Nécessité d’une loi de Finances rectificative en 2021 ?
Benchaâboun se dit «prêt à interagir avec les propositions d’amendements concernant la contribution de solidarité pour les personnes physiques».
La mission du ministre de l’Économie, des finances et de la réforme de l’administration, Mohamed Benchaâboun, ne sera pas de tout repos lors de la fatidique phase du vote des propositions d’amendement, prévue la semaine prochaine. Il pourra, comme à l’accoutumée, tirer son épingle du jeu en comptant sur l’appui de la majorité à la Chambre basse. Néanmoins, cette fois-ci, il devra user de beaucoup de tact face à une opposition qui a décidé de resserrer ses rangs et qui devient de plus en plus virulente. Le Parti authenticité et modernité (PAM), le Parti de l’Istiqlal (PI) et le Parti du progrès et du socialisme (PPS) parlent en effet de la même voix. Les trois formations, qui ont resserré leurs rangs, se sont fendues d’un communiqué, accusant le gouvernement et sa majorité de «mépriser les priorités de l’heure». Les trois partis de l’opposition considèrent le projet de loi de Finances (PLF) comme un projet «décevant, qui manque de vision politique, d’esprit et d’audace pour proposer des solutions innovantes. Un projet incapable de répondre aux véritables attentes des Marocains, et qui ne fait que reconduire les mêmes approches inefficaces».
Critiques acerbes
Le poids numérique de ces trois partis, qui comptent 40% des parlementaires à la Chambre des représentants, ne leur permettra pas de marquer de leur empreinte le PLF. Cependant, ils comptent peser de tout leur poids pour faire fléchir le gouvernement sur certains points. L’argentier du royaume pourra toujours brandir la carte de l’article 77 de la Constitution permettant au gouvernement d’opposer «l’irrecevabilité de toute proposition ou amendement formulés par les membres du Parlement lorsque leur adoption aurait pour conséquence, par rapport à la loi de Finances, soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique». Ce «veto», actionné l’année dernière par Mohamed Benchaâboun, permet de «sauver» le gouvernement quand les parlementaires de la majorité hésitent à soutenir l’Exécutif. En tout cas, le chef du département des Finances sera amené à lâcher du lest sur certaines mesures critiquées tant par l’opposition que par la majorité, et à leur tête la contribution sociale de solidarité. Faut-il le rappeler, cette mesure a suscité un grand débat au sein de la Commission des finances. Aujourd’hui, tout porte à croire que cette disposition sera amendée aussi bien par l’opposition que par la majorité. Si les parlementaires adhèrent au principe de solidarité, ce sont plutôt les détails de sa mise en œuvre qui posent problème, selon les députés, certains appelant à augmenter le seuil d’application de cette mesure et à adopter un barème progressif sur les salaires.
Le gouvernement est accusé d’avoir choisi une solution de facilité en décidant de «toujours taxer les mêmes» au lieu de s’attaquer à d’autres réformes, comme celle de la fiscalité, qui connaît un retard abyssal alors qu’elle aurait dû être une priorité en ces temps de crise. Benchaâboun, qui a défendu bec et ongles les dispositions du projet de loi de Finances et réfuté catégoriquement les critiques virulentes des députés, se dit «prêt à interagir avec les propositions d’amendements concernant la contribution de solidarité pour les personnes physiques». Il apparaît clairement que le ministre n’entend pas céder concernant la contribution de solidarité pour les entreprises dont «99% ne sont pas concernées par cette mesure car leur déclaration de bénéfices ne dépasse pas 5 MDH». Quant aux salariés, seuls 8% sont concernés par cette contribution. En effet, 92% des salariés touchent moins de 10.000 DH. Benchaâboun justifie le recours à la contribution sociale de solidarité par la conjoncture exceptionnelle ayant heurté de plein fouet les ressources financières du Maroc ainsi que la nécessité de mettre en place le grand chantier de la réforme relatif à la généralisation de la couverture médicale obligatoire, qui concerne 22 millions de Marocains dont 10 millions de RAMEDistes. «Cette catégorie ne mérite-t-elle pas qu’on se solidarise avec elle pour qu’elle puisse accéder aux soins dans des conditions qui préservent sa dignité ?», s’exclame l’argentier du royaume.
