Vaccin anti-Covid : à la rencontre du maestro des essais cliniques à Casablanca
Dans le très actif service des maladies infectieuses de l’hôpital Ibn Rochd de Casablanca, un éminent infectiologue, le Pr Kamal Marhoum El Filali dirige une petite équipe de spécialistes hors pair. Ils portent sur leurs épaules l’espoir d’un remède miracle contre la Covid-19. Rencontre.
Huit médecins, un professeur d’immunologie, six techniciens de laboratoire, quatre infirmières… Le petit commando composé d’hommes et de femmes mène une opération de la plus haute importance au service des maladies infectieuses de l’hôpital Ibn Rochd de Casablanca. Ils travaillent sur les essais cliniques relatifs au vaccin anti-Covid-19, objet d’une vaste opération de vaccination au Maroc dans les prochains jours. Pour orchestrer le travail de ce groupe d’experts, une compétence et pas n’importe laquelle ! Cette équipe est, en effet, supervisée par l’un des rares spécialistes marocains qui jouit de la confiance des National Institutes of Health (NIH), organismes fédéraux américains chargés de mener et de soutenir la recherche médicale. VIH, tuberculose, maladies infectieuses, hépatite C chronique… le Pr Kamal Marhoum El Filali, puisque c’est de lui dont il s’agit, ne recule devant aucun virus. C’est d’ailleurs l’une des raisons principales, couplée à sa longue expérience de plus de trente ans dans les essais cliniques, qui lui a valu cette promotion à la tête de l’équipe de chercheurs au sein de l’hôpital Ibn Rochd. Connu pour son goût prononcé pour les challenges, le Pr Marhoum El Filali n’a pourtant pas accepté l’offre sur le champ. «Au début, j’avais quelques appréhensions, vous savez. On vous propulse devant une grosse responsabilité, alors que vous n’avez pas tous les éléments pour prendre des décisions», se souvient-il, un brin de fierté dans la voix.
Une équipe patriote
Toutefois, l’hésitation n’a pas duré. Très vite, il sera envahi par un immense sentiment de patriotisme. «C’est tout de même une cause nationale !», se laisse convaincre l’infectiologue qui ne regrette pas son engagement, bien que le travail auquel il consacre aujourd’hui toute sa vie ne lui laisse que quelques heures de sommeil. «Les essais cliniques, c’est un travail extrêmement prenant», confie notre interlocuteur qui a appris à vivre avec le stress permanent lié à sa nouvelle mission. Alors qu’il continue de recevoir des patients, les membres de son équipe assurent toujours leurs gardes au niveau des services des maladies infectieuses. Ce qui est loin d’être une charge de travail supplémentaire, toujours selon le spécialiste qui se souvient encore de l’ambiance qui régnait dans les rangs de son staff au commencement des essais cliniques. «Au tout début de l’opération, l’ambiance était très particulière car tout était nouveau pour nous, mais très vite, nous nous sommes rendus compte que c’était une occasion rêvée de sortir de la routine», se remémore le professeur en médecine, par ailleurs membre du comité de veille Covid-19 au Centre hospitalier universitaire Ibn Rochd.
Les premiers résultats sont bons
Validé par toutes les instances réglementaires du royaume, à savoir le comité d’éthique, la Commission nationale de contrôle de protection des données à caractère personnel (CNDP) et la direction du Médicament, le protocole de l’essai sur lequel travaillent le Pr Kamal Marhoum et ses équipes étudie l’immunogénicité, c’est-à-dire l’augmentation des anticorps après l’injection des deux doses de vaccin. Pour l’heure, ils sont à la troisième phase de leurs recherches alors que les résultats obtenus jusqu’ici sont ‘‘bons’’, en dépit de quelques effets indésirables constatés parmi des volontaires. «Ce sont des effets indésirables mineurs, tels des courbatures, quelques fièvres, de petites douleurs ou une rougeur au niveau du siège de l’injection. Ce qui est tout à fait banal», souligne le médecin clinicien, rappelant que les volontaires qui sont suivis de très près sont répartis en deux groupes équivalents. «Un premier groupe reçoit effectivement le vaccin, tandis que l’autre reçoit un placebo», a-t-il expliqué. Pour mener à bien ce travail minutieux, tous les volontaires sont appelés une fois par semaine sur une durée de six mois. Au bout d’un an, le rendez–vous sera d’une fois par mois via une ligne téléphonique disponible 24 h/24h pour s’assurer de la santé des volontaires, de l’efficacité du vaccin en termes d’anticorps et de défense cellulaire. Autrement dit, les résultats ne seront connus qu’au bout de 12 mois.
