Reprise de la Samir par l’État? Aziz Rabbah s’explique
Entretien avec Aziz Rabbah. Ministre de l’Énergie, des mines et de l’environnement
L’option de la cession des actifs de la Samir à l’État est écartée, selon le ministre de l’Énergie, des mines et de l’environnement, Aziz Rabbah. Sur le dossier des énergies renouvelables, il estime que le Maroc est sur la bonne voie malgré quelques contraintes en cours de résolution. Il s’exprime aussi sur les tensions internes au sein du PJD qu’il tient à minimiser.
Le gouvernement est vertement critiqué sur le dossier de la Samir. Que pensez-vous des propositions de loi sur la cession des actifs de la Samir à l’État?
La reprise de la Samir par l’État n’est pas considérée comme une solution à la situation de la Samir. Le marché est devenu libre à la concurrence des intervenants. Depuis longtemps, l’État est ouvert aux investissements en matière de raffinage. Toute la logistique nécessaire notamment portuaire a été mise en place pour pouvoir donner un coup de fouet à des investissements en raffinage, à commencer par la reprise de la Samir par le secteur privé. Ces efforts s’inscrivent dans le cadre des orientations et des choix de l’État. A cela s’ajoute un élément important : le dossier de la Samir est entre les mains de la justice.
Mais ne pensez-vous pas que le dossier a beaucoup traîné ?
Il s’agit d’un dossier qui nécessite des négociations d’autant plus que l’héritage de la raffinerie est lourd. L’investisseur qui se décidera à se lancer doit prendre en considération l’ensemble des paramètres. Il négociera certainement les conditions de la reprise avec toutes les parties concernées, dont le prix, la part de marché, le rééchelonnement de la dette voire l’abandon d’une partie de cette dette…
Pourquoi l’État ne peut-il pas reprendre la Samir ?
L’Etat n’est plus investisseur dans plusieurs secteurs, il a plutôt pour rôle de créer les conditions propices pour l’investissement et d’approvisionner le marché dans de bonnes conditions. L’État n’a pas pour orientation d’acheter une usine. C’est, d’ailleurs, la tendance dans le monde. A l’exception de quelques activités et infrastructures de l’Etat, la majorité des activités économiques sont ouvertes à l’investissement et à la concurrence. La décision du tribunal vise la cession de la Samir, tout en maintenant son activité. Théoriquement, la société n’est pas à l’arrêt. Elle doit continuer à fonctionner. Pour ce faire, elle doit avoir les moyens pour renouveler l’outil, acheter les produits et faire fonctionner le système. Sauf qu’elle ne dispose pas de ces moyens à cause du poids considérable de la dette au niveau national et international. Ainsi, le raffinage n’est pas opérationnel en raison du manque des moyens. Par contre, les filiales de la Samir sont opérationnelles.
Où en est le contrat avec l’Office national des hydrocarbures et des mines portant sur les droits d’exploitation des réservoirs de la société de raffinage ?
Nous sommes en attente de l’avis juridique. Le dossier est déposé au niveau du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements. Il faut dire que l’avis des consultants juridiques est très important. Le pas doit être bien mesuré et encadré. Le fait de prendre les réservoirs et les louer aux concurrents de la Samir nécessite un avis juridique très pointu.
La gestion du dossier de libéralisation des prix des hydrocarbures continue de susciter des critiques. Que
comptez-vous faire à ce niveau-là ?
Le Conseil de la concurrence est en train de plancher sur le dossier. La libéralisation du marché nécessite un suivi par les instances de régulation qui veillent sur la concurrence. C’est ce que fait actuellement le conseil de la concurrence. La commission royale qui a été mise en place livrera son rapport sur la question. Outre le Conseil de la concurrence, d’autres agences de régulation sont mises en place. On entame une bonne expérience en matière de libéralisation de l’électricité en attendant la régulation du gaz. Je tiens, par ailleurs, à souligner que nous avons pris en considération les recommandations de la commission d’enquête parlementaire sur les prix des hydrocarbures en ouvrant davantage le marché à la concurrence. Dans ce cadre, des autorisations ont été données à de nouvelles sociétés qui opèrent déjà et d’autres suivront. Le système procédural a été revu pour l’octroi des autorisations. Concrètement, les efforts fournis ont permis d’engendrer plus d’investissement et plus de concurrence. Nous sommes aussi en train de revoir le système de contrôle de qualité et de traçabilité des produits. Un intérêt particulier est porté au volet de stockage. On enregistre, à cet égard, plus de 3 MMDH d’investissement. Et on tend à développer la logistique de l’énergie.
