Arbitrage : “Les grands dossiers font la réputation d’un centre”
Pr. Azzedine Kettani
Fondateur de Kettani Law Firm
Si une législation « à la page » et l’accueil favorable des sentences internationales par les tribunaux marocains sont nécessaires, il en faut un peu plus pour que le Centre d’arbitrage de Casablanca rivalise avec les grandes places de règlement des litiges opposant les investisseurs à leurs partenaires. Dans cet entretien exclusif, le Pr Azzedine Kettani, fondateur du cabinet d’affaires Kettani Law Firm, décrypte les ressorts qui président au choix des investisseurs. Ce praticien chevronné du droit des affaires révèle qu’il est de plus en plus courant que même dans des partenariats «maroco-marocains», les parties optent pour Paris ou Genève comme lieu d’arbitrage d’un éventuel litige.
Qu’il s’agisse de Londres, Paris, New York ou Madrid, quels sont les atouts dont peut se prévaloir Casablanca face à la concurrence de ces grands et vieux centres d’arbitrage à la réputation mondiale ?
Les atouts de Casablanca ne sont pas vraiment supérieurs à ceux des grands et vieux centres. Si on parle d’accessibilité en raison du grand nombre de vols quotidiens entre l’Europe, les États-Unis, l’Afrique et le Royaume-Uni, voire les pays d’Asie et du Moyen-Orient, les autres centres sont également très accessibles.
Mais on peut avancer les coûts qui sont déterminants malgré tout et qui peuvent être nettement inférieurs à ceux des centres des autres pays à infrastructure égale. Pour les litiges entre investisseurs étrangers et pays africains ou entités de ces pays, Casablanca prévaut sans doute sur les sites concurrents africains. Ce sont les grosses affaires qui font la réputation d’un centre d’arbitrage.
Sur quels critères, les investisseurs qui vous consultent, fondent-ils le choix du lieu ou du centre d’arbitrage ?
Les critères qui déterminent le choix du lieu d’arbitrage sont le degré de visibilité du droit local et de l’accueil qu’il fait à l’arbitrage, le degré de confiance qu’il peut lui accorder ainsi qu’à ses juridictions. Il ne faut pas perdre de vue que, quelle que soit la nature de l’arbitrage (national ou international, ad hoc ou institutionnel), il ne peut faire l’économie du recours aux juges de l’ordre judiciaire soit avant ou pendant la procédure arbitrale, soit à l’issue de celle-ci pour l’exequatur de la sentence.
Pour un investisseur, il est crucial qu’en choisissant le siège de l‘arbitrage, il soit rassuré sur la fiabilité du système judiciaire. Viennent ensuite les infrastructures disponibles. Or les affaires d’arbitrage international portent sur des sommes souvent faramineuses et opposent ou impliquent plusieurs parties et une pléthore d’avocats. D’où, pour ces cas, la nécessité de disposer de centres et de locaux de nature à accueillir de telles affaires. Pour celles de moindre importance, le problème ne se pose pas réellement, mais ce sont les grosses affaires qui font la réputation d’un centre d’arbitrage.
Sur quels facteurs faut-il travailler pour faire progresser la place de Casablanca auprès des investisseurs ?
Pour les investisseurs marocains en affaires avec des entités marocaines, on peut penser que le problème ne se pose pas et que le choix de Casablanca s’impose naturellement. Or, c’est faux. On constate de plus en plus que dans des contrats «marocains» entre entités marocaines, les parties choisissent un autre forum que Casablanca ou une ville marocaine.
De plus en plus, dans les contrats d’une certaine importance, les parties si elles n’optent pas pour un droit étranger, parce qu’elles ne le peuvent pas sauf existence d’un élément d’extranéité, vont opter pour Paris ou Genève, ou une autre ville européenne. Il y a sans doute une part d’originalité dans cette approche, mais apparemment, c’est encore une fois pour échapper au tribunal marocain en cas d’incident de procédure devant être soumis au juge du siège de l’arbitrage. Cela me semble assez puéril, car en fin de compte, si la sentence doit être exécutée au Maroc, les parties se retrouveront face à un tribunal marocain.
Le facteur sur lequel il faut travailler est prioritairement le contenu du contrat et plus précisément la clause compromissoire. Il faut qu’en amont de celle-ci, il soit stipulé que le siège de l’arbitrage sera Casablanca en cas de litige. Lorsque les parties ont omis d’indiquer le lieu où se tiendrait l’arbitrage, ce sont les arbitres, en accord avec les parties (en général), qui en décident.
L’investisseur étranger est enclin généralement à opter pour une ville de son pays ou,en cas d’arbitrage institutionnel, la ville du siège de l’organisme d’arbitrage. Il faudrait travailler en amont lors de la conclusion du contrat pour convaincre l’investisseur que Casablanca est un forum tout à fait convenable.
Il faut garantir que le droit marocain est désormais à la page et n’a rien à envier aux autres législations, et que les tribunaux font l’accueil qui doit être fait aux sentences arbitrales internationales (malgré certains errements regrettables).
Il faudrait continuer à marteler que le Maroc a très tôt adhéré à la Convention de New York sur la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales internationales ainsi qu’à la Convention de Washington qui a été à l’origine du CIRDI, et que le Royaume compte plus de 70 traités internationaux bilatéraux en matière d’investissement.
De ce que vous relevez, avez-vous le sentiment que les investisseurs ont quelques appréhensions à désigner Casablanca comme siège d’arbitrage pour régler un litige ?
Comme indiqué ci-dessus, les investisseurs n’ont pas «d’appréhensions à désigner Casablanca en particulier». C’est avant tout à l’égard d’un site et d’un pays qui ne sont pas les leurs. D’ailleurs, même dans les appels d’offres internationaux, ils exigeront au mieux un pays neutre (qui n’est celui d’aucune partie) et au pire, un site de leur pays. Ceci est manifeste même dans les contacts commerciaux ordinaires comme ceux qui portent sur la distribution.
On constate par exemple que les groupes automobiles asiatiques, en contractant avec un distributeur marocain exigeront que les litiges soient soumis non seulement à leurs lois nationales, mais aussi aux organismes d’arbitrage de leur pays ou de leur continent tels que le CIETAC (le Centre d’arbitrage de Shanghai) ou celui de Singapour, le SIAC.
Ceci étant, les appréhensions des investisseurs (en amont lors de la conclusion du contrat) se retrouvent aussi en aval lorsque la clause compromissoire n’a pas prévu le lieu d’arbitrage et que les arbitres doivent le désigner.
Il ne faut pas compter sur les arbitres européens ou américains pour voir Casablanca choisie comme siège (neutre) dans un arbitrage ou aucune des parties n’est marocaine, et évidemment encore moins lorsque l’une d’elles l’est ou a un lien de rattachement avec le Maroc.
Abashi Shamamba / Les Inspirations ÉCO