CEDEAO : l’improbable hypothèse d’une intervention militaire au Niger
Après le putsch de la semaine dernière au Niger, le ton s’est considérablement durci avec les voisins ouest-africains et certains partenaires occidentaux. Mais dans la tourmente, Niamey a aussi trouvé des alliés auprès des régimes de transition malien et burkinabé. Que valent ces soutiens ? La menace d’une confrontation armée brandie par la CEDEAO peut-elle aboutir ? Éléments de réponse.
Se dirige-t-on vers une guerre fratricide au Sahel ? Il n’est point question ici d’une escalade dans la lutte qui oppose les gouvernements de la région aux groupes armés terroristes qui y ont essaimé depuis quelques années. Il est surtout question des retombées du coup d’État du 26 juillet au Niger, qui a porté les militaires du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) au pouvoir, sous le commandement du général Abdourahamane Tchiani. Depuis mercredi, les chefs d’état-major de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sont réunis pour évoquer la situation dans le pays. Il sera surtout question d’évoquer une possible intervention armée de la communauté ouest-africaine pour rétablir l’ordre constitutionnel au Niger. Du jamais-vu dans une région qui vit depuis trois ans quasiment au rythme des coups d’État militaire. Le Mali, le Burkina Faso et la Guinée, tous proches voisins du Niger, sont actuellement dirigés par des régimes issus de putschs.
Un dangereux précédent
Jusqu’à présent, la CEDEAO s’était contentée de sanctions économiques et diplomatiques, consistant pour l’essentiel à suspendre le pays concerné de ses instances, lui imposer un blocus économique, geler les avoirs de ses dirigeants considérés illégitimes, ou encore leur interdire de se déplacer au sein de la sous-région. Jamais il n’a été question de faire intervenir une force régionale pour déloger un dirigeant. «Il n’est plus temps pour nous d’envoyer des signaux d’alarme. Le temps est à l’action», a martelé dimanche Bola Tinubu, chef d’État du Nigéria voisin et président en exercice de la CEDEAO, lors d’un sommet extraordinaire de l’organisation. La préservation de la démocratie est l’argument qui sous-tendrait une intervention. Mais la CEDEAO peut-elle aussi librement intervenir dans un pays, sachant que le putsch s’est déroulé sans effusion de sang et que des manifestations de soutien de la population ont été organisées dès le lendemain ? Pour Henri Nzouzi, analyste géopolitique, la CEDEAO ne dispose à ce jour ni de la légitimité, ni des moyens logistiques pour mener une telle expédition.
«La CEDEAO n’est pas du tout structurée pour une intervention de ce type. Je pense qu’il s’agit d’avantage d’une posture pour mettre la pression sur les putschistes au Niger que d’une véritable volonté d’intervenir, car cela créerait un fâcheux précédent», explique l’expert.
En revanche, le politologue Ahmat Yacoub Dabio estime que la menace de la CEDEAO a des chances réelles d’aboutir, et pour une raison toute simple. «Un échec de la CEDEAO à faire partir les putschistes ne lui permettrait pas de survivre», explique le président du Centre d’études pour le développement et la prévention de l’extrémisme, un think tank basé au Tchad. Pour lui, vu les situations au Mali, au Burkina et en Guinée, l’organisation sous-régionale a tout intérêt à «montrer les muscles»
Quels soutiens pour Niamey ?
Isolé diplomatiquement, asphyxié économiquement par les sanctions, le Niger a reçu le soutien de ses voisins du Mali et du Burkina Faso, deux pays dont les dirigeants sont eux aussi issus de coups d’État militaires. Ces derniers ont rejeté en bloc les sanctions prononcées contre les putschistes nigériens, et sont même allés jusqu’à affirmer qu’une intervention militaire au Niger équivaudrait à une déclaration de guerre contre eux aussi. Dans ce contexte d’escalade, il convient de s’interroger sur ce que vaut réellement ce soutien.
Pour Henri Nzouzi, les positions affichées par Bamako et Ouagadougou sont cohérentes avec leurs propres situations.
«Ces deux pays ont connu des putschs et les responsables de ces putschs ne pouvaient pas aller à contre-courant de ce qui se passe actuellement au Niger. Et donc le soutien devait être affiché très clairement», estime l’analyste.
Mais au-delà de la valeur symbolique de ce soutien, il se pose une question d’ordre pratique. Le Mali et le Burkina ont-ils les moyens de mener une guerre par solidarité avec leurs voisins ? Très peu probable, dans la mesure où ces pays tentent depuis plusieurs années de mettre en déroute les groupes terroristes qui sévissent sur leur territoire depuis plus d’une décennie.
Sans grand succès pour le moment. Les échecs sur le plan sécuritaire figurent d’ailleurs parmi les raisons qui ont motivé les militaires à prendre le pouvoir à Bamako et Ouagadougou. Cette bataille n’ayant pas encore été remportée, il semblerait irréaliste et même «contre-productif» de voir les armées malienne et burkinabè se lancer sur un autre front. L’hypothèse d’un conflit armé au niveau de la CEDEAO semble donc assez loin de se concrétiser, la capacité à engager les hostilités étant quasi nulle, d’un côté comme de l’autre, et les implications de cette démarche étant assez graves. Il ne faut pas oublier qu’un embrasement, aussi improbable soit-il, ne servirait qu’à offrir un terrain toujours plus fertile aux groupes terroristes qui ont multiplié les tentatives de déstabilisation ces dernières années.
Darryl Ngomo / Les Inspirations ÉCO