Comment expliquez-vous le retard dans la mise en œuvre de la stratégie des énergies renouvelables ?
Dans le cadre de la sécurisation de l’approvisionnement du pays en énergie électrique, le taux de réalisation capacités des projets de sources renouvelables enregistré à ce jour est satisfaisant (à fin 2020 il est de 37%). La seule contrainte entravant l’avancement de certains projets (sans impact sur la sécurité d’approvisionnement du pays en électricité) est liée principalement à la sécurisation de l’assiette foncière. Car la majorité des propriétés sont non immatriculées et la plupart des propriétaires ne disposent pas de documents attestant leur propriété (problèmes d’héritage, de délimitation, de conflits entre riverains, etc.). Cette contrainte a causé quelques glissements aux niveaux des dates de mise en service de certains projets ENR mais sans impact sur la sécurité d’approvisionnement du pays en électricité.
Comment peut-on résoudre ce problème ?
Un projet de loi complétant la loi n° 40-09 de l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE) relatif à une procédure spéciale d’expropriation pour cause d’utilité publique, a été finalisé avec les acteurs concernés. Il est en cours de réexamen après son retour du circuit d’approbation. Ce projet de loi permettra de relever les défis rencontrés dans le cadre de la réalisation des projets inscrits dans le programme d’investissement de l’ONEE, notamment les projets de production, de transport et de distribution de l’énergie électrique nécessitant la mobilisation des assiettes foncières. Il vise aussi à lever les contraintes liées à la procédure d’expropriation qui constituent des facteurs de blocage majeurs aux interventions de l’ONEE. Par ailleurs, il est lieu de souligner que la pandémie Covid-19 a également causé la suspension des travaux sur site pour certains projets et une cadence ralentie des travaux lors de la reprise. Cette pandémie a aussi empêché le déplacement des experts des fabricants des différents équipements pour réaliser les essais préparatoires à la mise en service de ces projets.
Le Maroc prévoit de dépasser 52 % de la puissance électrique installée à partir de sources renouvelables. Où en est ce chantier ?
Le Maroc a adopté une stratégie énergétique nationale selon un modèle basé sur la valorisation de ses ressources énergétiques renouvelables. Cette stratégie a connu un tournant historique grâce à la forte impulsion donnée par le souverain qui a décidé d’augmenter la part des énergies renouvelables dans la capacité électrique installée à 52% à l’horizon 2030. Et on s’attend même à cet objectif conformément aux instructions royales. À cet effet, le programme d’équipement en cours de validation au sein du Comité Stratégique et d’Investissement du secteur de l’électricité comprendra de nouvelles capacités de production. L’objectif est d’assurer l’adéquation entre l’offre et la demande d’une manière optimale tout en veillant à ce que la plupart des projets identifiés soient renouvelables (99%) et permettent d’atteindre l’objectif de 52% quitte même à le dépasser. La dynamique dans sa globalité est appréciée par des instances nationales et internationales. On va tirer les enseignements de cette décennie, depuis le lancement de la stratégie nationale pour entamer avec force une nouvelle décennie.
Quel regard portez-vous sur la situation financière de l’ONEE ?
