Maroc

Industrie navale : un géant endormi aux portes de l’Atlantique

À l’heure où le Royaume aspire à s’ériger en puissance maritime, le secteur naval, qui est à quai actuellement, doit être redynamisé. Tous les signaux sont au vert pour tirer cette industrie vers des sommets. Que manque-t-il pour que l’industrie navale nationale hisse ses voiles vers la compétitivité internationale ? Le CESE dresse un bilan et pointe les lacunes à combler.

«L’industrie navale au Maroc est un potentiel sous-exploité», affirme le rapport présenté, mercredi 15 octobre à Rabat, par le président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), Ahmed Reda Chami. Ce secteur, qui pourrait devenir l’un des moteurs de la croissance économique nationale, souffre d’un développement lent, entravé par des obstacles structurels majeurs.

«Malgré les atouts indéniables dont dispose le Royaume, tels qu’un littoral de 3.500 km et une zone économique exclusive vaste de 1.200.000 km², l’industrie navale marocaine demeure embryonnaire, avec un poids dérisoire dans le PIB», souligne le rapport.

Le CESE dresse un état des lieux précis du secteur, identifie les freins à son développement et propose des recommandations pour que le Maroc se dote d’une industrie navale compétitive et souveraine. Entre les chantiers navals sous-exploités, la dépendance aux intrants étrangers et le déclin de la flotte marchande nationale, les défis sont nombreux. Mais le potentiel est là et, avec lui, l’espoir de voir ce secteur devenir un levier économique majeur dans les années à venir.

Un secteur en crise
Malgré son potentiel maritime et une infrastructure portuaire en constante évolution, l’industrie navale marocaine est loin de réaliser ses promesses. En effet, entre 2013 et 2022, le secteur a généré un chiffre d’affaires annuel de seulement 500 millions de dirhams, soit une contribution quasi insignifiante au PIB national.

«Ce secteur, stratégique dans de nombreux pays, ne représente que 0,01 % du PIB et peine à décoller malgré les nombreuses réformes engagées», indique le CESE.

Ce chiffre alarmant témoigne de la lenteur avec laquelle l’industrie navale nationale se développe, malgré la création de chantiers modernes à Casablanca, Agadir et Tan-Tan. L’un des principaux freins à son expansion réside dans le faible degré d’intégration industrielle. Le rapport souligne que le secteur reste largement dépendant des intrants importés, limitant ainsi la création de valeur ajoutée locale.

«Avec un taux de valeur ajoutée de seulement 17 %, contre 30 % en moyenne dans les autres secteurs manufacturiers, l’industrie navale est loin de contribuer pleinement à l’essor économique du pays», déplore le CESE.

Par ailleurs, le rapport met en lumière l’impact du déclin de la flotte marchande nationale. En 1989, la flotte comptait 73 navires. Aujourd’hui, elle n’en possède plus que 16. Cette chute a considérablement affaibli la capacité du Maroc à répondre à ses propres besoins en matière de transport maritime.

«À peine 5% de nos échanges extérieurs sont assurés par le pavillon national, ce qui rend le pays vulnérable aux fluctuations des armateurs étrangers», alerte le rapport.

Des infrastructures sous-utilisées et un cadre institutionnel fragmenté
Le Maroc a pourtant investi dans des infrastructures portuaires modernes, à l’image du chantier naval de Casablanca, considéré comme le premier pôle de réparation navale du pays. Toutefois, la gestion de ces installations laisse à désirer.

Depuis 2019, malgré deux appels d’offres, ce chantier n’a pas trouvé de concessionnaire pour en prendre la gestion, ce qui freine son exploitation optimale.

«L’absence de coordination entre les acteurs institutionnels et la complexité des régimes de concession sont des obstacles majeurs au développement de cette industrie», pointe le CESE.

De plus, les ports d’Agadir et de Tan-Tan souffrent de saturations chroniques, réduisant leur capacité à répondre à la demande croissante en matière de réparation navale. Face à cette situation, de nombreux armateurs marocains préfèrent confier l’entretien de leurs navires à des chantiers européens, notamment en Espagne. Cette fuite des investissements pèse lourd sur l’économie nationale.

