Transmission des entreprises familiales : la tendance à la cession externe s’affirme de plus en plus
Selon une étude de BDO Maroc, plus de la moitié des cédants potentiels d’entreprises familiales au Maroc envisagent désormais une transmission à un repreneur externe, mettant la survie de leur entreprise au cœur de leurs priorités.
Assurer l’avenir de votre entreprise familiale passe parfois par des choix audacieux. Les dirigeants marocains sont-ils prêts à franchir le cap ? Au Maroc, la priorité des dirigeants d’entreprises familiales reste la transmission au sein du cercle familial.
Comme le souligne Zakaria Fahim, managing partner de BDO Maroc, «la priorité des priorités pour tout cédant est de dire : ‘Ma société, je vais la céder à ma famille’».
Cependant, une évolution se dessine, avec plus de la moitié des cédants potentiels qui envisagent désormais une cession externe, comprenons que «le plus important c’est la survie et la pérennité de l’entreprise». Ce constat d’une évolution des mentalités chez les cédants potentiels d’entreprises familiales au Maroc, avec une ouverture croissante à l’idée d’une cession externe, est en effet un point clé à approfondir. Traditionnellement, la transmission intrafamiliale était considérée comme la norme quasi-incontournable.
Le poids de l’attachement émotionnel à l’entreprise vue comme un patrimoine à léguer aux descendants primait. Mais les dirigeants prennent aujourd’hui davantage de recul et de hauteur de vue stratégique. Plusieurs facteurs expliquent cette prise de conscience que «le plus important est la survie et la pérennité de l’entreprise».
Tout d’abord, les défis auxquels sont confrontées les entreprises familiales à partir des 2e/3e générations, avec un élargissement du cercle décisionnel source potentielle de conflits et de blocages. Ensuite, les nouveaux enjeux de compétitivité, d’innovation et de transformation imposent parfois d’aller chercher des compétences managériales extérieures, que la famille ne possède pas en interne.
De plus, l’appétence pour l’entrepreneuriat des jeunes générations n’est plus aussi forte que par le passé, pouvant amener le cédant à se tourner vers des repreneurs extérieurs faute de relève familiale adéquate. Enfin, une cession externe bien négociée peut constituer une opportunité de capitalisation financière très intéressante pour le cédant.
Autant d’éléments qui conduisent une part croissante des dirigeants à envisager cette option extérieure, en privilégiant la pérennité de leur entreprise plutôt que la transmission à tout prix dans la famille. Cela ne signifie évidemment pas l’abandon du schéma intrafamilial, qui reste la voie privilégiée quand les conditions sont réunies. Mais cette nouvelle ouverture d’esprit démontre une prise de conscience des réalités économiques actuelles. L’objectif est de maximiser les chances de succès du processus de transmission, quel que soit le schéma retenu.
Des défis de taille
Si transmettre en interne permet de préserver l’héritage familial, cela comporte également des défis de taille. Le risque principal réside dans les conflits familiaux qui peuvent survenir lorsque le cercle s’élargit aux cousins à partir de la 2e ou 3e génération.
«Il est nécessaire de rappeler que l’entreprise familiale, c’est beaucoup de psychologie et très souvent le ‘Je t’aime, moi non plus’ est de mise quand la confiance et la bonne communication n’ont pas été cultivées», prévient l’étude de BDO Maroc.
Un autre écueil est la difficulté du dirigeant fondateur à lâcher les rênes et transmettre réellement les pouvoirs décisionnels. Le manque de formalisation des processus et la concentration du savoir-faire entre ses mains rendent cette transition complexe.
Les atouts d’une cession externe
Face à ces défis, une cession à un tiers extérieur peut s’avérer une solution intéressante pour assurer la pérennité de l’entreprise. Outre l’apport de nouvelles compétences managériales, cela permet une réelle séparation des sphères familiale et professionnelle.
«Ceux qui veulent céder à l’extérieur, près de 50%, sont essentiellement des cédants potentiels», indique Zakaria Fahim.
Ce choix peut être motivé par des problématiques sectorielles, l’opportunité d’une capitalisation avantageuse, ou encore des raisons personnelles comme la retraite. Pour réussir cette transmission externe, plusieurs critères clés doivent être pris en compte dans le choix du repreneur : son expérience, sa vision stratégique, sa capacité à financer la reprise mais aussi son adhésion aux valeurs de l’entreprise. Une étape de transition en douceur avec transfert progressif des pouvoirs opérationnels sera cruciale.
