Opinions

Territoire, culture et énergies renouvelables. Vers une stratégie de développement inclusif

Nous vivons, aujourd’hui, dans un monde en perpétuelle transformation, où le rythme des changements devient de plus en plus préoccupant. À ce titre, Sa Majesté le Roi Mohammed VI souligne que le Maroc est irrévocablement engagé dans un processus de développement tridimensionnel fondé sur la complémentarité et l’équilibre entre l’économie, le social et l’environnement.

Ses hautes directives nous rappellent également que l’ampleur des défis exige la mobilisation des efforts de chacun : «De même, la volonté de relever les défis multiples et interconnectés en matière de développement nécessite de la part de tous les Marocains, individuellement et collectivement, d’adhérer au combat économique décisif qui est en cours dans le monde».

Ainsi, pour relever les défis imposés par ces transformations rapides et successives, il est crucial d’ancrer et d’institutionnaliser une nouvelle culture, orientée vers la durabilité. Ceci implique de transformer les défis liés aux changements climatiques en opportunités, tout en maîtrisant la transition vers les Objectifs de développement durable.

L’adoption d’une approche proactive devient incontournable pour anticiper et atténuer les impacts négatifs de ces changements climatiques sur le développement national, et en particulier au niveau territorial. Cette approche permet d’identifier les nouvelles contraintes qui pourraient émerger plus rapidement que d’habitude, afin de leur apporter des solutions adaptées aux spécificités locales, conduisant, ainsi, au développement durable du territoire, en tenant compte des réalités coercitives et contraignantes de ce dernier.

Développement territorial et réalités contraignantes

Le territoire se définit, également, comme un support spatial des activités humaines, et constitue aussi une jonction entre deux aspects fondamentaux pour le parcours de l’Homme : la nature et la culture. Qu’il soit identifié naturellement ou administrativement, le territoire est ainsi un espace humanisé au sens culturel et intrinsèquement influencé par la dimension culturelle de l’Homme. Il est également important de noter que l’appropriation d’un territoire spécifique, par les membres d’une communauté pour mener leurs activités, est souvent guidé par un habitus.

Cet habitus, formé depuis l’enfance, comprend des dispositions durables et transposables qui, bien que souvent inculqués de manière inconsciente, influencent les comportements, les perceptions, les goûts, et les pratiques sociales des individus (selon le sociologue Pierre Bourdieu).

Partant de ces observations, nous concluons que l’interaction entre l’Homme et le Territoire doit être constructive, pour que ses résultats soient bénéfiques pour les deux parties prenantes (Homme, Territoire). Ainsi, dans un contexte respectant les besoins des écosystèmes et des communautés locales, les actions humaines vont contribuer à l’amélioration du territoire et de son développement durable.

Sa Majesté le Roi souligne proactivement que le développement durable et le développement humain constituent deux processus interdépendants ; chacun servant l’autre – indéfiniment – dans le temps et l’espace : « Convaincu de l’importance capitale de la protection et la préservation de l’environnement, et ayant, très tôt, et du fait de sa position géographique, pris conscience des effets potentiels des changements climatiques, le Maroc s’est résolument engagé dans le processus de développement durable, qui est indissociable du développement humain».

En adoptant une approche stratégique, intégrée et collaborative, sous la lumière de ces hautes directives, ce processus de développement harmonieux et équilibré du territoire implique à la fois la promotion de pratiques écologiques et la considération des cultures locales et des structures sociales. Ce qui traduit une coexistence, entre l’Homme et son territoire bénéfique, et dont, au-delà des moyens financiers nécessaires à sa construction et son entretien, la mise à disposition de leviers, tels que l’innovation et la créativité, est essentiel : «La régionalisation que Nous appelons de Nos vœux doit reposer sur un effort soutenu et imaginatif permettant de trouver des solutions adaptées à chaque région, selon ses spécificités et ses ressources, et en fonction des opportunités d’emploi qu’elle peut apporter, et des difficultés qu’elle rencontre en matière de développement».

De même, l’implication des jeunes en tant que source créative et imaginative s’avère incontournable :
«Le sérieux de la jeunesse marocaine s’exprime aussi dans les domaines nécessitant un génie créateur et un esprit novateur : deux atouts qu’elle possède en puissance dans diverses matières». À partir de ces hautes directives royales, et des éléments présentés ci-dessus, nous tenterons, dans ce qui suit, de rappeler, par des exemples de modèles, que le développement territorial se construit, notamment, autour des énergies renouvelables en raison de leur caractère transversal et de la flexibilité de leur déploiement.

Énergies renouvelables, véritable moteur de développement territorial

L’énergie, qui peut être responsable de développement d’un travail, est qualifiée de renouvelable si sa source l’est également, c’est-à-dire durable dans le temps et verte en raison de son caractère respectueux de l’environnement. Le Maroc bénéficie d’énormes potentialités dans ce domaine, avec une grande diversité de sources, une répartition spatiale avantageuse, et une valeur énergétique significative.

Il convient de rappeler que la disponibilité de ces sources au niveau des territoires permet une production locale des énergies renouvelables. Quant à leur diversité, elle offre la possibilité de les exploiter dans un cadre de mix énergétique pour, notamment, compenser partiellement leur intermittence, et réduire éventuellement les coûts de leur mise en œuvre.

En effet, le rapprochement de ces sources d’énergies renouvelables par rapport à des consommateurs répartis avec une densité variable sur un vaste territoire, ainsi que la capacité d’adaptation de la puissance délivrée avec leurs besoins énergétiques, sont des éléments clés pour favoriser l’innovation et la créativité dans ce domaine. Cela facilite leurs accès à l’énergie électrique et contribue, ainsi, à la durabilité du développement territorial, en créant de nouveaux emplois, en générant de la valeur, en luttant contre l’exode rural et en renforçant l’économie locale.

Énergies renouvelables, des solutions locales pour le développement territorial

Dans ce qui suit, nous présentons un modèle de projet visant à sensibiliser les lecteurs aux avantages majeurs de l’intégration des énergies renouvelables dans les communautés non desservies par l’électricité conventionnelle, en particulier dans les zones rurales et montagneuses.

Imaginons que les membres de cette communauté mènent leurs activités professionnelles et familiales sur leur territoire qui dispose d’un bouquet énergétique diversifié, et répartis conformément à la description et souvent selon l’habitus mentionnés ci-dessus.

Culture de la coopération collective volontaire

En s’inspirant du principe de la coopération volontaire, tel qu’il est illustré par les opérations ‘’Touiza’’, et ancré dans notre culture d’entraide intracommunautaire, les membres de la communauté en question peuvent se regrouper pour accomplir ensemble une tâche d’intérêt commun, comme celle lancée par Sa Majesté en 2012, et qui a visé le labour collectif dans la région Meknès-Tafilalet.

En effet, cette opération (Touiza), qui incarne l’esprit d’une coopération volontaire, et qui est profondément enraciné dans la conscience collective marocaine, en particulier dans les zones rurales et montagneuses, a prouvé son efficacité à travers le Royaume, que ce soit pour labourer des champs, récolter des moissons ou construire quelques infrastructures. L’intégration d’actions de coopération volontaire bien qu’elles soient ancestrales, provenant de l’identité marocaine, pourrait renforcer le développement national.

Approche collaborative et co-construction

L’implication de partenaires publics et privés, tels que l’Initiative nationale de développement humain, les communes territoriales, les bienfaiteurs,… dans cette opération, renforce la viabilité et favorise l’appropriation du projet par la communauté, où ses membres peuvent travailler ensemble – par exemple – pour la mise en place d’un réseau électrique isolé et interconnectant leurs points de consommation.

L’initiative visant la co-construction d’infrastructures de bout en bout dédiées à la production, la mise en forme et la distribution de l’énergie électrique obtenue à partir de sources d’énergies renouvelables repose en fait sur une approche collaborative.

Innovation Technologique

Avec un dimensionnement de la station adaptée aux besoins énergétiques de la communauté, la production est répartie entre les membres de la communauté, où chaque autoproducteur-consommateur (membre de la communauté) produit en fonction de son investissement, et consomme selon ses besoins spécifiques. Bien que ce modèle puisse sembler économiquement déséquilibré à première vue, il s’avère être un levier pour créer de la valeur, et relever des défis locaux.

En effet, le profil de consommation énergétique varie d’un consommateur à l’autre en fonction de leurs comportements individuels. Les membres de la communauté ne consomment donc jamais la même quantité d’énergie au même moment, et selon le même profil. Ainsi, l’énergie excédentaire produite par une station individuelle (d’un membre de la communauté) peut être redirigée vers un autre membre de la communauté ayant un besoin énergétique, grâce à un compteur d’énergie bidirectionnel. En fonction des besoins spécifiques de chaque membre et de l’excédent énergétique disponible chez les autres, un échange d’énergie s’établit au sein du réseau isolé, facilité par ces compteurs bidirectionnels.

Au bout de la chaîne, un système digital performant et adapté au contexte où le modèle évolue, interfacé avec les compteurs bidirectionnels, suit en temps réel le comportement de la station distribuée, et peut fournir mensuellement – par exemple – une facture basée sur le bilan de consommation réelle de chaque membre, et ses échanges au sein de la communauté. Si un membre dépasse sa puissance installée, il est facturé pour l’excédent, et il paye la différence à la communauté.

Quant aux revenus de la communauté, il se distribuent proportionnellement parmi les membres contributeurs. Il s’agit là d’un modèle qui assure une distribution énergétique équilibré, tout en considérant les spécificités de chaque membre. Il est donc motivant pour les membres qui peuvent investir au-delà de leurs besoins de consommation, tout en étant inclusifs pour ceux qui ne peuvent investir que pour une partie de leurs besoins énergétiques.

Défis technologiques et financiers locaux soulevés

En effet, ce modèle de développement, fondé sur la production d’électricité distribuée au sein du territoire, met en lumière une solution indirecte et innovante à la contrainte liée à l’intermittence des énergies renouvelables : le stockage. Grâce à la consommation locale des membres de la communauté et l’échange de l’énergie excédentaire entre eux, le modèle surmonte efficacement les défis liés à la fluctuation de la production énergétique.

Effectivement, en faisant circuler automatiquement l’excédent énergétique d’un membre de la communauté vers d’autres membres en déficit énergétique, pour qu’ils puissent le consommer ultérieurement quand le besoin se manifeste, nous démontrons une stratégie innovante et propre de stocker l’énergie électrique dans le réseau local. Cela évite le recours aux batteries qui ont une durée de vie plus courte que les autres éléments de la station, ce qui pourrait augmenter le coût initial de l’investissement, tout en ayant un impact négatif sur la dimension écologique du modèle. De plus, cet échange énergétique entre les membres de la communauté incite la station de la communauté, à fonctionner dans des conditions optimales et avec un excellent rendement, puisque même les excédents énergétiques des particuliers sont consommés par d’autres membres. Ceci est une démarche stratégique innovante qui rend le coût initial de l’investissement accessible à tous.

Il convient de souligner que ce modèle peut être dupliqué à d’autres territoires en tenant compte des spécificités des sources d’énergies renouvelables disponibles. Pour des territoires voisins, les réseaux locaux peuvent être interconnectés, et jouer un rôle similaire à celui des membres de la communauté. En résumé, il s’agit, ainsi, d’un modèle économiquement viable, socialement inclusif, technologiquement innovant, stratégiquement motivant pour toutes les parties prenantes et ouvrant des nouvelles perspectives en termes de développement territorial, et techniquement duplicable.

De la consommation passive à la consommation consciente

Pour optimiser davantage ce modèle, les membres de la communauté peuvent planifier leurs activités pendant des créneaux horaires où l’énergie électrique est à son maximum, comme en journée pour tirer pleinement parti de l’énergie solaire.

Dans cette perspective, une charte acceptée au préalable par les autoproducteurs-consommateurs, associée à une sensibilisation basée sur des retours économiques tangibles, peut constituer un levier pour accompagner la communauté à adapter son comportement en tant qu’utilisateur de l’énergie renouvelable.

De l’énergie renouvelable à la valorisation des eaux saumâtres des puits

Parfois, nous trouvons des anciens puits abandonnés, dont les eaux sont relativement saumâtres avec une concentration de sels minéraux plus élevée que l’eau douce, mais inférieure à celle de l’eau de mer. Ce qui les rend inadaptées ni à la consommation ni à l’irrigation sans traitement préalable, alors qu’ils pourraient contribuer au développement du territoire, notamment par l’agriculture et l’élevage.

Mais grâce à l’accès aux énergies renouvelables, et en s’appuyant sur une approche adéquate comme la « Touiza », la communauté peut procéder au traitement des eaux de ces puits, pour s’en servir comme eau potable ou pour des besoins de l’agriculture. Ceci crée, évidemment, des nouvelles perspectives et redynamise ainsi le territoire, notamment par la création de l’emploi local, la valorisation des produits de terroir, la promotion du tourisme rural et de la montagne.

De la cohésion sociale et territoriale à la résilience durable

Le modèle en question repose sur une approche collaborative qui fait du réseau et de sa station de production un projet essentiel à leur activité. Autrement dit, l’énergie renouvelable, en se positionnant en tant que fédératrice des membres de la communauté autour de son utilisation, vient renforcer le sentiment d’appartenance de ces membres à leur communauté, d’une part, et leur attachement au territoire, d’autre part. Ceci vient renforcer la cohésion sociale qui, par essence, favorise la transition vers la durabilité de la résilience sociale.

Perspectives ambitieuses et stratégiques

Au-delà du fait que les énergies renouvelables constituent désormais un levier essentiel pour soutenir le développement territorial, grâce à leur flexibilité et à leur capacité à répondre aux spécificités locales, elles ouvrent de nouvelles perspectives en matière de mise à niveau nationale du littoral, incluant la façade atlantique du Sahara marocain : «Outre la prospection poussée des ressources naturelles offshore, cette économie intégrée doit reposer sur l’investissement continu dans les filières de la pêche maritime, le dessalement de l’eau de mer à des fins agricoles, l’encouragement de l’économie bleue et le soutien aux énergies renouvelables».

El M’kaddem Kheddioui / Les Inspirations ÉCO



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