Le contrat programme 2014/ 2017 a permis d’obtenir des résultats intéressants. Un nouveau contrat programme qui est en cours de préparation prendra en considération plusieurs volets dont les futurs investissements de l’office et l’optimisation de son fonctionnement. Il faut prendre en compte deux paramètres, à commencer par la tarification qui n’a pas été totalement révisée. Le gouvernement a en effet décidé de ne pas toucher aux tranches sociales pour sauvegarder le pouvoir d’achat des citoyens. Mais il s’agit d’un manque à gagner pour l’ONEE qui doit être comblé par des mesures d’accompagnement. Même si l’office a l’obligation de service public, il n’est pas en effet censé subventionner les prix. Au niveau de l’eau, aucun changement n’a été effectué depuis longtemps, même pour les tranches supérieures dont la tarification doit être révisée. Deuxièmement, même en cas de non-paiement, l’ONEE ne recourt pas à des coupures d’eau et d’électricité. Les discussions sont en cours avec le chef de gouvernement, le ministère des Finances et les différentes parties prenantes pour permettre à l’ONEE de faire face à ces deux grandes contraintes.
Passons au volet politique. Ne craignez-vous pas que les tensions internes que vit le PJD déteignent sur les résultats du parti aux prochaines élections ?
Le parti n’est pas une administration fermée, c’est un regroupement d’individus qui voient les choses de différents angles. Le PJD se démarque par la liberté d’expression qui est sacrée et le respect des décisions de ses institutions qui sont plus fortes que les individus. Notre parti a vécu des orages beaucoup plus intenses que ce que nous traversons aujourd’hui, depuis le premier débat sur la constitution de 1996.
Mais cette fois-ci, c’est la base qui est en colère contre la gestion du parti…
Lors du dernier conseil national qui est le parlement du parti, 90 % des membres ont exprimé leur soutien total à El Otmani, au gouvernement, aux parlementaires, aux maires et élus locaux. Nous sommes dans un système bien rôdé. Certaines voix sont très amplifiées, mais la réalité est autre. En 2003 après les attentats terroristes, le parti a vécu des moments très difficiles.
Il a aussi traversé l’année 2011 qui a été marquée par le débat sur la constitution et le mouvement du 20 février. Tout le monde s’attendait à une distorsion totale du PJD. Mais finalement, notre parti est parvenu avec brio à dépasser cette phase. Lors de la constitution du gouvernement El Otmani, le débat était beaucoup plus chaud que celui d’aujourd’hui. Tout le monde a exprimé son point de vue, mais les instances du parti ont tranché la question en soutenant le gouvernement. S’agissant de la reprise des relations entre le Maroc et l’État hébreux, le débat est légitime dans le cadre de la liberté d’expression. En fin de compte, ce n’est pas l’avis des individus qui prime, mais c’est la conclusion finale qui est adoptée par les institutions.
Vous ne croyez pas que votre position sur le dossier du rétablissement des relations entre le Maroc et Israël
relève de la schizophrénie ?
Nous faisons partie aujourd’hui des institutions de l’État et il est, dans ce cadre, de notre devoir de mettre en œuvre les orientations étatiques stratégiques, dans les meilleures conditions. D’ailleurs, dans toutes les démocraties du monde, quand on est dans les sphères de décision, un gap existe entre les convictions et les décisions à prendre. À titre d’exemple, Macron du Mouvement n’est pas celui qui est devenu président de la France. Il faut prendre en considération les grandes priorités des institutions de l’État, ses contraintes, ses intérêts suprêmes même si on a des points de vue différents. Si on n’accepte pas cette situation, on a qu’à démissionner ; et il ne s’agit pas d’une décision individuelle.
Vous avez discuté l’option de la démission ?
Dans un moment historique pour notre pays et pour la cause de l’intégrité territoriale du royaume, ce n’est pas le PJD qui prendra cette décision. Nous sommes aujourd’hui face à un grand combat, celui de confirmer notre unité territoriale. Le Maroc a besoin de toutes ses composantes et forces vives. Au-delà de l’objectif de gagner la cause nationale, l’enjeu est de développer cette zone qui va permettre à notre pays de se hisser au rang des pays émergents et de proposer au monde une solution qui impactera certainement les relations internationales et l’économie internationale.
Ne craignez-vous pas la reproduction du scénario de l’USFP sous l’effet de l’usure du pouvoir ?
