Véhicules électriques. Rachid Yazami : “Nous comptons renforcer la sécurité des batteries, leur durée de vie, et la quantité d’énergie stockée”

Rachid Yazami
Pionnier des batteries lithium-ion
Co-inventeur de l’anode et pionnier des batteries lithium-ion, le physicien et électrochimiste marocain, Rachid Yazami, n’est plus à presenter. Dans un entretien exclusif aux Inspirations ÉCO, en marge de la 3e édition du Forum international de la chimie à Rabat, cette figure incontournable de l’industrie mondiale des batteries pour véhicules électriques, basé à Singapour, aborde notamment les résultats prometteurs issus de tests sur des batteries fabriquées au Maroc, son dernier brevet octroyé par les États-Unis, l’écosystème des gigafactories en gestation au Maroc, la formation de compétences locales qualifiées dans ce domaine, ainsi que ses futurs projets dans le Royaume.
Lors de la 3e édition du Forum international de la chimie, vous révéliez avoir réalisé, à Fès, des expériences ayant permis de réduire le temps de charge d’une batterie pour véhicule électrique fabriquée par un industriel marocain. Pourriez-vous nous en dire plus sur cette prouesse ?
Depuis pratiquement un mois, nous avons lancé une série de tests sur des batteries pour véhicules électriques utilisées au Maroc, afin d’étudier les possibilités de réduction de la durée de charge.
Le fabricant recommande de les charger entre 4 h et 4 h 30, une durée très longue, sachant qu’on les recharge la nuit. Nous avons d’abord réduit le temps de charge à 1 h, puis à 40 mn et 30 mn, et espérons descendre à 20 mn très bientôt. Cela permet de charger la batterie dans des conditions un peu plus favorables et de l’utiliser à plusieurs reprises. Nous sommes les premiers à réussir ce genre d’expérience au Maroc, voire en Afrique. C’est une avancée technologique très importante pour le Royaume et le continent.
Ces tests ont été réalisés au Centre d’excellence des batteries de Fès, que nous avons lancé en 2021 en partenariat avec l’Université privée de Fès (UPF). Cet établissement délivre des formations à travers la recherche, notamment via les tests réalisés par les étudiants, ce qui leur permettra d’acquérir un savoir-faire dans le domaine des batteries, et qui leur servira éventuellement à innover.
Peut-on s’attendre à une industrialisation de cette innovation ?
Effectivement, c’est notre but. Nous souhaitons démontrer au fabricant de ces batteries qu’il est possible de les charger plus rapidement et échanger avec lui sur les modalités d’une collaboration pour commercialiser cette technologie.
Au-delà de la réduction du temps de charge, travaillez-vous sur d’autres initiatives liées à l’écosystème des batteries au Maroc ?
Nous prévoyons de lancer prochainement d’autres projets avec des industriels, pour renforcer la sécurité des batteries, leur durée de vie, et la quantité d’énergie stockée. Des solutions très pratiques qui ont des conséquences immédiates : par exemple, si votre véhicule a une autonomie de 400 km, vous pourrez rouler 20 km supplémentaires si votre batterie vous procure 5% d’énergie en plus, ce qui n’est pas rien.
Intéressons-nous maintenant à votre casquette d’inventeur de renommée internationale. Le 13 mai dernier, vous annonciez sur vos réseaux sociaux avoir décroché un nouveau brevet de l’Office américain des brevets (USPTO), pour un système de détention précoce des courts-circuits internes dans les batteries. Un brevet de plus à ajouter à votre longue liste qui en compte déjà près de 200. Concrètement, de quoi s’agit-il?
Le court-circuit interne est reconnu comme étant la cause principale de l’emballement thermique des batteries. Quand une batterie prend feu, généralement, c’est parce qu’à l’intérieur, il y a un contact entre les pôles positif et négatif – l’anode et la cathode – qui sont séparés en temps normal. Soit le séparateur se brise et permet à ces deux pôles de se toucher, soit il y a un métal ou une partie conductrice qui va traverser la batterie et former un court-circuit à l’intérieur.
On parle de «dendrites». Ce sont des filaments de lithium qui se forment quand on charge la batterie à basse température ou à courant très élevé, et qui percent le séparateur pour créer ce court-circuit interne. Et cela peut être le début d’un évènement thermique.
