Tests salivaires Covid-19. La décision ministérielle, un juste retour des choses
Adnane Rhazali.
Président de la Chambre syndicale des biologistes
Que doit-on retenir de cette décision ministérielle ?
Mon point de vue sur le sujet est que cette décision constitue un juste retour des choses. Parce que les analyses médicales ont, de tout temps, été la spécialité des biologistes. Le rôle d’un laboratoire consiste à effectuer des analyses médicales.
Au début de la pandémie, il y a eu établissement d’un cahier de charges qui détermine les modalités selon lesquelles les biologistes pourraient réaliser les tests PCR et les tests de sérologie automatisés, comme cela a été spécifié. Au fil du temps, des laboratoires publics et privés ont été habilités à réaliser ces analyses.
Dans cette note du lundi 23 août, l’on doit retenir que l’éventail des analyses a été élargi aux tests antigéniques rapides, spécifiquement nasopharyngés et aux tests sérologiques rapides. Ceci vient enrichir la panoplie des analyses qui existaient déjà, et sera étendu à l’ensemble des laboratoires.
Le maillage national compte 400 laboratoires, permettant ainsi d’augmenter la capacité de dépistage du pays. Cette aptitude est élargie, également, aux cliniques et cabinets médicaux autorisés, à cet effet, par les autorités sanitaires régionales. Dans ce cas de figure, les analyses seront confiées à des professionnels.
Qu’est-ce qui explique le mouvement de cafouillage qu’on a pu voir à un moment donné ?
Effectivement, il y a eu un mouvement de cafouillage. Je n’en connais pas les raisons. Conséquence, des produits se sont retrouvés sur le marché sans y être autorisés.
Il y a eu désordre à ce moment-là, certains distributeurs n’ayant pas attendu l’autorisation du ministre de la Santé. La tutelle vient donc de trancher, pour rétablir la rigueur.
Il y a également eu une volonté de nos confrères pharmaciens de vendre des kits, voire de les réaliser par eux-mêmes.
En définitive, la commission nationale et scientifique a tranché, et fait part de son avis au ministère de la Santé. A la suite de quoi, la tutelle a pris la décision de ne pas autoriser les tests salivaires dans leur ensemble, pas seulement ceux produits par l’opérateur national Gigalab. D’ailleurs, l’ensemble des tests salivaires ne sont pas reconnus comme moyens de diagnostic fiables.
Trouvez-vous cette décision de la tutelle optimale dans la lutte contre la Covid-19 ? Comment l’accueillez-vous ?
Depuis le début de la pandémie, le ministère de la Santé a pris des décisions qui s’adaptaient à la conjoncture. En début de pandémie, nous-autres biologistes, avions beaucoup milité afin que les tests antigéniques soient généralisés à l’ensemble des laboratoires, ce qui nous avait été jusque là refusé.
Et maintenant, cela a enfin été autorisé, ce qui, selon la Chambre syndicale des biologistes, aurait dû intervenir plus tôt. Le timing des autorisations dépend du ministère de la Santé et de l’avis du Comité scientifique et technique, consultatif du Programme national de prévention et de contrôle de la grippe et des infections respiratoires aiguës. Je pense que la décision, concernant les tests salivaires, a été prise après avis du Comité scientifique.
Lors de la mise sur le marché des tests salivaires Gigalab, les biologistes s’étaient opposés à leur commercialisation estimant que le prélèvement de salive constitue un acte médical. Pouvez-vous nous en dire plus ?
C’est une polémique qui n’a pas lieu d’être. Le ministère de la Santé a d’ailleurs tranché. La réalisation d’analyses médicales est du ressort des médecins, s’agissant, effectivement, d’actes médicaux. Ils sont plus précisément de la compétence des biologistes. Les autotests posent problème.
Quand on va acheter son kit au niveau de la pharmacie et qu’on se le fait soi-même, est-ce qu’on le fait bien ? Deuxièmement, qu’est ce qu’on va en faire lorsque le résultat s’avère positif ? Qui va déclarer la maladie ? C’est tout une polémique sur laquelle le comité scientifique a tranché.
Ce sont des décisions qui requièrent de la sagesse, loin de tout corporatisme. Ce n’est pas parce que quelqu’un a importé quelque chose au Maroc qu’il doit user de tous les moyens pour pouvoir le vendre. Ces gens voient leurs produits non autorisés à la vente, et j’en suis désolé pour eux.
Mais la décision a été prise dans l’intérêt du citoyen marocain. Les tests antigéniques salivaires ne peuvent pas être utilisés au Maroc actuellement. Il se peut que les positions changent si la performance de ces tests s’améliore, ainsi que bien d’autres paramètres. Ce n’est pas à moi qu’il appartient d’en parler, mais aux membres du Comité scientifique, qui ont pris cette décision à juste titre.
Dans sa décision, le ministère a évoqué la problématique des prix. Il a notamment recommandé que les examens soient accessibles aux citoyens, et respectent la normalisation des prix des réactifs et la tarification des actes.
La question du prix est liée au coût, parce qu’une analyse ou un acte médical, quel qu’il soit, a un coût. Je ne parle même pas du savoir-faire des biologistes.
Dans nos coûts, interviennent les réactifs d’extraction et d’amplification, des consommables, des ressources humaines, qui sont généralement des scientifiques de laboratoires ou des facultés des sciences, de niveau BAC+4, les contrôles de qualité, les traitements de déchets…
Tous ces postes de charges contribuent au renchérissement du coût de l’analyse, lequel est évalué entre 360 DH et 420 DH, selon les cas. Donc, il n’y a pas lieu de parler de cherté. Maintenant, s’il y a des moyens pour que les réactifs importés le soient à moindre coût, nous sommes preneurs ! De toutes les façons, c’est un devoir national que nous assumons en tant que tel. Loin de nous l’idée d’engranger des bénéfices disproportionnés sur les tests PCR.
Tous les prix ont été étudiés de manière à les rendre accessibles à l’ensemble de la population.
Peut-on avoir une idée sur vos principales bases de sourcing de réactifs ?
Il y a une production nationale de réactifs pour les tests PCR, ce que nous applaudissons. Malheureusement, elle ne peut pas couvrir l’ensemble des besoins.
Le gros des importations vient d’Allemagne, des États-Unis, de Corée, et même de Chine. A ces principaux fournisseurs, s’ajoutent quelques pays du Nord de l’Europe, également. Le sourcing des réactifs est donc très diversifié.
Il y a des entreprises importantes qui sont implantées au Maroc depuis des années, telles que l’américain Abbott, le suisse Roche, l’allemand Siemens Healthineers et l’américain Danaher, et d’autres, qui ont noué des partenariats avec des laboratoires marocains depuis de longues années.
Propos recueillis par Modeste Kouamé