En temps réel
Mais, nuance le Pr Marhoum El Filali, «on n’attendra pas la fin de la phase III pour démarrer les opérations de vaccination». En plus des efforts déployés pour raccourcir le processus de fabrication du vaccin, tous les résultats des essais cliniques sur le vaccin chinois sont accessibles immédiatement aux pays participant aux tests. En effet, le Comité national scientifique suit les résultats de tous les essais cliniques auxquels participe le Maroc, en coordination avec l’Organisation mondiale de la santé, qui a porté son choix sur nombre de vaccins produits à travers le monde. Ceux-ci font partie du futur dispositif d’accès mondial pour un vaccin contre la Covid-19, connu sous le nom de COVAX, programme conçu pour garantir un accès équitable aux vaccins anti-coronavirus. «C’est presque en temps réel que nous transmettons nos résultats», explique l’expert qui partage régulièrement ses comptes rendus avec sa hiérarchie. D’abord, au niveau local, les résultats des essais cliniques sont soumis au directeur de l’hôpital Ibn Rochd, à Casablanca, ainsi qu’à tous les autres directeurs de l’établissement. Puis, au niveau national, le principal responsable de cette opération délicate dans la ville blanche est en contact permanent avec la tutelle, à travers notamment le Pr Redouane Abouqal, investigateur principal et coordinateur national des essais cliniques au Maroc. «Nous avons des échanges réguliers avec qui de droit et ce, en fonction des besoins», tient à souligner le professionnel de santé.
Le gros du travail a été fait, mais…
Aujourd’hui, le gros du travail sur les essais cliniques au Maroc a été quasiment réalisé. Il reste maintenant à boucler la phase de suivi des volontaires. Pour autant, la pression est toujours de mise chez les chercheurs alors que la vaste campagne de vaccination anti-Covid-19 approche à grands pas. Pour rappel, la vaccination de masse contre le nouveau coronavirus va couvrir les citoyens de plus de 18 ans selon un calendrier vaccinal en deux injections. D’après les spécialistes, elle ne peut se faire que par l’engagement de toute la société. C’est d’ailleurs aussi la conviction du principal cerveau des essais cliniques dans la métropole. «J’encourage toutes les personnes qui font partie du groupe prioritaire de se faire vacciner. On ne peut pas se permettre de perdre une occasion de vaincre la pandémie», conclut-t-il. Le ministre de la Santé, Khaled Ait Taleb, a annoncé la mise en place d’une stratégie nationale de vaccination contre la Covid-19 dans l’ensemble des régions du royaume. Parmi les mesures tracées, figure l’élaboration d’une stratégie nationale de vaccination contre le coronavirus pour toutes les régions, ciblant une grande partie de la population, avec en priorité les professionnels de la santé, les enseignants, les personnes âgées et celles souffrant des maladies chroniques, sachant que cette opération s’étalera sur 12 semaines, a précisé Ait Taleb. Ainsi, des commissions centrales ont été instaurées en vue de préparer l’ensemble des documents et plans, ainsi que les outils nécessaires pour la mise en oeuvre de la stratégie nationale, a poursuivi le ministre. Il s’agit de la commission technique chargée d’élaborer des guides techniques sur le vaccin et de mettre sur pied des équipes de vaccination avant le démarrage de l’opération, de la commission du médicament chargée de vérifier le processus d’homologation pour l’utilisation du vaccin à l’échelle nationale, ainsi que la commission logistique qui veillera à l’évaluation des ressources disponibles et celles qui restent à acquérir. Le responsable gouvernemental a également cité la commission de communication en charge de la préparation de la stratégie nationale de communication afin de mobiliser l’ensemble des acteurs, et la commission de suivi et d’évaluation chargée de préparer un plan et des mécanismes d’inscription des bénéficiaires, et de suivre leur état de santé durant et après la vaccination. Compte tenu de l’importance de cette opération d’envergure nationale et dans le souci de faciliter sa mise en œuvre concrète, il a été procédé au niveau territorial à la mise en place d’une commission technique conjointe où sont représentés les ministères de l’Intérieur et de la Santé, laquelle commission se réunit de manière périodique pour préparer l’opération et vérifier ses aspects opérationnels. À l’échelle territoriale, tous les services décentralisés ont été informés du contenu de la stratégie nationale de vaccination, a poursuivi le ministre, ajoutant que les aspects pratiques et techniques de l’opération ont été communiqués aux représentants de la Direction régionale de la santé, dans l’objectif d’en élaborer des plans provinciaux et régionaux.
Khadim Mbaye / Les Inspirations Éco