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Avis d’expert: quels scénarios pour initier un plan de continuité d’activité?

Jihane Benslimane, experte en consulting, explique l’intérêt d’un plan de continuité d’activité pour les entreprises en cette période de crise sanitaire. Celle qui occupe la fonction de Directrice Pôle Conseil & formation chez Hera Consulting Group dessine également les scénarios, très importants pour la continuité de l’activité, pouvant intervenir dans la phase de sortie de crise.

Quel est l’intérêt de la mise en place d’un plan de continuité d’activité (PCA)?
La gestion du plan de continuité d’activité se définit comme un système de management holistique spécifiant les menaces potentielles pour une organisation, les impacts qui en découlent, le degré de probabilité de ces menaces sur l’activité de l’entreprise ainsi que les actions à réaliser quand ces menaces se présentent. À mon avis, le plan de continuité d’activité peut être une véritable solution de résilience pour les entreprises marocaines durant la crise sanitaire actuelle. Il s’agit aussi d’un bon moyen de décliner la stratégie et d’organiser un ensemble de dispositions pour la reprise et la continuité des activités après le déconfinement. Chaque PCA doit répondre aux obligations externes de l’entreprise (législatives ou réglementaires, contractuelles) ou internes (conquête de parts de marché, survie de l’entreprise, notoriété, marque employeur, cohésion d’équipe, équilibre social…) et tenir compte d’objectifs réalistes.

Est-ce que les entreprises marocaines ont déclenché leur PCA?
Les plans de continuité d’activité sont déclenchés par certaines entreprises mais pas encore adoptés et mis en œuvre par la majorité. L’apprentissage que nous pouvons faire des grandes crises ou des catastrophes mondiales passées est que les organisations ayant préparé une démarche préalable visant à garantir la continuité de leur activité sont les plus armées face à la situation actuelle. Cependant, les entreprises marocaines qui ne l’ont pas encore mis en place doivent le faire au plus vite, avant la reprise d’activité. Mettre en place un plan de continuité d’activité (PCA) ou Plan de retour à l’activité (PRA) permet de limiter l’ensemble des impacts liés à l’interruption d’activité. Nous pouvons rappeler ici les différentes conséquences lourdes que subissent les entreprises actuellement telles que les conséquences financières dont la fragilité de la trésorerie, la perte des clients et des parts de marché, la notoriété de l’entreprise, son image de marque, les soucis de fonctionnement interne ainsi que la satisfaction des collaborateurs, et enfin des conséquences juridiques (poursuites en cas de manquement aux obligations, modifications de règlement intérieur et contrats…). Je suggère aux dirigeants, avant de créer un plan de continuité d’activité dans l’urgence, chose qu’impose la crise sanitaire, de se faire accompagner par des cabinets externes pour un résultat rapide et optimisé. Que ce soit en gestion totale interne ou avec le soutien d’experts, il est essentiel de prendre conscience de certains points: citer les menaces de manière pessimiste et de les accepter ainsi que les risques potentiels pour la structure; éviter d’arrêter ou de lancer des activités sur la base des risques; transférer l’activité ou la responsabilité à un tiers (prestataire, assurance…); traiter les risques en amont et en aval et évaluer l’occurrence ou la probabilité d’occurrence.

Quelles sont les parties prenantes auxquelles peut s’adresser un PCA?
La cellule de crise comprend des moyens financiers, des moyens humains et les procédures permettant de gérer les contraintes et d’assurer la reprise de l’activité. Les parties prenantes qui doivent prendre part à cette cellule de crise sont, premièrement, les fournisseurs. Il s’agit de vérifier l’engagement contractuel avec les fournisseurs clés, de mettre en place une stratégie d’achats multifournisseurs et d’internaliser certaines activités en prestation. Deuxièmement, il y a le responsable production; il est essentiel de planifier la production en substitution en cas de problème sur le site de l’entreprise. Viennent ensuite les responsables informatique, réseaux, télécoms: ils doivent mettre en place des procédures, des modes d’emploi, une assistance technique, des stratégies de secours, et de manager efficacement les ressources humaines ou techniques en cas de nécessité. Quatrièmement, il y a le responsable des ressources humaines. Le service RH a pour obligation de mettre en place des mesures exceptionnelles permettant d’assurer l’acheminement ou le remplacement de certains collaborateurs. Cinquièmement, on retrouve le responsable qualité: il est tenu de rassembler la documentation de procédures, de créer un référentiel reprenant les mesures d’anticipation, de contournement, les formulaires métiers… La reprise ou la continuité d’activité sont des enjeux stratégiques importants. L’entreprise doit s’assurer que ces démarches sont traitées de manière optimale et dans un court délai. Il est possible d’élaborer son PRA ou son PCA en interne, si l’on dispose des compétences nécessaires au sein de son personnel. Dans le cas contraire, il sera recommandé de confier cette démarche à un cabinet de conseil externe disposant d’une expertise et des ressources nécessaires.

