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Contentieux : l’amiable plutôt que l’affrontement, et si c’était la solution ?

Le Projet de Loi de finances 2025 introduit un nouveau cadre juridique pour encadrer les accords à l’amiable entre l’administration fiscale et les contribuables. Tour d’horizon de cette mesure dont on parle peu.

Désamorcer les tensions, restaurer la confiance : en 2025, l’administration fiscale fera un pas en avant en facilitant les accords à l’amiable avec les contribuables. «Dans le cadre de la consolidation de la confiance partagée entre l’administration fiscale et les usagers, tel que recommandé par la loi-cadre n° 69-19 portant réforme fiscale, il est proposé d’instituer un cadre juridique clair pour la conclusion des accords à l’amiable entre l’administration fiscale et le contribuable.»

C’est en ces termes que le ministère de l’Économie et des Finances introduit l’une des principales mesures communes du Projet de Loi de finances 2025 (PLF 2025). Disons que l’encadrement de la procédure d’accord à l’amiable apparaît comme une avancée positive, visant à désamorcer les conflits et résoudre plus efficacement les litiges fiscaux, tout en restaurant la confiance entre les contribuables et l’administration.

Sa mise en œuvre devra cependant être suivie attentivement pour s’assurer qu’elle atteint bien ses objectifs d’équité, de simplicité et de sécurité juridique renforcée.

L’encadrement de  la procédure d’accord à l’amiable entre l’administration et le contribuable
Cela dit, pour le contribuable lambda, quels changements cette mesure apporte-t-elle réellement ? Quels sont les enjeux pour les différentes parties prenantes ? En instaurant un cadre juridique clair pour la conclusion des accords à l’amiable, l’objectif est double : d’une part, faciliter et encadrer cette procédure afin d’accélérer la résolution des litiges fiscaux, et d’autre part, renforcer la confiance mutuelle entre l’administration fiscale et les contribuables.

Types de litiges fiscaux concernés
Selon le texte, les accords à l’amiable pourront porter sur «les questions de fait relatives aux éléments d’imposition évalués par l’administration». Sont donc concernés les litiges portant sur les impositions directes (impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés), les pénalités fiscales liées à des retards ou des erreurs de déclaration, ainsi que les intérêts de retard.

Concrètement, cela concerne les principaux impôts comme l’impôt sur le revenu (IR) pour les particuliers et l’impôt sur les sociétés (IS) pour les entreprises. Ces litiges peuvent porter sur le calcul de l’assiette imposable, l’application des abattements et déductions, etc. Les pénalités fiscales : Il s’agit notamment des pénalités appliquées en cas de retard dans le paiement des impôts ou de dépôt tardif des déclarations. Leur montant pourra être renégocié dans le cadre d’un accord à l’amiable si les faits le justifient. Les intérêts de retard : Lorsque le contribuable accuse un retard de paiement, des intérêts de retard sont généralement appliqués par l’administration fiscale. Le taux et le montant de ces intérêts pourront être revus à la baisse grâce à un accord amiable.

Concrètement, cela signifie que tout litige portant sur l’appréciation des faits ayant conduit au calcul de l’impôt ou à des pénalités/intérêts pourra faire l’objet de discussions et de négociations entre le contribuable et l’administration dans le cadre de cette nouvelle procédure.

Cependant, il faut bien noter que les «questions de droit», c’est-à-dire les désaccords portant sur l’interprétation de la loi fiscale elle-même, resteront exclus de ce dispositif d’accord à l’amiable selon le texte. Cette distinction entre faits et droit aura donc une importance cruciale dans la mise en œuvre de ce nouveau cadre juridique. Elle devra être précisée et clarifiée pour éviter toute source de complexité supplémentaire.

Vous avez dit exclusion des «questions de droit» ?
Comme indiqué plus haut, «les questions de droit sont exclues du champ d’application dudit accord». Cela signifie que les désaccords portant sur l’interprétation de la loi fiscale elle-même ne pourront pas faire l’objet d’un accord à l’amiable.

En excluant les «questions de droit», cela signifie que tout litige portant sur l’interprétation même des textes législatifs et réglementaires fiscaux ne pourra pas faire l’objet de négociations dans le cadre d’un accord à l’amiable. Quelques exemples concrets : un désaccord sur le régime d’imposition applicable (taux, abattements, etc.) prévu par la loi ne pourra pas être résolu par un accord amiable. Une divergence d’interprétation sur la notion de «revenu imposable» ou de «charges déductibles» définie par les textes fiscaux sera exclue. Un litige sur l’application d’une exemption ou d’un régime fiscal spécifique prévu par la loi ne pourra pas non plus faire l’objet d’un accord à l’amiable.

«Cette exclusion des questions de droit vise à préserver la primauté et l’autorité de la loi fiscale. L’administration ne pourra pas déroger par accord amiable à l’application des textes législatifs et réglementaires en vigueur», nous dit un expert-comptable.

