Université : par an, l’État dépense 25.000 DH par étudiant
Un peu plus de 1,2 million d’étudiants sont inscrits à l’université au Maroc. Par tête, l’Etat a dépensé en moyenne 24.890 dirhams en 2023. Mais cet effort reste très en dessous des standards observés dans les grands pays développés. Le rapport est de 1 à 8, voire 10.
Dans les allées des ministères à Rabat et les cabinets ministériels, c’est l’effervescence actuellement car il faut finaliser les prévisions pour le Projet de loi de finances 2025. De l’Enseignement supérieur à l’Equipement, le dénominateur commun entre les départements est la propension à dépenser toujours plus, chacun espérant remporter l’arbitrage du Chef du gouvernement face au ministère du Budget qui a souvent freiné les ardeurs dépensières des uns et des autres.
« Nous sommes le ministère des Finances, et pas le ministère des Dépenses », fait remarquer un cadre au ministère.
A l’Enseignement supérieur, on aimerait avoir encore un plus que les 16,09 milliards de dirhams de budget (hors salaires des enseignants et du personnel administratif) décrochés en 2024. Rapportés aux effectifs inscrits à l’université, soit 1,219 million au total, chaque étudiant coûterait en moyenne 13.404 dirhams. C’est juste un chouia au-dessus des 12.360 dirhams de l’année précédente.
Cette moyenne est cependant biaisée, car elle ne tient pas compte des salaires des enseignants et du personnel administratif qui émargent directement au budget de l’Etat. En intégrant les 8,8 milliards de DH de dépenses du personnel, le coût moyen par étudiant atteint 20.418 dirhams. La mécanique de la négociation budgétaire est très complexe, et ne dépend pas que des priorités des pouvoirs publics.
Le poids politique des ministres compte également. A la veille de l’été, le ministère de l’Enseignement supérieur négocie une enveloppe avec le ministère des Finances. Une partie est répartie sur les universités incluant des dotations pour le fonctionnement des présidences et des subventions pour les établissements. Ces subsides sont affectés pour assurer l’enseignement et la recherche. Leurs montants sont influencés par des critères tenant compte du montant obtenu à l’année précédente et de la superficie des locaux.
La colossale fracture entre facultés
L’effectif des inscrits n’est pas en soi, une variable déterminante. Les subventions sont allouées aux établissements en fonction de leurs spécificités disciplinaires. La dotation pour un étudiant en école d’ingénieurs ou inscrit à la faculté des sciences est étonnamment, deux fois supérieure à celle des étudiants des facultés à gros effectifs comme la faculté des Lettres ou les facultés de Droit.
Cette répartition dépend ensuite du critère des effectifs mais aussi de la nature du matériel pédagogique. Elle ne prend pas en considération les spécificités des filières de formation ni leur nombre. L’établissement est financé pour assurer le service d’enseignement et produire des diplômés, peu importe la filière. Ce mode de distribution n’incite pas à l’amélioration de la qualité des formations et n’encourage pas les établissements à attirer les meilleurs étudiants pour promouvoir la réputation de leurs filières, ni à donner la possibilité aux étudiants de changer de parcours pour se diriger vers une formation en adéquation avec leurs attentes.
De plus, la répartition actuelle n’engage pas non plus les enseignants à anticiper correctement les besoins du marché du travail au moment de l’élaboration des modules de formation, et ce pour éviter que les diplômés ne se retrouvent sans débouchés. Ainsi, la flexibilité des formations constitue comme un véritable levier pour favoriser la performance. Ces constats démontrent la nécessité de revoir les normes d’allocation des subventions en modulant les dotations en fonction d’autres critères qui incitent les établissements à se distinguer par la pertinence de leurs filières de formation et à prévoir des admissions alternatives à tous les niveaux pour attirer des étudiants motivés et performants. L’allocation des subventions doit également tenir compte de l’insertion professionnelle des diplômés et introduire un bonus pour les universités qui réussissent le mieux à insérer leurs étudiants sur le marché du travail.
De cette façon, la dotation incitera les établissements à s’occuper du devenir de leurs diplômés. La répartition des subventions pourrait aussi tenir compte des moyens mis en œuvre par l’université pour faciliter l’accès des étudiants issus des milieux défavorisés. Ainsi, le mécanisme de répartition des subventions pourrait inclure des dotations spécifiques pour inciter les établissements et les acteurs à adopter de nouveaux comportements pour plus d’efficacité et d’efficience.
