’avère crucial de protéger le made in Morocco. Nous avons mené plusieurs tentatives avec le ministère de tutelle pour le sensibiliser à cette donne. Une commission devrait être créée pour étudier la situation. Mais pour l’heure, c’est toujours le statu quo», s’indigne Hamid Ben Rhrido, vice-président de la FEDIC (Fédération des industries du cuir) et président du CMTC (Centre marocain des techniques de cuir).
En effet, il se trouve que, pour une catégorie comme les chaussures de sport, les droits de douane sont de 2,5% seulement. Pour les autres types de chaussures, ils sont de 30%. Les professionnels du secteur revendiquent, dans un premier temps, qu’il n’y ait pas de disparités dans la nomenclature.
Selon l’industriel, cette protection permettrait au moins d’atténuer l’impact de la concurrence des produits en provenance principalement d’Égypte et de Turquie. Pour le premier pays, le coût de la main-d’œuvre comparé à celui du Maroc demeure dérisoire (100 dollars par mois). Quant au deuxième, la profusion de matières premières influe sur les prix. Et puisque les droits de douane ne sont pas élevés, les prix de vente défient toute concurrence.
Défis structurels persistants
Au-delà de la concurrence, là où le bât blesse, c’est au niveau des défis structurels qui persistent, notamment pour ce qui est du traitement du cuir.
«Dans beaucoup d’industries, l’amont impacte la compétitivité. Au niveau des structures d’abattage, les conditions de préservation de la peau ne sont pas toujours respectées. Des normes strictes devraient être mises en place pour que la peau puisse être réutilisée dans l’industrie. On constate donc un gaspillage, car la moindre perforation rend la peau inutilisable», précise Ben Rhrido.
En dehors de l’abattage, les conditions de stockage interviennent également dans la bonne conservation de la peau, d’où la nécessité de disposer d’entrepôts et d’unités de transport bien équipés. Les professionnels du secteur suggèrent aussi le lancement d’abattoirs mobiles, à l’instar d’autres pays.
«En fait, c’est toute la chaîne de valeur qu’il faudra structurer davantage. Les tanneries doivent impérativement être certifiées Leather working group pour répondre aux normes environnementales. Concernant le volet industriel, là encore, on reste à la traîne en termes d’équipements au niveau des zones industrielles. Celles-ci devraient contenir une station d’épuration du chrome, alors que des pays comme l’Égypte, qui ne témoignent pas d’une aussi longue expérience dans l’industrie, se sont adaptés à ces exigences.
Dans d’autres pays, ce sont des subventions et des primes à l’export qui sont accordées aux industriels pour stimuler le tissu économique», regrette l’industriel.
Toutefois, le secteur ne manque pas d’atouts pour redresser la barre. Les compétences et le savoir-faire demeurent des avantages à haute valeur ajoutée pour produire à moindre coût et avec une qualité irréprochable. Il suffit d’accélérer la cadence, surtout que le pays compte à son actif, dans la chaussure, des clients internationaux de référence et de grande renommée.
L’espoir commence à renaître avec la mise en place du pôle industriel Aïn Cheggag dans la région de Fès, fief de l’industrie du cuir. Mais le chemin reste long pour un redressement durable du secteur.
Karim Hamid Ben Rhridodane
Vice-président de la FEDIC et président du CMTC
«Dans beaucoup d’industries, l’amont impacte la compétitivité. Au niveau des structures d’abattage, les conditions de préservation de la peau ne sont pas toujours respectées. Des normes strictes devraient être mises en place pour que la peau puisse être réutilisée dans l’industrie.
Cependant, on constate un gaspillage, car la moindre perforation rend la peau inutilisable. En fait, c’est toute la chaîne de valeur qu’il faudra structurer davantage.»
Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO