Maroc

Modernisation de la DGI : le fisc entre dans l’ère du flicage high-tech

En modernisant son administration fiscale via la data et l’IA, le Maroc concilie rigueur et équité, tout en s’alignant sur les standards internationaux. Une refonte qui transforme la relation entre l’État et les contribuables.

Facturation électronique, rescrit fiscal, droit à l’erreur… La DGI accélère sa digitalisation pour optimiser contrôles et recettes, avec des résultats tangibles. Lors d’une récente sortie publique, Younes Idrissi Kaitouni, directeur général des Impôts (DGI), a détaillé les axes structurants de la modernisation de l’administration fiscale marocaine. Une transformation multidimensionnelle s’appuyant sur le renforcement des ressources humaines, l’accélération technologique et l’innovation procédurale. Une refonte qui vise à concilier efficacité économique, équité fiscale et transparence, dans un contexte mondial marqué par la digitalisation et l’exigence de compétitivité.

Renforcement des ressources humaines : vers une administration fiscale data-driven
La DGI a engagé une transformation profonde de son capital humain, combinant recrutement massif et montée en compétences technologiques.

Avec «plus de 25% de ressources humaines supplémentaires acquises en 2-3 ans, et un effectif global en hausse d’un tiers en 2024», selon Kaitouni, l’administration anticipe les défis d’un environnement fiscal complexe et digitalisé.

Cette croissance quantitative s’accompagne d’une requalification stratégique des profils : aux côtés des juristes et fiscalistes historiques, des data scientists sont désormais déployés dans tous les services, capables de décrypter des millions de données pour identifier les risques (flux financiers anormaux, écarts de déclaration). Les équipes de la DGI ne se contentent plus d’appliquer le droit fiscal, elles modélisent des scénarios, préviennent les contournements et optimisent l’allocation des contrôles.

Pour y parvenir, les nouvelles recrues – issues d’écoles d’ingénieurs, d’informatique ou de mathématiques appliquées – suivent des formations hybrides associant droit fiscal, maîtrise d’outils d’IA (machine learning, traitements pointus) et gestion de projets data-centric. Une dualité compétentielle qui permet à la DGI de passer d’une logique réactive (correction a posteriori) à une approche prédictive, où l’analyse de motifs (patterns) et la détection d’anomalies en temps réel deviennent la norme.

Facturation électronique
La facturation électronique, projet actuellement en phase de développement, représente une avancée majeure dans l’arsenal antifraude de la DGI. Ce dispositif permettra une traçabilité intégrale des transactions économiques, depuis l’émission de la facture jusqu’à son traitement par l’administration. Concrètement, les entreprises transmettront en temps réel leurs données financières via une plateforme centralisée, ce qui offre à la DGI une visibilité immédiate sur les flux économiques.

«Grâce à ce système, nous partagerons avec les entreprises les éléments que nous détenons sur leurs activités avant même qu’elles ne déposent leur déclaration», précise Kaitouni.

Cette interconnexion automatisée éliminera les risques de manipulation ou d’omission, en alignant les déclarations des contribuables avec les données vérifiables (ventes, achats, TVA). En outre, le recours à l’intelligence artificielle permettra de détecter les anomalies (écarts de prix, surfacturations) et les chaînes de sous-traitance informelle.

À terme, cette digitalisation renforcera l’assiette fiscale en intégrant des secteurs opaques, tout en simplifiant les démarches pour les entreprises vertueuses, qui bénéficieront d’un préremplissage accru de leurs déclarations et d’un risque de contrôle réduit. Un cercle vertueux où transparence rime avec efficacité.

L’ambition fintech de la DGI
La DGI revendique aujourd’hui le statut de «première fintech publique marocaine», matérialisé par un portefeuille de 70 projets technologiques sur cinq ans, visant à moderniser l’écosystème fiscal.

Au cœur de cette mutation, un système d’information repensé agrège désormais des masses de données hétérogènes : déclarations fiscales, flux bancaires (via des partenariats sécurisés avec Bank Al-Maghrib et les établissements financiers), données sectorielles (énergie, BTP, commerce) et même des informations issues de plateformes digitales.

«L’interconnexion de ces sources permet une cartographie dynamique du risque fiscal, bien au-delà des simples contrôles aléatoires», explique Kaitouni.

Pour renforcer cette approche data-driven, la DGI a intégré une base de données internationale sur les prix de transfert, outil neutre et transparent permettant aux entreprises comme à l’administration de s’aligner sur les fourchettes de marges sectorielles observées à l’échelle mondiale.

«Fini les arbitrages subjectifs : nous utilisons désormais des référentiels objectifs, conformes aux standards OCDE, pour éviter les litiges», souligne le DG. Cette infrastructure technologique, combinant big data analytics et benchmarking global, permet non seulement de détecter les incohérences (écarts de TVA, surfacturations) mais aussi d’anticiper les stratégies d’optimisation agressive.

En parallèle, des algorithmes d’apprentissage automatique (machine learning) priorisent les contrôles sur les dossiers à haut risque, libérant ainsi des ressources pour l’accompagnement des PME. Une double performance : rationaliser l’action publique tout en garantissant un traitement équitable entre contribuables.

Vers une fiscalité transparente et alignée sur les standards mondiaux
Comme relever plus haut, l’on peut constater que la DGI a rompu avec les méthodes d’évaluation historiques, souvent critiquées pour leur subjectivité, en adoptant des référentiels externes standardisés, à l’image de la base de données internationale sur les prix de transfert.

Cette initiative, conforme aux directives de l’OCDE, permet d’objectiver l’analyse des transactions transfrontalières des multinationales, en comparant leurs marges à celles observées dans des secteurs et zones géographiques similaires. L’ère des négociations opaques est révolue : la DGI utilise désormais des outils neutres, accessibles à tous, pour fixer des fourchettes de prix équitables entre filiales.

En s’appuyant sur ces données externes – actualisées en temps réel et intégrant des millions de transactions globales –, la DGI évite les suspicions de partialité tout en décourageant les pratiques de sous-facturation ou de surfacturation abusive. Une démarche qui renforce la crédibilité des contrôles auprès des investisseurs étrangers, rassurés par un alignement sur des normes reconnues (rapports BEPS, normes IFRS), tout en réduisant les contentieux coûteux et chronophages.

Pour les entreprises, cette transparence offre une prévisibilité accrue : elles peuvent anticiper les attentes de l’administration et ajuster leurs stratégies en amont. Une avancée qui positionne le Maroc comme un pionnier régional en matière de lutte contre l’évasion fiscale sophistiquée, tout en sécurisant les recettes de l’État dans un contexte d’économie globalisée. «L’objectivité des données internationales désamorce les conflits. Parler désormais le même langage que les contribuables souligne ainsi le passage d’un rapport de force à un dialogue fondé sur des preuves partagées.

Rescrit, droit à l’erreur et contrôle accéléré : zoom sur trois outils innovants
Ces mécanismes, destinés à sécuriser les investissements, permettent aux entreprises d’obtenir un avis contraignant de la DGI sur des opérations complexes (fusion, prix de transfert). Un patron peut ainsi interroger directement l’administration sur les risques fiscaux de son projet – ce qui en soi est une révolution culturelle.

En 2024, plus de 1.500 demandes de rescrit ont été traitées, contre une centaine anticipée initialement. Introduit en 2023, le dispositif du droit à l’erreur autorise les contribuables à régulariser leurs déclarations sans pénalités, sous réserve de bonne foi. L’objectif n’étant pas de punir, mais de corriger. Ainsi, «les entreprises ne paient que les intérêts de retard, pas les majorations», explique Kaitouni.

Une avancée majeure pour désamorcer la défiance historique entre secteur privé et administration. Troisième outil innovant : le contrôle sur pièces accéléré. Grâce à l’automatisation, les vérifications prennent désormais «48 heures contre plusieurs semaines auparavant». Les contribuables coopératifs reçoivent une attestation de non-redéploiement en temps record, limitant l’insécurité juridique.

Les défis d’une modernisation inclusive
La modernisation de la DGI incarne une recherche d’équilibre entre contrôle rigoureux et accompagnement des contribuables, rompant avec l’image d’un «Big Brother fiscal». En hybridant outils coercitifs (facturation électronique, croisement automatisé des données bancaires) et dispositifs collaboratifs (droit à l’erreur, rescrit préalable), l’administration cultive une relation de confiance mutuelle : les entreprises vertueuses bénéficient de procédures accélérées et d’une sécurité juridique renforcée, tandis que les fraudeurs structurels font face à une traçabilité rendant leurs manipulations statistiquement improbables.

Cette dualité exige toutefois une montée en compétences permanente des agents, confrontés à des outils technologiques évolutifs (blockchain, IA). Pour y répondre, la DGI a noué des partenariats avec des écoles d’ingénieurs (EMI, INPT) et des organismes internationaux (FMI via le programme TADAT), instaurant des cycles de certification continue alignés sur les meilleures pratiques mondiales.

Cette dynamique de formation – couplée à l’adoption de standards OCDE en matière de prix de transfert et de reporting – renforce la crédibilité internationale du Maroc, attirant les PME exportatrices et les sièges régionaux de multinationales soucieuses de stabilité réglementaire.

Ainsi, la DGI se mue en architecte d’un écosystème où transparence rime avec performance économique – prouvant qu’une administration innovante peut simultanément optimiser les recettes, stimuler l’investissement et restaurer le contrat social.

Une transformation systémique à consolider

La refonte de l’administration fiscale marocaine matérialise une mutation profonde, à la fois technologique, managériale et culturelle, qui redéfinit les rapports entre l’État et les contribuables.

Si cette triple transition génère des défis structurels – comme l’intégration de compétences pointues ou la gestion des résistances internes à un modèle moins hiérarchisé –, ses premiers impacts tangibles légitiment la démarche : une hausse de 16,1% des recettes en 2024, malgré la baisse des taux d’IS et de TVA, démontre que l’élargissement de l’assiette via la transparence peut compenser les baisses de taux.

Pour pérenniser ces résultats, la DGI doit désormais ancrer cette dynamique dans un dialogue renforcé avec le secteur privé, comme l’on pourrait le souligner, les outils de collaboration existent – rescrit, droit à l’erreur, référentiels partagés –, mais la confiance se nourrit aussi d’une co-construction des règles du jeu.

L’enjeu dépasse donc la seule modernisation administrative : il s’agit de faire de la fiscalité un levier de compétitivité collective, où chaque dirham collecté finance non seulement les services publics, mais aussi l’écosystème économique qui le génère. Une équation où transparence rime avec prospérité partagée.

Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO



Marché de l’emploi : 10 commandements pour relancer l’économie


Recevez les actualités économiques récentes sur votre WhatsApp Suivez les dernières actualités de LESECO.ma sur Google Actualités

Rejoignez LesEco.ma et recevez nos newsletters




Bouton retour en haut de la page