À travers nos recherches, nous avons trouvé le moyen de détecter l’apparition d’un court-circuit avant la manifestation de l’emballement thermique grâce à des mesures thermodynamiques et cinétiques, notamment en analysant l’entropie de la batterie.
Vous avez également obtenu en 2024 deux brevets sur la détection d’accidents thermiques en Chine et sur la réduction du temps de charge des batteries au Japon. Après l’invention, place à l’action. Qu’en sera-t-il de la commercialisation et de l’industrialisation de ces innovations ?
L’idée de commercialiser ces inventions est une volonté réelle. Sans exploitation, un brevet ne servirait pas à grand-chose. Nous sommes en train de rechercher des partenaires qui sont intéressés par ces solutions et qui ont envie d’investir et de développer ces technologies pour leurs produits.
Revenons au Maroc pour aborder la sphère de gigafactories en gestation. Comment l’expert que vous êtes analyse-t-il la construction de ce futur écosystème ?
L’écosystème des batteries pour véhicules électriques est en train de se développer à grande vitesse au Maroc, comme l’attestent les mégaprojets développés par Gotion High-Tech à Kénitra, BTR à Tanger Tech, et Cobco, joint-venture entre Al Mada et le Chinois CNGR, à Jorf Lasfar. Ces usines permettront au Royaume de mieux se positionner comme leader continental dans ce domaine, et d’être un fournisseur privilégié des constructeurs européens.
Outre les batteries lithium-phosphates-fer (LFP) ou nickel-manganèse-cobalt (NMC), le Maroc ne devrait-il pas élargir son spectre de R&D en s’intéressant par exemple aux batteries à base de fluorure (FIB), considérées comme une alternative aux batteries lithium-ion, et qui seraient plus denses en énergie, plus sécurisées et moins polluantes ?
Le fluorure est un élément électronégatif, un anion, contrairement au lithium qui est un cation. Jusqu’à présenter, pour fabriquer une batterie, il faudrait qu’il y ait des ions comme le lithium, le sodium, le magnésium et le zinc, qui circulent entre l’anode et la cathode.
Pour l’heure, il n’existe pas de batterie commerciale à base d’anions. J’ai tenté une expérience qui m’a permis de monter une batterie à base de fluorure. Les composants de cet anion peuvent être intégrés dans le graphite et dans d’autres matériaux essentiels à la fabrication de batteries, et permettent d’avoir une énergie deux fois plus dense que celle contenue dans les lithiums, avec un coût dix fois moins élevé.
Le prix du fluor varie de 2 à 3 dollars le kilo, alors que celui du lithium atteint 100 dollars le kilo. Si le Maroc parvient à développer des batteries à base de fluorure, cela permettra de gagner en densité d’énergie et en termes de coûts.
Vous avez signé, en avril dernier, un partenariat avec l’Institut de formation aux métiers du transport et de la logistique (IFTL) pour lancer, à partir d’octobre 2025, un certificat professionnel supérieur en maintenance des batteries pour véhicules électriques (CPS MBVE). Est-ce une manière de combler le déficit en compétences locales dans ce domaine ?
Nous travaillons actuellement sur l’élaboration du programme de ce certificat professionnel, la durée des formations ainsi que le choix des enseignants qui les dispenseront. Il s’agit d’une formation diplômante dont le but est de former des techniciens de niveau Bac+2, voire plus, qui comprennent le fonctionnement d’une batterie et ses différentes applications.
En effet, on doit adapter l’utilisation de ces batteries en fonction de leurs applications, pour les drones, les voitures, trains et bateaux. Par exemple : on est plus à l’aise avec une veste sur mesure commandée chez le tailleur qu’avec une tenue achetée dans un supermarché, parce que celle-ci est adaptée à notre taille.
Ce sera une formation pluridisciplinaire intégrant le génie mécanique, le génie électrique et l’informatique, et qui permettra effectivement de combler le déficit en compétences locales puisqu’il n’existe pas actuellement au Maroc de cursus dédié aux formations de techniciens dans ce domaine. Nous prévoyons de nouer d’autres partenariats similaires pour former des talents dans cette filière.
Elimane Sembène / Les Inspirations ÉCO