Des alternatives
Le débat sur cette question est loin d’être clos. Plusieurs alternatives sont proposées par les parlementaires pour éviter «de taxer la classe moyenne dont le pouvoir d’achat ne cesse de s’effriter». Il s’agit, à titre d’exemple, de la mise en place de l’impôt sur la fortune en cette période de vaches maigres afin de réduire les disparités sociales et sortir de l’austérité. On s’attend à ce que cet amendement soit proposé par plusieurs groupes parlementaires. Les députés reprochent au gouvernement de ne pas avoir pensé à des financements innovants pouvant sauver l’économie nationale en cette conjoncture difficile, à tous les niveaux. À ce titre, certains appellent à s’attaquer enfin à la rente qui freine la dynamique de l’économie nationale. S’agissant des investissements, quelques députés ont affiché leurs doutes quant au chiffre de 230 MMDH annoncé par le gouvernement. S’agit-il d’un chiffre réel ? Quid du taux d’exécution des précédents Budgets? Aura-t-il un impact concret sur les citoyens ? Sur ce point, Benchaâboun est on ne peut plus clair : les 230 MMDH annoncés englobent les investissements du Fonds Mohammed VI pour l’investissement (45 MMDH), ceux du Budget général de l’État et des établissements et entreprises publics ainsi que ceux des collectivités territoriales, estimés à 185 MMDH. Quant aux taux d’exécution des investissements publics, «ceux-ci ont enregistré une avancée considérable au cours des dernières années», selon le responsable gouvernemental. À fin 2019, le taux d’exécution a atteint 78% pour le Budget général de l’État et 72% pour les établissements et entreprises publics. Pour l’année 2020, ces taux sont respectivement de 54% et 49% (jusqu’en septembre).
Véracité des chiffres
Par ailleurs, le gouvernement a été vertement critiqué sur les budgets des secteurs sociaux, surtout la santé et l’enseignement. On reproche à l’Exécutif le manque de clarté sur ce dossier, et certains parlementaires ont même émis des doutes quant à la véracité des chiffres relatifs à ce secteur. À cet égard, le ministre de l’Économie rassure, précisant que la loi de Finances 2020 a été rectifiée sur la base de la conjoncture exceptionnelle actuelle, avec les corollaires que sont la baisse des ressources et l’augmentation du déficit budgétaire et du taux d’endettement. Aussi, estime-t-il, la comparaison avec une année ordinaire n’est pas pertinente, «dans le sens où les efforts déployés au niveau des crédits et postes budgétaires des secteurs de la santé et de l’éducation sont des efforts exceptionnels, sous le poids d’une conjoncture difficile qui interpelle à la valorisation des efforts consentis et non l’invention de certaines comparaisons partiales».
L’Exécutif est appelé à revoir sa copie, à commencer par les hypothèses sur lesquelles est basé le projet de loi de Finances. Les prévisions sont jugées trop optimistes par certains députés. Ainsi, nombreux sont ceux qui s’attendent à ce que le Maroc recoure à une loi de Finances rectificative début 2021 pour corriger les erreurs liées aux prévisions, en raison de l’incertitude qui plane non seulement sur l’évolution de l’économie internationale, mais aussi sur la saison agricole qui ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices, alors que le PLF table sur la progression de la valeur ajoutée agricole de 11%. En réponse aux remarques des parlementaires, Benchaâboun précise que l’élaboration du projet de loi de Finances 2021, appuyée par 13 rapports rédigés par des cadres du ministère en collaboration avec plusieurs départements, est soumise à une méthode approfondie, qui prend en compte l’ensemble des critères relatifs à la crédibilité des prévisions et objectifs et dépend d’une analyse minutieuse de la conjoncture.
Jihane Gattioui / Les Inspirations Éco