Dialogue social : Les syndicats attendent El Othmani de pied ferme
Saâd Eddine El Othmani va-t-il remettre la machine sociale en marche? Le nouveau chef de gouvernement est très attendu sur la question de l’amélioration de la relation tendue entre l’Exécutif et les partenaires sociaux. Les centrales syndicales ne comptent pas lâcher du lest, réitérant les mêmes doléances, dont l’institutionnalisation du dialogue social.
Après un quinquennat considéré comme «blanc», les partenaires sociaux aspirent à renouer le dialogue social avec l’Exécutif le plus tôt possible. Le nouveau chef de gouvernement est attendu sur plusieurs dossiers brûlants, à commencer par la décriée réforme de la retraite, adoptée au forceps lors de la dernière législature et qui devra se poursuivre au cours de ce mandat. Il s’agit d’une première étape qui devrait être suivie de la mise en œuvre d’une réforme globale assurant les conditions de la pérennité des caisses et améliorant le niveau des pensions au profit des catégories vulnérables parmi les affiliés des systèmes de pensions civiles et militaires. Certains syndicalistes ne l’entendent pas de cette oreille et comptent rediscuter le dossier de fond en comble avec le nouveau chef de gouvernement.
Démarrer une nouvelle page
Les syndicalistes espèrent tirer un trait sur le passé et commencer une nouvelle page avec El Othmani, marquée par le rapprochement des points de vue et l’institutionnalisation du dialogue social sur plusieurs points de leur cahier revendicatif. L’augmentation salariale demeure une doléance éternelle de toutes les centrales syndicales. Cependant, le bras de fer risque encore une fois d’être serré autour de cette question. Rappelons à cet égard que c’est ce point qui a bloqué les négociations à la veille de la fête du travail de l’année dernière. Après plusieurs réunions de la commission technique tripartite, chaque partie campait sur ses positions en la matière. El Othmani sera-t-il être différent de son prédécesseur ? Rien n’est moins sûr, d’autant plus que l’actuelle équipe gouvernementale semble s’inscrire dans la continuité.
Le ministère de l’Économie et des finances brandissait la carte du poids de l’augmentation salariale sur le budget de l’État et la nécessité de sauvegarder les équilibres macro-économiques. Tout porte à croire que cette position gouvernementale sera maintenue. Mais il faut dire que le renforcement du pouvoir d’achat des salariés ne passe pas uniquement par les augmentations salariales. Le gouvernement est appelé, entre autres, à faire un effort au niveau de l’impôt sur le revenu et à proposer de nouvelles mesures pour renforcer le pouvoir d’achat des citoyens.
Le gouvernement Benkirane, rappelons-le, a émis quelques propositions qui sont restées lettres mortes à cause du désaccord avec les partenaires sociaux: une augmentation de 100 DH des allocations familiales (300 DH pour les trois premiers enfants et 136 DH à partir du quatrième enfant), l’extension de la couverture médicale aux parents des adhérents, la compensation de l’augmentation des cotisations salariales en raison de la réforme des retraites…
Respect des libertés syndicales
Les syndicats accusent les gouvernements successifs de manquer de volonté politique en ce qui concerne certains dossiers qui ne nécessitent pas un effort financier, dont le respect des libertés syndicales. La nécessité de la ratification de la convention 87 portant sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical figure toujours au cœur du cahier revendicatif des centrales syndicales. Sur les huit conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail, le Maroc en a ratifiées sept. Il reste celle sur les libertés syndicales que le Maroc n’a pas encore ratifiée en raison «des dispositions de la Constitution qui prévoit l’interdiction de syndicats pour les porteurs d’armes», comme le soulignait le précédent Exécutif.