Les défis du cadre réglementaire et fiscal
Outre les infrastructures sous-utilisées, le cadre réglementaire et fiscal en place n’est pas adapté aux besoins du secteur. Le code de commerce maritime, datant de 1919, n’a pas été modernisé pour répondre aux réalités contemporaines du marché international. Le CESE souligne également que certaines mesures fiscales incitatives, comme l’exonération de la TVA sur l’acquisition de navires étrangers, favorisent davantage l’importation que la production locale.

«Ces incitations doivent être repensées pour renforcer la compétitivité des chantiers navals nationaux», recommande le rapport.

Le manque de soutien en matière de financement est un autre frein majeur. Les lourds investissements nécessaires pour le développement de l’industrie navale, combinés aux risques inhérents à ce secteur, découragent les banques d’accorder des crédits.

Par ailleurs, la formation spécialisée reste insuffisante, ce qui contribue à l’érosion de la compétitivité du secteur. Le Maroc, pourtant doté d’un capital humain qualifié dans des secteurs connexes comme l’automobile et l’aéronautique, peine à répondre aux besoins spécifiques de l’industrie navale.

Des recommandations pour un renouveau de l’industrie navale
Face à ces défis, le CESE propose une série de mesures concrètes pour relancer le secteur. La première recommandation concerne la mise en place d’une stratégie nationale intégrée, réunissant tous les acteurs publics et privés du secteur. Ce mécanisme de coordination serait chargé de piloter les réformes nécessaires à la modernisation de l’industrie, en assurant un suivi régulier des avancées. Le rapport suggère également de diversifier le positionnement du Maroc sur le marché international.

«Le pays doit se concentrer sur des segments accessibles, comme la réparation des navires de pêche et la construction de petits navires, avant de s’attaquer à des créneaux plus compétitifs», préconise le CESE.

Une telle approche graduelle permettrait d’élargir les débouchés à l’export et de capitaliser sur les opportunités offertes par les marchés méditerranéens et africains. Le rapport met également en avant l’importance d’un cadre fiscal et réglementaire repensé, ainsi que le développement d’un écosystème technologique et innovant. Le renforcement des formations dans des métiers clés comme la soudure, la charpenterie navale ou encore la gestion des chantiers navals est également essentiel pour soutenir l’essor de l’industrie.

Le développement d’une industrie navale compétitive au Maroc pourrait transformer le paysage économique du pays à bien des égards. D’abord, il contribuerait à la diversification industrielle du Royaume, un enjeu crucial dans la continuité du succès observé dans les secteurs de l’automobile et de l’aéronautique.

En devenant un acteur majeur dans la construction, la réparation, et même le démantèlement des navires, le Maroc renforcerait sa place dans le tissu industriel mondial. De plus, cette expansion industrielle offrirait un remède au chômage structurel, exacerbée par la pandémie de COVID-19.

«L’absorption de main-d’œuvre, à tous les niveaux de qualification, serait significative», souligne le rapport, permettant ainsi de créer des milliers d’emplois directs et indirects dans plusieurs régions du Royaume.

Par ailleurs, les répercussions positives de l’essor de cette industrie ne se limiteraient pas à l’industrie navale seule. En amont, des secteurs comme la sidérurgie, la charpenterie et l’électronique bénéficieraient directement de cette dynamique, tandis qu’en aval les secteurs de la pêche, du transport de marchandises, et même de la défense nationale en sortiraient renforcés.

«Le Maroc pourrait réduire sa dépendance vis-à-vis de l’étranger en matière de construction et d’entretien des navires», précise le rapport, ce qui favoriserait le développement d’un savoir-faire national, crucial pour garantir une offre compétitive «Made in Morocco».

Ainsi, le pays pourrait non seulement répondre à ses besoins domestiques, mais aussi se positionner comme un acteur de choix sur le marché international, notamment dans des segments stratégiques tels que la flotte commerciale, les navires de pêche, et même l’industrie de défense, secteur clé pour la souveraineté nationale.

Faiza Rhoul / Les Inspirations ÉCO



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