Sécurité : arrestation du créateur présumé d’une messagerie du crime
Un Australien soupçonné d’avoir créé une messagerie cryptée utilisée par des criminels partout dans le monde pour gérer trafics de drogue, blanchiment d’argent et assassinats a été arrêté lors d’une vaste opération policière internationale.
L’application «Ghost», que son concepteur affirmait impossible à pirater, a servi à des centaines de criminels en Europe, au Moyen-Orient et en Asie, ont annoncé mercredi les forces de l’ordre internationales. Elle a été démantelée après plusieurs années d’enquête par les autorités de neuf pays, avec le soutien d’Europol et d’Eurojust.
«Il s’agissait d’un véritable jeu du chat et de la souris à l’échelle mondiale, et aujourd’hui, la partie est terminée», s’est félicité Jean-Philippe Lecouff, directeur exécutif adjoint des opérations d’Europol lors d’une conférence de presse au siège de l’agence à La Haye.
Depuis deux ans, les forces de l’ordre avaient piraté le réseau et regardaient les utilisateurs discuter trafic de drogue, blanchiment d’argent, assassinats et autres violences graves.
Gros coup de filet
51 personnes ont été arrêtées en Italie, Irlande, Suède, Canada et Australie, dont Jay Je Yoon Jung, le «cerveau» présumé de l’application. Cet Australien de 32 ans vivait chez ses parents à Narwee, dans l’État de Nouvelle-Galles du Sud, et n’avait pas de casier judiciaire. Il s’est montré «légèrement surpris» quand les policiers sont venus l’arrêter, a déclaré le commissaire adjoint de la police fédérale australienne, Ian McCartney. Il a été inculpé de cinq délits, dont le plus grave est passible de dix ans de prison. Cinquante menaces d’assassinat ont pu être déjouées en Australie.
Dans l’un des cas, les enquêteurs ont intercepté l’image d’une personne avec un pistolet sur la tempe qui a pu être sauvée dans l’heure, selon Kristy Schofield, commissaire adjointe de la police fédérale australienne. Un laboratoire de drogue a été démantelé en Australie, tandis que des armes, de la drogue et plus d’un million d’euros en espèces ont été saisis dans le monde jusqu’à présent, selon Europol.
La police a, en outre, mis la main sur 376 téléphones disposant d’un accès à Ghost. Créé il y a neuf ans, Ghost ne fonctionnait que sur des smartphones spécialement modifiés vendus environ 2.350 dollars australiens (1.430 euros), un prix comprenant six mois d’abonnement au service et une assistance technique.
L’application, utilisée par des centaines de criminels présumés pour ses avantages en termes de configuration et d’anonymat, offrait la possibilité d’envoyer un message suivi d’un code spécifique qui entraînait l’autodestruction de tous les messages sur le téléphone cible, a expliqué Eurojust dans un communiqué. Mais les serveurs ont été repérés en France et en Islande, et les actifs financiers aux États-Unis, a précisé Europol.
Opération internationale
Les enquêteurs ont réussi en 2022 à accéder au contenu crypté en s’infiltrant dans l’une des mises à jour proposées par le créateur de l’application. Pendant deux ans, ils ont pu suivre la popularité croissante de la plateforme auprès des criminels. Ce sont des gendarmes français qui ont finalement repéré le créateur de l’application en Australie. Les policiers avaient dû agir extrêmement vite pour que le suspect, qui avait la possibilité de «tout effacer» dans le système, ne parvienne pas à ses fins en se voyant cerné, a raconté Kristy Schofield. «Nos équipes tactiques ont été en mesure de l’appréhender et de sécuriser le matériel informatique moins de 30 secondes après être entrées».
Le volet irlandais de l’opération était «particulièrement important» pour le pays qui comptait «le deuxième plus grand nombre d’utilisateurs» de la plateforme, a précisé le commissaire adjoint de la Garda Síochána Justin Kelly. «Nous avons ciblé quatre groupes criminels organisés irlandais impliqués dans le trafic de drogue», a-t-il ajouté, se félicitant du démantèlement d’une «voie principale de trafic de drogue» vers le pays, et de la saisie de drogues d’une valeur marchande de près de 16 millions d’euros. Le responsable sécuritaire assure qu’il y aura «d’autres arrestations». Le démantèlement en 2020 du réseau mondial de communications cryptées EncroChat a constitué «un tournant» dans la lutte contre le crime organisé, selon les enquêteurs.
Depuis, «le paysage des communications cryptées est devenu extrêmement dynamique et segmenté, ce qui pose des défis permanents aux forces de l’ordre», a souligné Bertrand Michel, chef adjoint de la gendarmerie nationale française.
En 2021, le démantèlement d’un réseau similaire, ANOM, avait conduit à l’arrestation de centaines de suspects dans le monde. Ces personnes étaient loin de se douter qu’ANOM était en fait produit et distribué par le FBI, la police fédérale américaine, et son homologue australienne. Ce coup de filet survient aussi quelques semaines après l’arrestation près de Paris du fondateur et patron de la messagerie Telegram Pavel Durov en raison de la publication de contenus illégaux sur l’application.
Sami Nemli Avec Agence / Les Inspirations ÉCO