Maroc

Trading : les crypto-arnaques continuent de faire des ravages au Maroc

Copy trading, Minting, Rug Pull…, autant de pratiques qui fleurissent dans l’univers opaque des cryptomonnaies au Maroc. Entre promesses de gains mirifiques et pertes colossales, des milliers de petits porteurs se retrouvent piégés face à un vide juridique persistant.

En mai 2016, dans la salle comble d’un hôtel de Casablanca, la «One Dream Team» présentait avec ferveur OneCoin, une nouvelle cryptomonnaie annoncée comme la digne héritière du Bitcoin. L’ambition affichée était de démocratiser l’accès aux actifs numériques, alors réservé à des cercles restreints. Mais derrière cette façade prometteuse se cachait une escroquerie de grande envergure orchestrée par Ruja Ignatova, surnommée la «Cryptoqueen».

Au fil des ans, OneCoin a ainsi spolié près de trois millions d’adeptes à travers le monde, amassant la coquette somme de 4 milliards de dollars, dont une part significative provenant de plusieurs milliers de détenteurs marocains.

Tour de vis de BAM
Face à l’ampleur de cette fraude, les autorités marocaines avaient fermement réagi. En novembre 2017, Bank Al-Maghrib, en collaboration avec le ministère de l’Économie et des Finances et l’Autorité marocaine du marché des capitaux, avait publié un communiqué mettant en garde contre les risques liés à l’utilisation des monnaies virtuelles et rappelant leur interdiction sur le territoire national.

Cette position stricte a dissuadé de nombreuses victimes de déclarer leurs pertes, de peur de sanctions ou de stigmatisation, laissant ainsi des préjudices financiers estimés à plusieurs millions de dirhams sans recours juridique.

Arnaques sophistiquées
Malgré ces mises en garde, la sphère des cryptomonnaies continue d’être le théâtre de diverses arnaques sophistiquées. Parmi elles, figure le “Copy trading”, pratique où, comme son nom l’indique, des individus se présentant comme des experts proposent aux novices de reproduire leurs stratégies d’investissement, promettant des gains rapides.

«En réalité, ces prétendus gourous manipulent souvent les marchés à leur guise, entraînant des pertes substantielles pour leurs followers», confie Badr Bellaj, fondateur de Mchain.

Une autre escroquerie courante concerne l’émission de tokens, ces jetons numériques créés pour financer des projets supposés innovants.

«Certains escrocs exploitent des thématiques sensibles, telles que la religion, ou surfent sur des théories du complot pour attirer des investisseurs crédules», précise Bellaj.

Ces projets, souvent sans fondement solide, s’apparentent à des systèmes pyramidaux où les premiers entrants sont rémunérés par les fonds des nouveaux arrivants, jusqu’à l’effondrement inéluctable du schéma. S’y ajoute le “Rug Pull”, une technique frauduleuse assez répandue.

«Il s’agit concrètement de développeurs qui lancent une nouvelle cryptomonnaie, attirent des investisseurs en promettant des rendements élevés, puis disparaissent subitement avec les fonds», explique cet expert en blockchain.

En effet, un acteur malveillant est en mesure de créer un token et d’attirer des investisseurs grâce à des campagnes marketing agressives sur Telegram ou Discord. Ce type de fraude prospère souvent en raison de l’absence de mécanismes de régulation à même de protéger les victimes. Mais depuis l’avènement du Bitcoin, le rachat de stablecoins contre du cash reste l’une des pratiques les plus risquées, et qui fait de nombreuses victimes.

Pourtant cette simple opération transactionnelle, censée permettre l’échange de cryptomonnaies contre de la monnaie sonnante et trébuchante, permet à des fraudeurs de détourner des fonds. En cause, l’absence d’intermédiaire fiable pour sécuriser l’échange.

Là encore, en l’absence de cadre juridique clair et de recours légaux, les victimes hésitent à porter plainte, craignant des représailles ou des complications légales. Une situation exacerbée, selon Badr Bellaj, par le vide juridique entourant les cryptomonnaies, malgré les efforts récents de Bank Al-Maghrib pour élaborer un cadre réglementaire adapté.

Ce contexte local s’inscrit dans une dynamique globale où les fraudes liées aux cryptomonnaies ont atteint des proportions inquiétantes. Entre 2018 et 2023, selon le rapport de Chainalysis, la valeur totale reçue par des adresses illicites a culminé à 39,6 milliards de dollars en 2022, avant de redescendre à 24,2 milliards de dollars en 2023.

Ce repli, bien que significatif, reflète, selon les auteurs du rapport, davantage une évolution des stratégies criminelles qu’une réelle réduction de l’activité. «54% des tokens ERC-20 listés sur des plateformes décentralisées en 2023 montrent des schémas typiques des opérations de pump and dump, bien que ces tokens ne représentent que 1,3 % du volume global des transactions».

Ces schémas consistent souvent à promouvoir un token pour en augmenter artificiellement la valeur avant que les créateurs ne vendent massivement leurs parts, entraînant un effondrement de sa valeur et des pertes pour les investisseurs. Derrière la promesse de gains rapides se cache souvent une mécanique frauduleuse, rappelant aux petits porteurs l’importance d’une vigilance accrue. Une éducation financière solide et une compréhension approfondie des mécanismes des cryptomonnaies deviennent essentielles pour naviguer dans cet univers complexe et déjouer les pièges tendus par des individus sans scrupules.

Les fraudes aux actifs numériques, reflet d’une tendance mondiale

Les crypto-arnaques au Maroc reflètent une tendance mondiale inquiétante. Selon le rapport Chainalysis 2024, les fonds transférés vers des adresses illicites ont atteint 24,2 milliards de dollars en 2023, en baisse par rapport au sommet de 39,6 milliards enregistré l’année précédente.

Ce repli ne signifie pas un recul de la criminalité, mais plutôt une évolution des méthodes. Les ransomwares, ces logiciels malveillants qui extorquent des rançons, et les transactions impliquant des entités sous sanctions continuent d’augmenter.

Par ailleurs, les stablecoins et la finance décentralisée (DeFi) deviennent des cibles privilégiées des fraudeurs, exploitant les failles d’un écosystème en constante évolution. Au Maroc comme ailleurs, cette montée en sophistication des crimes liés aux cryptomonnaies souligne la nécessité urgente d’instaurer des régulations adaptées pour protéger les investisseurs et freiner ces pratiques illicites.

Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO



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