Conflit d’intérêts. La déclaration d’activité bientôt obligatoire
Un projet de loi visant la lutte contre les conflits d’intérêts est en cours de préparation par le département de la Réforme de l’administration. Ce texte ambitieux allie des dispositions répressives et préventives. Il entend dépasser les dysfonctionnements de la législation actuelle qui est très lacunaire. La déclaration d’activité devra être obligatoire pour les personnes concernées.
Fini les tergiversations ? Il faut dire que le dossier nécessite une véritable volonté politique pour bien cerner le phénomène des conflits d’intérêts. Le gouvernement entend prendre le taureau par les cornes. Un projet de loi est en effet en cours de préparation par le département de la Réforme de l’administration pour prévenir les situations de conflit d’intérêts.
Le ministre de l’Économie, des finances et de la réforme de l’administration, Mohamed Benchaâboun, s’est récemment engagé devant les députés à soumettre le texte à l’institution législative lors de cette session automnale. Le texte s’assigne nombre d’objectifs ambitieux, à commencer par le traitement des dysfonctionnements du système juridique actuel. Ce projet est très attendu au niveau du secteur public pour combler les lacunes juridiques et procédurales en la matière, et rendre la gestion au sein de l’administration plus efficace et transparente.
De quoi s’agit-il, concrètement ?
L’arsenal juridique national est composé de plusieurs textes portant sur la lutte contre les conflits d’intérêts. Mais, il demeure lacunaire et émaillé de nombre d’insuffisances. Les procédures ne sont pas assez verrouillées pour éviter les conflits d’intérêts et resserrer, par conséquent, l’étau autour de la corruption. Selon l’Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption (INPPLC), le législateur marocain s’est contenté de mettre en place des règles et des freins pour éviter les situations de conflit d’intérêts, sans pour autant les incriminer.
Le Maroc est ainsi appelé à adopter des mécanismes pour gérer les conflits d’intérêts dans tous les domaines. Les dispositions légales actuelles ne concernent que les gains économiques alors que les déclarations doivent comporter les activités et les intérêts susceptibles de présenter un conflit d’intérêts en vue de faciliter la détection précoce des activités illicites.
La future législation devra s’attaquer à toutes ces problématiques. Selon nos sources, le projet de loi comportera une batterie de mesures visant le renforcement de l’intégrité et la transparence dans la gestion des affaires publiques. Ainsi, à titre d’exemple, le texte devra contenir le mécanisme de déclaration d’activités qui doit être obligatoire, à l’instar de nombre de législations internationales.
À titre d’exemple, le législateur français impose aux personnes concernées de déclarer non seulement leur patrimoine, mais aussi les intérêts ayant trait à leurs précédentes et actuelles activités professionnelles, les différentes participations aux instances exécutives publiques ou privées ainsi que les activités de volontariat et la profession du conjoint. Le texte sera basé sur une approche intégrée alliant les procédures préventives et répressives.
En effet, le projet de loi vise, d’une part, à renforcer les mécanismes de prévention et, d’autre part, à instaurer de nouvelles dispositions incriminant les conflits d’intérêts, en vue d’une meilleure reddition des comptes. À cet égard, la déclaration des agents publics concernés devra se faire en amont et toute fausse déclaration devra être passible de sanctions.
Sur le volet répressif, le gouvernement gagnerait à prendre en considération les propositions de l’instance de probité qui recommande d’adopter des mesures d’interpellation et de sanctions, le cas échéant, pour les situations de non-présentation, de retard ou de non-conformité des déclarations prévues à ce sujet par la loi. «Les sanctions pouvant être d’ordre disciplinaire, pécuniaire ou de suspension temporaire. Elles peuvent aller jusqu’à la révocation et/ou l’application de peines d’emprisonnement, en fonction de la gravité de la situation.
La publication des sanctions, qu’elle qu’en soit la nature, est une mesure d’accompagnement à effet dissuasif», d’après l’INPPLC. Sur le plan préventif, le gouvernement mise sur la transparence pour dépasser la situation actuelle marquée par un grand flou sur le plan législatif.
Dans ce cadre, des règles de conduite bien définies pour les agents publics pendant et après l’exercice de leurs fonctions seront établies pour prévenir les situations de conflit d’intérêts.
À cela s’ajoutent l’instauration des procédures nécessaires pour éviter les conflits d’intérêts et la mise en place des moyens et mécanismes de traitement des différents cas. Le suivi et le contrôle des déclarations d’activité des personnes concernées s’avèrent être de la plus haute importance. Le gouvernement est appelé, dans ce cadre, à octroyer à l’une des instances nationales publiques cette mission en la dotant des pouvoirs et des moyens adéquats pour exercer cette responsabilité (l’INPPLC par exemple).
Responsabilités électorales les agents publics ne sont pas les seuls concernés par ce dossier. Le projet de loi tend à réduire le risque de conflit d’intérêts dans l’exercice des missions et responsabilités non seulement professionnelles, mais aussi électorales. Le sujet a été évoqué à plusieurs reprises au sein de l’institution législative. L’expérience démontre que le renforcement de la législation s’impose aussi bien pour les élus régionaux et locaux que les parlementaires et les membres du gouvernement.
Ce débat est d’une grande actualité à la veille des élections législatives, communales et régionales. Certains députés ont récemment souligné la nécessité d’instaurer le principe de conflit d’intérêts entre «l’argent» et la politique. Le sujet risque d’attiser les débats au sein de l’institution législative, lors de l’examen de la réforme de l’arsenal juridique régissant les élections. Pour certains acteurs politiques, il s’avère nécessaire de séparer la politique du monde des affaires en raison des conflits d’intérêts qui pourraient résulter du mariage des deux.
À cet égard, les règles et les procédures doivent être claires sinon transparentes pour mettre fin à la crise de confiance qui touche les institutions politiques au Maroc. Même la définition du concept de conflit d’intérêts devra être claire et complète. Le législateur est appelé à mettre fin à «l’imprécision» dans la législation actuelle de ce concept qui ne permet pas de détecter plusieurs de ses formes, comme le cumul des fonctions.
Jihane Gattioui / Les Inspirations Éco