Storytelling : raconte-moi ton histoire…

Par Imane Margom
Docteure en sciences économiques et de gestion et professeure-chercheuse en marketing

Mais pourquoi raconter son histoire est-il devenu si essentiel dans l’univers du marketing moderne ? Depuis la nuit des temps, l’homme raconte des histoires pour transmettre des valeurs, des émotions et des savoirs. Qu’il s’agisse de mythes, de contes ou de récits, les histoires structurent notre mémoire collective, ancrent nos souvenirs et forgent notre identité.

Aujourd’hui, le storytelling exploite cette prédisposition naturelle pour capter l’attention et provoquer une résonance émotionnelle. Le storytelling, littéralement «Art de raconter des histoires», repose sur la création d’un récit autour d’un produit, d’une marque ou d’un service. Ce récit ne se limite pas à une simple présentation des caractéristiques ou des avantages de ce qui est proposé. Il s’agit plutôt de partager des émotions, des valeurs et des expériences.

Le pouvoir du storytelling réside dans sa capacité à transformer des éléments tangibles en émotions et en expériences intangibles. Cette approche puise dans un principe psychologique fondamental : notre cerveau est naturellement programmé pour répondre aux récits.

Contrairement à une liste de caractéristiques techniques ou à des données factuelles qui activent principalement nos facultés d’analyse, une histoire engage plusieurs zones du cerveau, notamment celles liées aux émotions et à la mémoire. Lorsque nous écoutons une histoire captivante, notre cerveau libère de l’ocytocine, souvent appelée «hormone de l’attachement», ce qui renforce les liens émotionnels, favorisant ainsi une connexion entre la marque et le consommateur. Cela explique pourquoi une histoire bien racontée a un impact durable. Contrairement aux faits bruts, rapidement oubliés, les récits sont mémorables parce qu’ils touchent notre sensibilité.

Cette réceptivité particulière se reflète également dans notre comportement : nous sommes plus enclins à agir – que ce soit en achetant, en partageant ou en soutenant – lorsque nous ressentons cette connexion émotionnelle. Avec l’émergence des réseaux sociaux, raconter des histoires n’a jamais été aussi accessible… et aussi complexe. Des plateformes comme Instagram ou TikTok offrent des formats immersifs qui captent l’attention et permettent une connexion immédiate. Les stories, les vidéos courtes et les lives permettent d’atteindre l’audience d’une manière intime et interactive.

Cependant, ces opportunités s’accompagnent de défis. Dans un flux constant de contenus, la concurrence est rude, et les attentes des consommateurs en matière d’authenticité sont plus élevées que jamais. Les marques doivent donc se battre pour raconter des histoires qui soient à la fois engageantes, sincères et en phase avec leurs valeurs profondes. Mais le storytelling sur les réseaux sociaux peut devenir un piège.

Si l’émotion est exploitée de manière artificielle ou, pire, manipulatrice, la sanction du public est immédiate. La quête d’authenticité est plus qu’un mot à la mode : elle est devenue une exigence. Les consommateurs, armés d’une vigilance accrue, détectent aisément les incohérences entre les récits des marques et leurs pratiques réelles. Cette réalité soulève une question morale : Jusqu’où une marque peut-elle aller pour séduire sans trahir ses valeurs ? Le véritable défi réside dans l’équilibre : Comment captiver sans instrumentaliser et séduire sans dénaturer cette relation de confiance? Le storytelling ne doit pas être un outil de manipulation, mais une voie vers une communication sincère et transparente.

Au-delà de la stratégie, le storytelling est une connexion humaine et une invitation à l’authenticité. Il ne s’agit pas seulement pour une marque de parler, mais aussi d’écouter. Les récits des consommateurs, des collaborateurs ou des partenaires enrichissent l’univers narratif de la marque.

À l’ère de la connexion instantanée, les histoires les plus impactantes sont souvent celles qui émergent d’une collaboration entre la marque et son audience. En fin de compte, le storytelling est bien plus qu’une tendance : c’est un retour à l’essence même de la communication humaine. Dans un monde où tout va si vite, c’est une manière de créer des liens durables. Raconter une histoire, c’est offrir une part de soi. Et si cette part est sincère, elle trouvera toujours un écho, car au fond, nous cherchons tous cette voix qui nous dit : «Je te comprends. Voici mon histoire. Quelle est la tienne ?».