Féminisation des instances de gouvernance : peut mieux faire !
La présence des femmes à différents niveaux de management reste largement minoritaire. La loi 19-20 modifiant et complétant la loi 17-95, relatives aux sociétés anonymes, vient apporter plus d’équilibre au sein des instances de gouvernance. Toutefois, des efforts restent à faire pour parvenir à une parité plus élargie au niveau de l’ensemble des entreprises.
Les inégalités de genre ont la peau dure. Que ce soit sur le marché du travail, au sein des entreprises et même dans les comités de direction, la parité reste à la traîne. Des pressions des pouvoirs publics, des investisseurs ou encore de la société civile s’exercent sur les sociétés et leurs instances de gouvernance pour que celles-ci introduisent plus de diversité. Cela a même fait l’objet d’une loi publiée en juillet dernier. Il s’agit de la loi 19-20 modifiant et complétant la loi 17-95 relatives aux sociétés anonymes.
Cette dernière porte sur cinq principaux axes dont le renforcement de l’approche genre et plus précisément la question d’une représentativité plus équilibrée des femmes et des hommes dans les organes d’administration et de contrôle. Ce texte prévoit l’équilibre entre les sexes dans la composition des Conseils d’Administration (article 39) et des Conseils de Surveillance (article 83) des sociétés faisant appel public à l’épargne. L’initiative a même été saluée par l’ONU Femmes. «En adoptant un quota progressif d’équilibre de genre de 30% au bout de trois ans et 40% à horizon de six ans, le Maroc fait un progrès important en faveur de l’égalité entre les sexes. Il matérialise ses engagements de mise en œuvre des dispositions de la CEDAW (Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes), notamment en ce qui concerne les mesures affirmatives provisoires», souligne l’organisation onusienne.
Sur le terrain, le changement commence à se faire sentir. Le baromètre de l’Institut Marocain des Administrateurs (IMA) des rapports ESG des émetteurs faisant appel public à l’épargne (qui sera bientôt publié) affiche des signaux au vert. Selon l’institut, ce rapport démontre un net progrès en 2020. En effet, la proportion des émetteurs ayant au moins une femme dans leur conseil est passée de 67% en 2019 à 75% en 2020. Parmi eux, 6 entreprises sur 10 ont entre deux et cinq femmes administrateurs.
Pour 2021, le quota pourra augmenter davantage grâce à l’application de la loi. En effet, le texte prévoit une «sanction» qui pourra motiver les entreprises à renforcer la présence des femmes au sein des comités décisionnels. «Il y a un élément dissuasif. Il s’agit de la suspension des jetons de présence dans les conseils qui ne se conforment pas à la composition des conseils telle que prévue par la loi (article 105-5)», précise Lamia El Bouanani, directrice exécutive de l’Institut Marocain des Administrateurs (IMA). Cette loi est certes une avancée majeure en matière de parité, mais elle comprend certaines faiblesses. Elle concerne à peine 93 sociétés faisant appel public à l’épargne. Son impact reste donc très limité.
«L’obligation de se conformer à une composition du conseil comprenant 40% de femmes d’ici le 1er janvier 2027 insufflera forcément des changements culturels au niveau des entreprises. Cela passera, entre autres, par le développement des mesures spécifiques en faveur de la promotion des femmes et leur accès à des responsabilités exécutives», indique El Bouanani. «Nous constatons déjà dans notre baromètre que les émetteurs ont communiqué davantage en 2020 sur les mesures en faveur de l’égalité hommes-femmes par rapport à 2019», ajoute-t-elle.
Plusieurs travaux de recherche et études académiques se sont penchés sur le sujet. Ils en ressort que la féminisation des conseils de gouvernance et la performance financière sont liées. Mais des freins résistent. Certains émanent même des femmes. «L’un des principaux obstacles qui peut freiner l’accès des femmes au C.A. est la relation qu’elles entretiennent avec le pouvoir. Souvent, elles aspirent à accéder au pouvoir pour accomplir des choses, remplir des objectifs précis dans un projet collectif, plutôt qu’à exercer le pouvoir pour ses attributs », explique Lamia El Bouanani. «Elles ne vont pas nécessairement activer leurs réseaux ou construire les alliances stratégiques en interne nécessaires pour les aider à accéder aux mandats d’administrateurs. C’est en cela que des associations, comme le Club des Femmes Administrateurs, jouent un rôle fondamental dans l’activation du réseau et la mise en visibilité des femmes», précise la directrice de l’IMA.
Tilila El Ghouari / Les Inspirations ÉCO