Législation de la discorde
Sur le volet législatif, le projet de loi organique sur la grève, qui a été soumis au Parlement en fin de mandat gouvernemental, ne passera pas comme une lettre à la poste. Les syndicats pointent du doigt ses dispositions ayant été élaborées de manière unilatérale. Le gouvernement d’El Othmani est appelé à le retirer pour se concerter avec les partenaires sociaux. À cela s’ajoute le projet de loi régissant les syndicats, qui prévoit presque les mêmes modalités que la loi sur les partis politiques. Difficile de trouver le consensus autour de ce texte, bien que deux dispositions qui faisaient objet de discorde aient été supprimées: la limitation d’âge pour les chefs de file des syndicats figurant sur l’ancienne mouture qui interdisait aux retraités d’être dirigeants syndicalistes ainsi que le contrôle, par la Cour des comptes, des finances des syndicats, limité dans la dernière version aux subventions publiques. Par ailleurs, la révision des dispositions du Code de travail constitue un autre dossier brûlant qu’il faudra gérer au cours de ce mandat gouvernemental en se basant sur les recommandations des assises nationales de 2014. L’idée est d’améliorer le texte marqué par plusieurs dysfonctionnements relevés par les différentes parties.
Grogne sociale
La mission de l’actuelle équipe gouvernementale ne sera guère aisée face aux doléances des centrales syndicales et à la grogne sociale dans plusieurs secteurs (santé, enseignement, collectivités territoriales…). La première épreuve pour le nouvel Exécutif est de parvenir à apaiser les protestations de la population du Rif). Outre la nécessité de lancer le dialogue social national, les départements ministériels sont appelés à établir un agenda clair des réunions sectorielles. Le programme gouvernemental que le chef de gouvernement va présenter à l’approbation des députés donnera un avant-goût des priorités gouvernementales dans le domaine social.
Abdelhamid Fatihi
Secrétaire général de la FDT.
Parlementaire à la Chambre des conseillers
«La déclaration gouvernementale sera un indicateur significatif»
Les Inspirations ÉCO : Qu’attendez-vous du nouveau gouvernement ?
Abdelhamid Fatihi : Nous avons une grande appréhension. J’espère que n’allons pas revivre la même déception que lors du précédent mandat. L’actuel gouvernement doit exprimer sa bonne foi pour faire renaître la confiance en renouant le dialogue social avec les syndicats. L’approche doit changer en la matière en répondant favorablement à plusieurs dossiers.
Par exemple ?
Il s’agit, à titre d’exemple, de l’article 288 du Code pénal ainsi que de la convention 87 portant sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical. D’autres points ont trait à la création d’une nouvelle échelle, l’unification du salaire minimum entre le secteur industriel et le secteur agricole. Le plus important, c’est d’ouvrir un véritable dialogue social basé sur une contractualisation sociale. Au cours du dernier mandat, aucune avancée n’a malheureusement été enregistrée. Au contraire, durant les cinq dernières années, on a assisté à un effritement du pouvoir d’achat des citoyens.
Les mêmes doléances syndicales seront-elles remises sur la table des négociations?
Bien sûr. Il faut revaloriser le dialogue social et l’action syndicale. Pendant le dernier quinquennat, les syndicats ont été traités comme des opposants au gouvernement. Il s’avère nécessaire d’adopter une approche qui donne des résultats concrets.
Qu’espérez-vous de la déclaration gouvernementale ?
La déclaration gouvernementale sera un indicateur on ne peut plus significatif. On verra si le programme gouvernemental va comporter des engagements concrets ayant trait aux différentes questions sociales, dont l’impératif d’institutionnaliser le dialogue social. C’est à travers la déclaration gouvernementale que l’on verra clairement si le gouvernement est disposé à ouvrir un dialogue sérieux avec les syndicats ou non. Je suis plutôt optimiste car la composition du gouvernement a changé. Je pense que l’entrée de l’USFP au gouvernement va permettre de changer la donne sur le volet social. En outre, le changement concerne aussi la présidence du gouvernement.
Le dossier de la réforme des retraites est-il toujours inscrit au cahier revendicatif ?
Ce dossier devra être discuté entre le gouvernement et les syndicats. Il faut être réaliste. On ne peut pas changer les mesures qui ont déjà été mises en place. Les lois ont déjà été adoptées et mises en œuvre. Par contre, il faut mettre en place une réforme globale en se basant sur les recommandations de la commission nationale à travers une loi-cadre instaurant deux pôles (public et privé).