Est-ce que la mise en place d’une cellule de crise est indispensable dans la situation actuelle?
La phase de sortie de crise est extrêmement critique et risquée pour la continuité de l’activité. Elle doit être parfaitement anticipée et maîtrisée dans son exécution (priorités, délais…) pour favoriser le retour à une situation sous contrôle à moyen terme. Il est donc indispensable actuellement de mettre en place, en urgence, une cellule de crise qui va travailler sur le PCA ou le PSC (plan de sortie de crise). La sortie de crise -ou plan de sortie de crise- ne peut être un succès que si celui-ci est clair. Celui-ci doit être compact, incluant un nombre d’initiatives limité visant des objectifs à court et moyen termes (qui ne dépassent pas quelques mois) très concrets et réalistes. D’après nos chiffres, le nombre d’entreprises marocaines ayant mis en place une cellule de crise pour préparer la démarche de continuité d’activité ou de reprise d’activité reste encore très limitée. J’encourage les entreprises marocaines, toutes tailles confondues, à mettre en place une cellule de crise et à réfléchir à un plan de reprise d’activité durant le confinement actuel.

Comment jugez-vous le comportement des entreprises par rapport à la situation inédite du coronavirus?
Nous n’avons pas l’occasion encore de travailler avec l’ensemble des entreprises marocaines mais nos enquêtes pendant le confinement ont démontré une déstabilisation et un manque de contrôle général de la crise. Certaines entreprises ont mis en place une cellule de crise et un plan de continuité d’activité ou de reprise d’activité, mais elles ne sont pas nombreuses. D’autres ont encore du mal à accepter la réalité actuelle et ne concentrent pas encore leur énergie dans la reconstruction. De plus, l’enquête d’Hera Consulting Group pendant le confinement a démontré que dirigeants comme collaborateurs attendent la suite des événements liés à la crise sanitaire. Or, le Maroc a pris les bonnes décisions et avec réactivité, ce qui permet aujourd’hui à la Nation de gagner en notoriété internationale. Il s’agit là d’une opportunité inouïe pour les entreprises marocaines de démontrer leurs capacités d’innovation, de production, de compétences avec les ressources qu’elles ont à leur disposition. Cette crise sanitaire doit donc permettre aux entreprises de réfléchir à une nouvelle manière de travailler et de réinventer leurs chaines de valeur post-crise.

Qu’en est-il des collaborateurs? Quels conseils pouvez-vous leur donner?
Les collaborateurs sont les ressources qui permettront aux différentes entreprises marocaines de rebondir pour non seulement mener leur plan de sortie de crise, mais aussi et surtout pour proposer de nouvelles méthodes de travail ou des innovations plus adaptées à la chaîne de valeur future et aux nouvelles habitudes. Je conseille fortement aux dirigeants comme aux collaborateurs de sortir de leur zone de confort et de réfléchir ensemble à créer une véritable valeur ajoutée post-Covid-19, et ce, dans tous les secteurs d’activité. De plus, nous ne sommes pas à l’abri de nouvelles crises sanitaires ou de cyber-crise. Il est donc essentiel que l’ensemble des ressources humaines anticipent d’éventuels nouveaux risques en proposant des innovations.

Plusieurs entreprises se ruent vers les banques pour demander nouveaux crédits et, ainsi, assurer leur trésorerie. Est-ce une bonne opportunité?
La décision dépend bien entendu de la tenue de la trésorerie de chaque entreprise. Cette crise sanitaire a justement donné une transparence quant à la gestion des entreprises et leur pérennité. Certaines entreprises n’hésitent pas à nous contacter pour un diagnostic dans ce sens avant de prendre leur décision. Malheureusement, cette notion de pérennité n’est pas encore bien ancrée dans la vision des entreprises marocaines. Je suggérerais aux entreprises qui n’ont pas de réels besoins en trésorerie de se concentrer sur des objectifs de résilience après crise et de profiter des relocalisations nationales et régionales de la production future. En effet, cette crise a non seulement permis au Maroc de se mettre en avant, mais également de démontrer ses compétences et sa réactivité dans les domaines médical, industriel, humanitaire, marketing, logistique, des nouvelles technologies, de la communication, etc. Le Covid-19 a clairement démontré la dépendance de l’économie mondiale à la Chine. Beaucoup d’entreprises vont sûrement rapatrier des activités dans leur pays ou dans la région proche. Le Maroc, dans le bassin euro-méditerranéen-Afrique, peut bien entendu saisir l’opportunité des relocalisations futures qui vont être faites par les entreprises étrangères.

