Visite de Lavrov à New-York : rencontre secrète avec le Council of Foreign Affairs
Par Jawad Kerdoudi
Président de l’IMRI (Institut marocain des relations internationales)
Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, s’est rendu les 24 et 25 avril 2023 à New-York pour présider le Conseil de sécurité de l’ONU. En effet, la présidence tournante du Conseil de sécurité revient à chaque membre du Conseil tous les quinze mois, conformément aux règles du droit international. Le 3 avril 2023, ce fut le tour de la Russie de présider le Conseil de sécurité. Selon les révélations diffusées par le média américain NBC, Sergueï Lavrov a rencontré pendant son séjour à New-York trois personnalités importantes du Council of Foreign Affairs. Ce think-tank est un institut indépendant créé en 1921 à New-York, et dont le rôle est d’analyser la politique étrangère des États-Unis et la situation politique mondiale. C’est le centre de réflexion le plus influent aux États-Unis en politique étrangère, il dispose de 7.000 membres, d’un bureau à Washington, et publie une revue bimensuelle «Foreign Affairs». Les personnalités qui ont participé à la rencontre avec Lavrov sont Richard Haas, président du centre d’études du Conseil des relations étrangères, et deux autres experts du think-tank, Charles Kupchan, ancien fonctionnaire de la Maison Blanche, et Thomas Graham, ancien haut fonctionnaire du Département d’Etat (Affaires étrangères). À noter que les participants américains auraient informé le Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche, mais pas les dirigeants de l’Union européenne.
Horizon 2024
Selon des sources bien informées, Lavrov et ses interlocuteurs américains ont discuté «d’un plan pour quitter le champ de bataille pour la table des négociations». L’hypothèse prévoit des négociations d’ici la fin de l’année 2023, du fait de l’approche des élections présidentielles américaines en novembre 2024. Si un candidat républicain l’emporte, les États-Unis pourraient réduire leur engagement financier et militaire à soutenir l’Ukraine. Sur le terrain, la contre-offensive ukrainienne n’avance que très lentement, et il paraît difficile que l’armée ukrainienne puisse libérer la totalité des territoires occupés par la Russie à l’Est et en Crimée.
Aussi, afin d’éviter l’impasse et d’autres pertes humaines et matérielles, le plan prévoit un cessez-le-feu qui incite à la fois les forces russes et ukrainiennes de se retirer de la ligne de front. Il serait créée une «Zone démilitarisée» contrôlée par une organisation neutre, soit l’ONU, soit l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe). L’organisation choisie pourrait envoyer des observateurs pour surveiller le retrait des militaires. Si la trêve est respectée, des pourparlers de paix pourraient s’ouvrir entre la Russie et l’Ukraine. Outre la rencontre de Lavrov avec ses interlocuteurs américains, des contacts directs existent entre les États-Unis et la Russie afin d’examiner tous les paramètres des futures négociations. C’est ainsi que d’anciens responsables du Pentagone, dont Marie Beth Long, ancienne secrétaire adjoint à la défense, ont effectué des missions secrètes à Moscou.
Du côté russe, des contacts avec les Américains ont été suivis par des universitaires, des directeurs de groupes de réflexion, ou des instituts de recherche. Ont été discutés également le sort des prisonniers, de part et d’autre. En conclusion, on ne peut que se féliciter des contacts non officiels entre les États-Unis et la Russie en vue de trouver une solution à la guerre en Ukraine, et du rôle des think-tanks indépendants. Cette guerre qui a débuté le 24 février 2022 a entraîné des pertes humaines et matérielles considérables, dont notamment des villes ukrainiennes complètement détruites. La prolongation de la guerre ne fera qu’augmenter les morts, les blessés et les destructions. L’impasse réside dans le fait que le président Zelenski n’acceptera des négociations qu’après le retrait de l’armée russe des territoires ukrainiens occupés, y compris la Crimée.
De son côté, le président Poutine n’accepte pas de céder les territoires annexés par la Russie au Donbass et surtout la Crimée. Aussi, la solution pour mettre fin à cette guerre meurtrière ne peut aboutir qu’à un compromis entre les deux belligérants, surtout que le président Poutine a menacé à plusieurs reprises d’utiliser l’arme atomique en cas de nécessité, ce qui entraînerait une troisième guerre mondiale nucléaire. Valeur aujourd’hui, il est impossible de prévoir quand et dans quelles conditions aura lieu la fin de la guerre d’Ukraine. Le Sommet de l’OTAN prévu à Vilnius (Lituanie) les 11 et 12 juillet 2023 permettra peut-être de voir plus clair dans ce dramatique conflit.