Mettre en place une gouvernance robuste
Que la transmission soit interne ou externe, l’instauration d’une gouvernance d’entreprise rigoureuse sera indispensable pour assurer la pérennité à long terme.
«Il est nécessaire de rappeler que l’entreprise familiale, c’est beaucoup de psychologie», rappelle l’éditorial du Baromètre.
Des dispositifs comme un code de gouvernance, une charte familiale et un conseil de famille permettront de clarifier les rôles et de prévenir les conflits. Dans le cas d’une reprise externe, ces outils de gouvernance sont d’autant plus cruciaux pour cadrer les relations avec les anciens propriétaires familiaux et faciliter le désengagement progressif de ces derniers.
En effet, une bonne gouvernance vise à clarifier les rôles et responsabilités de chacun, à formaliser les processus décisionnels et à prévenir les éventuels conflits d’intérêts. C’est d’autant plus critique dans une entreprise familiale où les sphères familiale et professionnelle sont étroitement liées et peuvent se télescoper. Revenons sur le code de gouvernance d’entreprise.
Ce document définit les règles du jeu en termes de structure organisationnelle, de répartition des pouvoirs, de processus décisionnels formalisés, etc. Il clarifie, notamment, la distinction entre les instances de gouvernance familiale et sociétale. La charte familiale énonce la vision, les valeurs et principes devant guider les interactions de la famille avec l’entreprise. Elle aborde les questions de répartition du capital, d’emploi des membres de la famille, de résolution des conflits, etc.
Pour ce qui est du conseil de famille, cette instance de gouvernance familiale gère les relations entre la famille et l’entreprise, veille au respect de la charte et prépare la relève générationnelle. Sa composition et ses prérogatives sont définies dans la charte.
Dans le cas spécifique d’une reprise externe, ces dispositifs de gouvernance revêtent une importance décisive. Ils permettront, d’une part, d’encadrer les relations avec les anciens propriétaires familiaux pendant la période de transition. Les règles claires faciliteront le désengagement progressif de la famille tout en assurant un transfert en douceur des pouvoirs décisionnels.
D’autre part, ces outils apporteront de la lisibilité au nouveau repreneur externe, en objectivant les processus et en délimitant bien ce qui relève de la gouvernance familiale de ce qui concerne la gestion opérationnelle de l’entreprise. Au final, que ce soit dans un schéma de transmission interne ou de reprise par un tiers, une gouvernance d’entreprise rigoureuse et bien définie constitue un facteur clé pour désamorcer les risques de conflits, assurer une transition harmonieuse des pouvoirs et, in fine, pérenniser l’entreprise sur le long terme.
En définitive, qu’elle soit interne ou externe, la transmission d’une entreprise familiale exige une préparation minutieuse sur tous les plans pour maximiser les chances de succès. «La passation demande un travail préalable, à savoir des compétences techniques et humaines de la personne qui doit reprendre le flambeau», conclut le Baromètre. Faire les bons choix et s’entourer d’experts dédiés seront les clés pour assurer l’avenir de ces fleurons de l’économie marocaine.
Une nouvelle ère pour l’accompagnement des entreprises familiales marocaines
Dans un contexte où la transmission des entreprises familiales devient un enjeu stratégique majeur, BDO Maroc et l’Université Hassan II de Casablanca annoncent la création d’une chaire dédiée. Une chaire qui permettra assurément d’apporter un éclairage pluridisciplinaire sur les problématiques de transmission, en croisant les regards du droit, de la fiscalité, de la psychologie, du management et de la sociologie.
«L’enjeu étant d’offrir aux entreprises familiales un accompagnement sur-mesure pour préparer au mieux leur transmission, qu’elle soit intrafamiliale ou externe. La chaire proposera des formations axées sur les enjeux juridiques, fiscaux, financiers mais aussi managériaux et psychologiques de la transmission. Elle fournira analyses, études de cas et retours d’expériences praticiens sur ce sujet complexe. Comme elle analysera en profondeur les dynamiques émotionnelles et relationnelles à l’œuvre, sources potentielles de conflits. Elle étudiera, notamment, l’impact de l’élargissement du cercle décisionnel aux générations suivantes et proposera des outils de gouvernance adaptés comme les chartes familiales et bien d’autres aspects répondant aux nouveaux défis des entreprises familiales marocaines, que ce soit la complexification de la gouvernance, la nécessaire ouverture à des profils managériaux externes ou encore la préparation en amont du processus de transmission. C’est donc une initiative pluridisciplinaire d’envergure pour préparer la relève de ces fers de lance de l’économie nationale.
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO