Éco-BusinessTable ronde

Les marques chinoises en force. Une «longue marche» automobile

Le Cercle des ÉCO a récemment organisé une table ronde sous le thème de «Automobile :  Les marques chinoises en force». Y ont participé Adil Bennani, président de l’Association des importateurs de véhicules au Maroc (AIVAM) ; Achraf Hajjaji, directeur général adjoint d’Auto Nejma ; et Saad Menioui, directeur de la marque Changan au Maroc. La rencontre était modérée par Moulay Ahmed Belghiti, rédacteur en chef des Inspiratons ÉCO.

Aujourd’hui, les marques automobiles chinoises sont prises très au sérieux, alors qu’elles commencent leur retour sur le marché marocain. Mais pendant longtemps, cela n’a pas été le cas. Pour comprendre les changements opérés, Adil Bennani, président de l’AIVAM, a tenu à faire un historique qui permet de dégager les grandes tendances du secteur, en Chine d’abord, puis sur le marché international.

«Ce que l’on voit aujourd’hui est le fruit d’une stratégie déployée depuis plus d’une cinquantaine d’années», assure Adil Bennani. Pour lui, l’Empire du Milieu a pour ambition très claire de prendre le leadership de l’industrie automobile dans le monde.

Lors d’une première étape, au début des années 60, la Chine avait mis en place quelques collaborations avec l’Union soviétique. Elle montait sur des plateformes soviétiques des véhicules qui répondaient à un besoin très limité à l’époque. Puis, il y a eu un moment d’ouverture, les Chinois ont vu qu’il y avait un potentiel de croissance de cette industrie. Cependant, ils ont considéré que son développement immédiat n’était pas possible, car ils ne la maîtrisaient pas. Mais ils savaient que cette maîtrise existe ailleurs. La logique des dirigeants a été de considérer qu’ils avaient la chance d’avoir un grand pays qui, en se développant, allait générer une forte demande intérieure.

Alors que l’ensemble de l’industrie a commencé à émerger, une classe moyenne, avec un certain pouvoir d’achat, avait besoin d’une forme de mobilité. Les années 1970 et 80 ont été celles d’une grande urbanisation de la Chine. Les gens migraient du monde rural vers les villes pour pouvoir travailler. Par conséquent, il leur fallait «consommer» des automobiles.

Les marques étrangères venaient vendre leurs produits dans un pays en train de devenir l’usine du monde. Dès lors, la politique d’ouverture, de partenariats ou de joint-ventures avec les marques étrangères était aussi un moyen d’acquérir le savoir-faire.

Identifier les leviers d’innovation

Toutefois, «les cadres du pays se sont rendu compte que, sur le volet thermique, ces marques avaient une avance qu’eux n’allaient jamais pouvoir rattraper en matière d’innovation. Ils se sont dit : “des rapports montrent qu’il va y avoir une problématique environnementale. Développons les énergies nouvelles et voyons où nous avons des facteurs de succès que d’autres n’ont pas”», résume Adil Bennani. Parmi ces leviers, figurent notamment les matériaux rares. Ils sont le point de départ de la réflexion sur les batteries.

En parallèle, au début des années 80, dans un double mouvement, la Chine a envoyé massivement des jeunes se former à l’étranger tandis qu’elle a reçu, massivement là encore, des ingénieurs venus des quatre coins du monde, à travers des joint-ventures, pour fabriquer chez elle. Acquérir ce savoir-faire a duré une vingtaine d’années, et au début des années 2000, on peut constater une forte modernisation de l’industrie chinoise.

Entre-temps, la couche sociale moyenne s’est comptée en centaines de millions d’individus, pour une population totale allant de 900 millions à un milliard de personnes. La consommation automobile faisant, les volumes faisant, la technologie et les compétences se sont développées.

Économie dirigée

Mais il y a eu quelque chose d’instrumental lorsque leur gouvernement s’est dit : «très bien, nous tenons la technologie, nous allons devoir la subventionner pour en réduire le prix sur notre marché intérieur», estime le président de l’AIVAM. «Cette technologie qui coûtait cher a été subventionnée pendant plusieurs années par le gouvernement chinois, au profit des Chinois.» Il s’agissait pour eux d’avoir le temps d’arriver à une certaine masse critique. Et plus ils s’en vendaient, moins cela coûtait cher.

Subventionner une industrie pour qu’elle se développe dans un pays qui vend à ses propres habitants est toujours possible. «Plutôt que de leur donner 10 dirhams sur la bouteille de gaz, leur gouvernement leur donne 100 dollars sur un véhicule», prend pour exemple Adil Bennani. Un risque de litige apparaît, cependant, lorsque cette subvention ne va pas au client final, mais à l’outil de production ou à la matière première qui sert à fabriquer un véhicule qui s’exporte moins cher. C’est pour cela que l’Union européenne a mené une enquête et décidé de taxer un certain nombre de groupes à ses frontières.

C’est peut-être aussi qu’entretemps, les jeunes formés à l’étranger ou par les joint-ventures ont fondé leurs propres marques, leurs propres groupes. Ils ont créé des concurrents aux marques traditionnelles. La technologie étant au point, la subvention sur cette technologie et les new energy vehicles (véhicules à énergie nouvelle) étant en place, elle devient le standard. Ils ont la chance à ce moment-là d’avoir 1 milliard 200 millions d’habitants.

Le marché est si vaste qu’il peut y incuber ce qu’il veut. Le gouvernement a expliqué aux Chinois qu’il leur fallait consommer chinois. Ils devaient en être fiers, c’était devenu qualitatif. Avec cette politique de communication extrêmement bien organisée, les choses commencent à devenir plus dures pour les marques étrangères en Chine. Dernier acte de la pièce, ils vont concurrencer ces marques chez elles, sur leur propre marché, en s’exportant. C’est ce que nous observons aujourd’hui, conclut Adil Bennani.

L’élève dépassera-t-il le maître ?

Pour sa part, Achraf Hajjaji, directeur général adjoint d’Auto Nejma, est convaincu que les marques chinoises vont dépasser les autres. Un véhicule à énergie renouvelable consiste en une batterie, une plateforme, un moteur électrique et des semi-conducteurs. «Aujourd’hui, la legacy (le savoir-faire) et l’ownership (la propriété) de ces composantes appartiennent aux Chinois», rappelle l’importateur de la marque BYD.

«Les niveaux d’intégration des marques chinoises dépassent déjà ceux des marques européennes. Le niveau de robotisation de leurs sites industriels est au dessus des 90%». Achraf Hajjaji a pu l’observer de ses yeux, chez eux. Ce qui va sortir dans les trois à cinq prochaines années, notamment avec la 5G, promet d’être époustouflant, ajoute-t-il. Il n’a pas vu l’équivalent chez les marques européennes.

Ces nouveaux constructeurs ont acquis la technologie, ils commencent à penser en termes de branding. Aujourd’hui, dans le monde, trois à quatre véhicules sur dix sont fabriqués en Chine, avance Adil Bennani. La production frôlerait les 30 millions de véhicules. Ce sont aussi six véhicules à énergie renouvelable sur dix. Or, cet état de fait est le résultat de 50 ans de travail.

Les Européens et les Américains ne vont pas rattraper le coup avec des barrières fiscales, estime le président de l’AIVAM. Il pense que cela ne va pas arrêter l’expansion chinoise.


Adil Bennani
Président de l’AIVAM

 «Ce que l’on voit aujourd’hui est le fruit d’une stratégie déployée depuis plus d’une cinquantaine d’années. Les cadres du pays ont constaté que les rapports convergeaient vers une problématique environnementale. Ils ont pensé à développer les énergies nouvelles, pour voir où il y avait des facteurs de succès que d’autres n’avaient pas. Parmi ces leviers, figuraient notamment les matériaux rares. C’est le point de départ de la réflexion sur les batteries».

Achraf Hajjaji
Directeur général adjoint d’Auto Nejma

«Les niveaux d’intégration des marques chinoises dépassent déjà ceux des marques européennes. Le niveau de robotisation de leurs sites industriels est au-dessus des 90%. Ce qui va sortir dans les trois à cinq prochaines années, notamment avec la 5G, promet d’être époustouflant».

Murtada Calamy / Les Inspirations ÉCO



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