Comment jugez-vous les mesures mises en place par le Maroc? Sur quoi doit-on capitaliser pour améliorer l’économie nationale?
Il n’est pas à cacher -et la presse internationale confirme tous les jours mes dires- que le Maroc, en comparaison avec d’autres pays développés, a été proactif pour la mise en place d’urgence de mesures stratégiques, limitant ainsi beaucoup de risques et leurs corollaires. Cette crise sanitaire a clairement montré comment les États et les différents gouvernements prenaient leurs décisions stratégiques et leurs priorités. Notre souverain et notre gouvernement ainsi que les différents corps de métier au front ont pris les meilleures décisions en un temps record. Tous les États n’ont pas eu cette chance. Il est important que l’ensemble des entreprises suivent cet exemple qui aura un impact certain sur la relance de l’économie nationale. En stratégie d’entreprise, je précise toujours à mes clients qu’une faiblesse peut devenir un besoin et se transformer en opportunité stratégique sur le marché. La digitalisation rapide et urgente dans différents domaines comme l’éducation, l’économie, l’administration, etc. est un tremplin pour le Maroc. Cependant, il est encore question de minimiser les risques de cybercriminalité ou cyber-risques. Je conseille aux entreprises et aux administrations décidant de la réglementation en vigueur de se pencher durant cette crise sanitaire sur le sujet.

En général quels enseignements peut-on tirer de cette crise?
Tout d’abord, je présente mes condoléances et mon soutien aux familles des victimes du Covid-19. Cette crise sanitaire, comme les différents chocs sanitaires mondiaux historiques, va changer nos vies, notre vision, nos méthodes de travail. Il s’agit là d’une étape très importante dans la conduite du changement au Maroc aussi bien au niveau macroéconomique qu’au niveau de l’entreprise ou de la vie du collaborateur. Elle a cependant des conséquences positives comme la discipline et le respect des autorités, le développement du E-commerce, de la réglementation, la prise de conscience de l’importance de l’hygiène sanitaire, la réduction du secteur informel, l’importance du système de santé et d’éducation, etc. De ce fait, elle prouve également que le Maroc, avec ses moyens, peut faire la différence et cette idée optimiste et réaliste est à dupliquer aussi bien dans les entreprises déjà installées que dans l’auto-entrepreneuriat. L’importance de faire des plans d’action stratégiques, d’analyser constamment les risques, les impacts et d’organiser des PCA ou des PSC devient primordiale dans la vie et la pérennité d’une entreprise, quelle que soit sa taille.

Comment doivent réfléchir les entreprises, après le confinement?
Les entreprises doivent justement mettre en place ce type de plan d’action stratégique soit en interne, soit en faisant appel à des cabinets spécialisés. Le plan de sortie de crise doit prendre en compte le démarrage des activités par étape à court et à moyen termes (suite au confinement, à trois mois, à six mois, à douze mois) et les résultats attendus sur chaque phase. Après confinement, il est essentiel de mettre constamment en place des plans d’action et des plans d’amélioration continu pour répondre et maîtriser chaque menace de l’environnement de l’entreprise qui pourrait avoir une conséquence négative sur l’activité. Ce mode de gestion stratégique est principalement basé sur l’idée que l’entreprise doit être motrice du changement et ne pas le subir. «Mieux vaut prendre le changement par la main avant qu’il ne nous prenne par la gorge», tel que l’avait précisé William Churchill.


PCA : mode d’emploi
La mise en place d’un PCA ou d’un PRA implique une organisation, et par conséquent la mise en place de procédures pour limiter les impacts, indiquer les risques et les responsabilités. Les grandes phases de la démarche du plan de continuité d’activité ou d’un plan de retour à l’activité sont la définition du champ d’action, incluant l’identification des objectifs, des opérations et des activités essentielles; la spécification des attentes de sécurité pour tenir les objectifs; l’identification des risques, leur analyse, leur évaluation et leur traitement dans le temps; la description de la stratégie de continuité d’activités et, enfin, la mise en œuvre et l’évaluation de sa compréhension par les parties prenantes. Il est important de préciser qu’il est compliqué de procéder à la rédaction de documents longs et difficilement compréhensibles dans l’urgence.

 


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