Tunnel Maroc-Espagne : rêve stratégique ou défi sismique ?
Le projet ambitieux de tunnel ferroviaire sous le détroit de Gibraltar entre le Maroc et l’Espagne franchit une étape décisive. Avec le lancement d’une nouvelle étude sismique sur six mois, les premiers résultats sont attendus pour évaluer enfin la faisabilité d’une infrastructure qui pourrait transformer les échanges entre l’Europe et l’Afrique.
Après des décennies de discussions et d’hésitations, le projet de tunnel ferroviaire reliant le Maroc et l’Espagne sous le détroit de Gibraltar entre dans une phase décisive. Une étude sismique approfondie, récemment confiée à la société espagnole TEKPAM Ingeniería, sera menée sur une période de six mois.
Pour la première fois, des données concrètes permettront de déterminer la viabilité de cette infrastructure colossale. Ce pas de géant ouvre la voie à de nouvelles perspectives pour ce projet, qui pourrait révolutionner les relations économiques et géopolitiques entre deux continents.
Des résultats déterminants pour la suite
Le gouvernement espagnol vient de commander une étude sismique pour explorer les conditions géologiques du détroit de Gibraltar. Cette enquête sera menée à l’aide de quatre sismomètres de fond marin, qui fourniront des données détaillées sur l’activité tectonique de la région. TEKPAM Ingeniería a été choisie pour cette mission, dotée d’un budget de 486.420 euros.
Ce travail, supervisé par le Real Instituto y Observatorio de la Armada espagnole, marque une étape majeure dans ce projet. Les résultats pourraient lever les incertitudes qui pèsent depuis des années sur la faisabilité technique du tunnel.
Pour la première fois, les décideurs disposeront de données actualisées pour évaluer si ce mégaprojet est compatible avec les contraintes géologiques uniques du détroit.
Ce travail vise à répondre à une question fondamentale, le tunnel peut-il résister aux conditions géologiques extrêmes du détroit ? Des précédents déploiements, en 2014, avaient déjà permis de collecter des données, mais les avancées technologiques récentes ouvrent de nouvelles perspectives pour évaluer le risque sismique.
Une vision née il y a près de 40 ans
L’idée de relier le Maroc et l’Espagne sous les eaux du détroit n’est pas nouvelle. Dès 1986, les gouvernements marocain et espagnol signaient des accords bilatéraux pour explorer cette possibilité. À l’époque, le projet symbolisait déjà une ambition économique et politique forte, celle de rapprocher deux continents séparés par une frontière naturelle mais aussi par des inégalités économiques criantes.
Ce rêve a traversé les décennies, porté par la SECEGSA en Espagne et la SNED au Maroc, avec des études régulières et des partenariats stratégiques. Après plusieurs périodes de mise en sommeil, le projet a connu un regain d’intérêt en 2023, dans un contexte marqué par l’amélioration des relations bilatérales et des avancées technologiques majeures.
Un potentiel économique sans précédent
Au-delà de l’infrastructure elle-même, le tunnel incarne une ambition économique majeure. Il pourrait devenir un vecteur d’intégration entre l’Europe et l’Afrique, facilitant le transport de millions de passagers et de tonnes de marchandises chaque année. Les estimations les plus récentes prévoient que cette liaison sous-marine pourra accueillir 12,8 millions de voyageurs par an, tout en assurant le transit de 13 millions de tonnes de marchandises. Les retombées économiques pour les régions voisines promettent d’être significatives.
Le dernier rapport analytique de SECEGSA met en lumière l’impact potentiel sur le développement industriel, le commerce et les investissements dans les zones adjacentes. Des hubs comme Tanger et Algésiras pourraient tirer parti de ce projet pour attirer de nouveaux investisseurs, tout en favorisant la création d’emplois dans des secteurs stratégiques.
Cette infrastructure pourrait également renforcer les corridors logistiques entre l’Afrique, l’Europe et même l’Asie, consolidant ainsi le rôle du détroit de Gibraltar comme centre névralgique du commerce mondial. Toutefois, cette ambition est loin d’être acquise. La région est connue pour son intense activité sismique, ce qui complique la construction d’un tunnel sous-marin.
Les courants marins, la profondeur des eaux et les pressions financières constituent autant d’obstacles à surmonter Le coût total du projet, estimé à 6 milliards d’euros, pose également des questions. Alors que l’Espagne et le Maroc coopèrent activement, l’implication de partenaires internationaux, notamment européens, pourrait être nécessaire pour garantir le financement et la réalisation de cette infrastructure monumentale.
Une prouesse d’ingénierie pour deux continents
Le tunnel sous le détroit de Gibraltar ne sera pas qu’un simple lien ferroviaire entre le Maroc et l’Espagne. Il incarne également une avancée technologique majeure, conçue pour relever des défis uniques. Avec une profondeur maximale de 300 mètres sous la mer et une longueur sous-marine de 27,7 kilomètres, il repoussera les limites de l’ingénierie moderne.
Par ailleurs, ce méga-projet pourrait intégrer des fonctions supplémentaires, comme le transport de gaz naturel. Le tunnel est envisagé non seulement pour accueillir des trains à grande vitesse et des convois de marchandises, mais également pour jouer un rôle clé dans la sécurité énergétique des deux pays.
En effet, l’ajout d’un gazoduc permettra des échanges bilatéraux de ressources énergétiques, renforçant ainsi les interdépendances stratégiques entre l’Europe et l’Afrique
Faiza Rhoul / Les Inspirations ÉCO