La flexibilité des filières et la perméabilité des institutions s’inscrivent dans cette perspective. C’est pourquoi l’université devrait recevoir une subvention globale qu’elle répartissait ensuite en vue de créer cette nouvelle dynamique. C’est en responsabilisant davantage les universités et les établissements, par le développement réel de leur autonomie, que ces incitations produiront des changements de comportements tant au niveau des institutions que des personnes. Ceci n’est pas le cas actuellement, puisque la partie du financement allouée aux universités pour leur fonctionnement et investissement est toujours gérée par les universités selon une procédure qui leur impose des rubriques prédéfinies et leur laisse de faibles marges pour réallouer les crédits ou créer de nouvelles dépenses.
De plus, les allocations pour le fonctionnement sont soumises à un contrôle a priori par les agents du ministère des Finances qui les valident. Les crédits d’investissement répondent à la procédure de conformité avec la réglementation en vigueur. Ce contrôle a priori des dépenses inhibe les initiatives et nuit à l’efficacité des établissements. Il neutralise surtout toute la philosophie de l’autonomie de l’université. Il peut être remplacé par la mise en place, dans le cadre de l’autonomie, d’une démarche effective d’évaluation assurant la transparence de la gestion de la subvention. « C’est le moyen d’assurer un véritable changement et promouvoir un système incitatif en relâchant les contraintes imposées actuellement à l’université pour l’affectation des dotations », commente un ancien doyen des facultés.
18.140 dollars par étudiant en France
La comparaison internationale des dépenses annuelles par étudiant de l’enseignement supérieur ne donne pas tout à fait la même hiérarchie des pays que l’indicateur précédent. Les Etats-Unis (35.350 dollars) se détachent nettement par le niveau élevé de dépense par étudiant, suivis du Royaume-Uni, de la Suède, de la Norvège et du Canada qui dépensent plus de 22.000 dollars.
La France consacre 18.140 dollars par étudiant, soit légèrement plus que la moyenne des pays de l’OCDE (17.560 dollars) et encore davantage que l’Espagne ou de l’Italie. En Allemagne, la dépense par étudiant est plus élevée qu’en France bien que la part de l’enseignement supérieur dans le PIB y soit moindre.
À l’inverse, si la Corée du Sud dépense nettement moins par étudiant que la moyenne de l’OCDE, elle consacre à l’enseignement supérieur une part plus importante de son PIB. En moyenne, dans les pays de l’OCDE, la dépense par étudiant s’accroît de +1,2 % par an. Aux États-Unis, elle progresse en moyenne de +1,9 % par an, la hausse des moyens (+0,9 %) s’accompagnant d’une baisse des effectifs étudiants (-1 %). A l’inverse, la dépense moyenne par étudiant recule en France de 0,4 % car les effectifs augmentent plus vite que le financement.
En Allemagne, le recul du coût moyen est légèrement plus soutenu qu’en France (-0,5 % par an) car les effectifs étudiants (+2,8 %) y augmentent encore plus rapidement que les moyens (+2,2 %). La part des financements d’origine publique est, en moyenne dans les pays de l’OCDE, nettement supérieure à celle d’origine privée (ménages et autres financeurs privés tels que les entreprises). Les pays scandinaves et la Belgique affichent un financement des établissements d’enseignement supérieur quasiment exclusivement public (supérieur à 87 %). A l’opposé, au Royaume-Uni, au Japon, en Australie, aux Etats-Unis, et en Corée du Sud, le financement est majoritairement d’origine privée.
Combien ça coûte ailleurs ?
Pour établir l’indice du coût des études 2022, la banque allemande N26 a analysé les coûts des études supérieures de médecine, de soins infirmiers, de droit, d’ingénierie civile, d’informatique et d’enseignement dans une cinquantaine de pays dont de nombreux sont des destinations privilégiées par les Marocains.
Champion toutes catégories, les États-Unis. Une année d’études supérieures coûte en moyenne 27.100 euros. Suivent juste derrière, les Émirats Arabes Unis avec une moyenne annuelle de près de 12.500 euros, suivis par l’Angleterre, où les frais d’études s’élèvent en moyenne à 11.400 euros par an.
La France, première destination des étudiants marocains, se situe dans la moyenne inférieure : les étudiants des filières couvertes par l’étude dépensent environ 2.800 euros par an (2022). L’enseignement supérieur est encore moins cher dans certains pays, comme par exemple en Autriche, où le coût moyen se situe à 41 euros par an ou 20 euros par semestre – les frais engagés pour faire des études sont donc très rapidement remboursés pour les jeunes diplômés autrichiens.
Abashi Shamamba / Les Inspirations ÉCO