Seule l’appréciation des faits et des éléments de la situation particulière du contribuable pourra être discutée et faire l’objet d’un accord négocié. Mais l’interprétation de la loi restera de la seule compétence de l’administration et des juridictions compétentes.

Cette distinction fait/droit est certes compréhensible mais risque de ne pas être toujours aisée à tracer dans la pratique. Des zones grises pourront subsister et devenir une source potentielle de complexité et d’insécurité juridique s’il n’y a pas de clarifications ultérieures. «Une application trop stricte de cette exclusion pourrait réduire considérablement le champ des accords à l’amiable possibles. Il faudra donc veiller à trouver le juste équilibre entre respect de la loi et possibilités de résolution amiable dans l’intérêt des contribuables et de l’efficacité de la procédure», réagit un analyste.

Conditions pour demander un accord à l’amiable
Pour qu’un contribuable puisse solliciter un accord à l’amiable, plusieurs conditions devront être remplies : avoir introduit préalablement une réclamation auprès de l’administration fiscale, fournir un dossier complet avec tous les documents justificatifs et ne pas faire l’objet de poursuites pénales pour fraude fiscale.

La procédure pour conclure un accord à l’amiable comportera plusieurs étapes : introduction de la demande par le contribuable, examen de cette demande par l’administration, phase de négociation si la demande est jugée recevable et conclusion de l’accord écrit en cas de consensus.

Engagement définitif et irrévocable des parties
Le nouveau cadre juridique précise que «l’accord à l’amiable conclu est définitif et irrévocable». Cela signifie qu’une fois l’accord conclu, les deux parties seront tenues de le respecter : le contribuable devra s’acquitter des montants convenus, tandis que l’administration devra renoncer aux poursuites ou à la contestation des montants concernés par l’accord.

Avantages pour les contribuables
En clarifiant et encadrant cette procédure, la réforme vise à permettre une résolution plus rapide et efficace des litiges fiscaux, évitant ainsi aux contribuables de longues procédures judiciaires coûteuses. Elle renforcera également la sécurité juridique en donnant un cadre clair aux accords à l’amiable.

Cependant, certaines limites demeurent, puisque les questions de droit restent exclues de cette procédure. Il faudra donc veiller à ce que cette distinction ne devienne pas une source de complexité supplémentaire. En favorisant un règlement à l’amiable des litiges de fait, cette réforme devrait permettre de réduire les coûts et les délais associés aux procédures contentieuses traditionnelles, tant pour l’administration que pour les contribuables.

Plus largement, ce nouveau cadre juridique participe à l’objectif d’instaurer une «confiance partagée» entre l’administration fiscale et les usagers. En donnant un cadre clair et équitable à la procédure d’accord à l’amiable, celle-ci devrait contribuer à apaiser les relations souvent tendues dans le domaine fiscal.

Application à tous les contribuables
Si le texte ne le précise pas explicitement, rien n’indique que cette procédure d’accord à l’amiable serait réservée aux entreprises ou aux grands contribuables. Elle devrait donc pouvoir bénéficier aussi bien aux particuliers qu’aux professionnels et entreprises. C’est un point important à soulever.

En effet, rien dans la formulation ne semble exclure les particuliers de ce dispositif. À la lecture du texte, on peut donc en déduire que cette procédure sera ouverte aussi bien aux particuliers, pour les litiges relatifs à leur impôt sur le revenu, pénalités et intérêts associés ; aux professionnels indépendants (commerçants, professions libérales, etc.), concernant leurs obligations fiscales professionnelles ; et aux entreprises de toutes tailles, des TPE aux grandes sociétés, pour les litiges portant sur l’impôt sur les sociétés, la TVA, etc. Disons que le fait de ne pas réserver ce dispositif aux seules grandes entreprises ou grands contribuables apparaît comme un gage d’équité fiscale.

Les petits contribuables, qui disposent généralement de moyens juridiques et financiers plus limités, pourront ainsi bénéficier d’une voie de règlement amiable des litiges fiscaux de fait. Cela répond à une attente forte des particuliers et des professionnels indépendants qui se heurtent souvent à la complexité des procédures contentieuses traditionnelles face à l’administration fiscale.

Bien entendu, dans la pratique, les modalités concrètes et le formalisme exigé pour instruire une demande d’accord à l’amiable devront rester accessibles à tous les contribuables, qu’ils soient particuliers ou entreprises. Un accompagnement et des mesures de simplification administrative adéquats devront donc être prévus, afin de ne pas créer une nouvelle source de complexité contreproductive. Mais l’ouverture de principe de ce dispositif à l’ensemble des contribuables constitue une avancée positive vers une plus grande équité dans le traitement des litiges fiscaux.

Mesures d’accompagnement à prévoir

Pour une mise en œuvre réussie, il sera crucial d’accompagner ce nouveau dispositif par des mesures de communication, de formation et de sensibilisation auprès des contribuables et des agents de l’administration fiscale. Un suivi et une évaluation régulière permettront également d’ajuster si nécessaire ce cadre juridique novateur.

Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO



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