Le pouvoir n’use pas. Les partis politiques s’affaiblissent pour deux grandes causes. La première est relative à une question de la plus haute importance : la transparence. Les citoyens peuvent comprendre la non-réalisation de certains engagements, mais ne peuvent pas pardonner l’atteinte à l’éthique. Après plus de douze ans de gestion de la chose publique locale et dix ans de gestion gouvernementale par le PJD, quelques cas de maladresses liées à l’application de la loi pourraient être enregistrés, mais ils font l’exception. Le deuxième élément est relatif à la baisse du rythme de militantisme auprès de la population. Il ne faut pas rompre les relations avec les citoyens et abandonner leur encadrement. Ce n’est pas le cas du PJD qui veille au respect de la transparence et à la propreté de l’action de ses élus et de ses responsables. Nous continuons à être très proches de la population.
Etes-vous pour l’instauration de l’incompatibilité entre le mandat de ministre ou de député et celui de maire ?
Entre député et maire, je ne suis pas d’accord pour l’instauration de l’incompatibilité car cela risque d’éloigner le parlementaire de la réalité locale et d’affaiblir les maires. Le fait d’être parlementaire permet au maire de défendre davantage les causes des collectivités locales au sein du parlement.
Je suis, par ailleurs, pour l’instauration de l’incompatibilité entre le mandat de ministre et d’autres fonctions.
Vous êtes critiqué pour votre gestion de la ville de Kénitra, surtout sur le dossier du transport… Qu’en dites-vous ?
Ce n’est pas vrai. Les critiques n’émanent que de quelques journalistes et certains individus qui font partie de l’opposition. Les habitants de Kénitra font aujourd’hui la différence entre la ville sous la direction du PJD et la situation d’avant. En ce qui concerne le transport, on est passé par un grand conflit avec la société délégataire. Le dossier est, d’ailleurs, entre les mains de la justice. Nous avons trouvé la solution et le problème sera résolu sous peu.
Les chantiers phares au niveau législatif
En vue d’accompagner la mise en œuvre de la stratégie énergétique nationale, il a fallu lancer tout un chantier d’amélioration de l’arsenal juridique régissant le secteur. On peut citer, entre autres, l’élaboration et la publication du décret n°2.20.370 relatif à l’approbation de la convention tripartie fixant les modalités du transfert des activités ENR de l’ONEE à MASEN et l’élaboration et la publication (pour enquête) du projet de loi sur l’autoproduction. Ce projet de loi vise à encadrer les conditions et les modalités d’autorisation de l’autoproduction. À cela s’ajoutent le projet de loi complétant la loi n° 40-09 de l’ONEE relatif à une procédure spéciale d’expropriation pour cause d’utilité publique (mis au circuit d’approbation), le projet de loi complétant la loi n° 40-09 de l’ONEE relatif aux agents verbalisateurs de l’Office (envoyé au SGG pour publication), le projet de décret fixant les prescriptions techniques relatives aux conditions de raccordement et d’accès aux réseaux électriques de moyenne tension de la distribution et les règles concernant leur utilisation. Il s’agit aussi du projet de loi fixant les conditions de travail et d’emploi des électriciens agrées chargés des installations électriques BT/MT (en cours de finalisation en concertation avec les parties prenantes).
Capacité développée en énergie renouvelables
• 3950 MW déjà opérationnelle (750 MW solaire, 1430 MW éolien, et 1770 MW hydroélectrique), soit plus de 37% de la capacité totale installée.
• 100% de la capacité à développer à l’horizon 2024 est de sources renouvelables.
• Les énergies renouvelables contribuent actuellement à environ 20% pour répondre à la demande électrique.
• La dépendance énergétique est passée de 97,5% en 2009 à 91,7%.
• 100 projets EnR sont réalisés, en cours de réalisation ou de développement.
• 47 projets EnR réalisés jusqu’à aujourd’hui avec un investissement global d’environ 52,2 milliards de DH.
• L’investissement total pour les projets en développement : environ 53,8 milliards de DH.
• 34 entreprises internationales présentes au Maroc, dont cinq marocaines.
Jihane Gattioui / Les Inspirations Éco