Transport routier international : les opérateurs dans l’impasse
Les opérateurs du transport routier international font face à une série de problèmes et défis qu’ils rencontrent. La nouvelle procédure relative au séjour de 90 jours sur l’espace Schengen pour les Marocains complique la donne. Elle entre en vigueur le 10 novembre.
Les transporteurs routiers internationaux voient rouge. Une succession d’évènements et de requêtes «non prises en considération» ont suscité l’ire des professionnels du secteur qui crient leur ras-le-bol. En effet, l’annonce faite durant l’été, relative aux nouvelles procédures de contrôlés imposées aux Marocains, dès le 10 novembre prochain, met les transporteurs dans l’embarras.
Le délai de toutes les contraintes
Le fait est que ce nouveau système d’entrée/sortie (EES) permettra de contrôler électroniquement les entrées, les sorties, les refus d’entrée et les durées de séjour des ressortissants de pays non-membres de l’UE franchissant les frontières extérieures de l’espace Schengen, pour un court séjour (maximum 90 jours sur une période totale de 180 jours).
«Cette nouvelle mesure est tombée comme un couperet. Ce qu’il faut savoir c’est qu’un transporteur routier passe beaucoup plus de 90 jours hors du territoire marocain surtout que nous n’opérons pas sous un statut spécifique. Ce sont des visas touristes avec lesquels nous voyageons. À ces conditions, il faudra augmenter les effectifs des chauffeurs, ce qui engendre des charges supplémentaires que nous ne sommes pas prêts à assurer. D’où notre appel aux ministères des Affaires étrangères et du Transport à nous octroyer un statut spécifique», explique Ahmed Zghinou, président de l’Association des transporteurs routiers intercontinentaux du Maroc (AMTRI).
À noter que les professionnels ont saisi, à plusieurs reprises, le ministère de tutelle afin qu’ils puissent bénéficier d’un statut leur permettant d’effectuer des sorties dépassant les 90 jours. A ce jour, leur demande est restée sans suite.
Accord bilatéral avec l’Espagne, un fiasco
Ce n’est pas tout ! D’autres facteurs entravent le bon déroulement de l’activité. L’accord bilatéral avec l’Espagne n’est pas à leur avantage, estiment les professionnels. Pour eux, un souci se pose au niveau de la tractation et du remorquage.
Au Maroc, les transporteurs travaillent avec l’ensemble routier (le tracteur et la semi-remorque) alors que de l’autre côté, pour des raisons économiques, les Espagnols ne travaillent qu’avec les remorques isolées et font appel à des tractionnaires marocains pour décrocher les remorques.
«En Espagne, les remorques sont considérées comme étant une marchandise et non pas un matériel roulant, ce qui leur permet une libre circulation, ce qui n’est pas le cas du Maroc. C’est ainsi que les transporteurs espagnols préfèrent sous-traiter auprès de tractionnaires marocains leur imposant un tarif. De plus, pour effectuer le retour, ces derniers se trouvent contraints de se faire délivrer une autorisation bilatérale de voyage du Maroc à la sortie, ce qui pénalise les transporteurs marocains en termes de quotas d’autorisations (MA) dont il dispose», détaille le président de l’AMTRI.
Selon lui, il est temps «d’imposer des autorisations d’Espagne (E)», plaide-t-il.
Pour être plus explicite, Zghinou souligne que la libre circulation du partenaire espagnol (en décroché) ne les contraint pas à demander une autorisation du côté marocain puisqu’il fait appel au service des tractionnaires marocains qui font la traversée (aller-retour) pour 200 euros de plus.
Ainsi, sur le chemin du retour, l’autorisation MA est demandée, puisant ainsi dans le quota autorisé aux Marocains. Notons que, chaque année, la commission mixte entre les deux pays accorde un contingent de 70.000 autorisations, de part et d’autre. Les professionnels réclament, en fait, que les opérateurs partenaires travaillent également en «décroché» au lieu de recourir aux tractionnaires marocains, ainsi que disposer d’une autorisation bilatérale au voyage pour accéder au territoire marocain, comme c’est le cas pour les transporteurs marocains.
«Nous dénonçons des pratiques qui ne sont pas équitables. Citons à titre d’exemple les litres de carburant autorisés. Les transporteurs marocains n’ont pas le droit de dépasser 200 litres de gasoil dans les réservoirs. Arrivés sur le territoire espagnol, ils paient un supplément. L’autre souci est relatif aux transactions triangulaires, c’est-à-dire qu’une fois la marchandise chargée au Maroc, elle peut être déchargée en Espagne ou dans un autre pays européen. Or, il n’est favorable que pour la péninsule ibérique, car les autres pays exigent d’autres autorisations aux Marocains, surtout que le flux est plus important de notre côté», précise le professionnel.
L’indexation toujours en stand-by
D’autres paramètres plombent aussi la profession, apprend-on. Il s’agit du transport de marchandises dangereuses. En 2003, le Maroc a été signataire d’un accord pour prodiguer des formations aux chauffeurs pour décrocher une attestation, dénommée ADR leur permettant de transporter ce type de marchandises. Mais, depuis quelques mois, l’Europe exige à ce que la formation soit effectuée au niveau du Maroc, alors qu’auparavant, ce sont des formateurs étrangers qui la dispensaient. Le fait de ne pas disposer d’une ADR ne leur permet pas de transporter de la matière considérée comme dangereuse au retour. Les transporteurs estiment comme étant fatal, ce retour à vide qui affecte lourdement la marge bénéficiaire.
Parmi les autres points noirs cités par les transporteurs routiers internationaux, figurent les conditions d’accès à la profession. À ce sujet, les professionnels dénoncent le retard d’exécution du décret d’application sur lequel un travail a été mené avec la tutelle pour concevoir les textes inhérents depuis plus de deux ans. Dans la même perspective, l’indexation peine à voir le jour.
En effet, en janvier 2023, le ministère de tutelle avait présenté un avant-projet sur l’indexation du prix du transport routier sur celui du carburant. Mais dès lors, c’est silence radio. Une attitude qui exacerbe les transporteurs qui sont toujours dans l’attente d’un passage à l’acte pour intégrer le circuit législatif. À en croire les professionnels, ce projet de loi est entre les mains du Secrétariat général du gouvernement (SGG), ainsi que du Conseil de la concurrence.
Pour eux, ce cadre législatif demeure la panacée pour réguler le marché et pallier les problèmes structurels dont pâtit le secteur. À titre indicatif, l’indexation est un élément régulateur et de transparence susceptible d’entraver les spéculations qui renchérissent le marché, car elle permet de s’aligner sur le même niveau de prix et éviter ainsi le dumping exercé par certains opérateurs.
De plus, qu’il s’agisse d’une baisse ou d’une hausse des intrants, la répercussion sur les prix est indéniable. Elle a également l’avantage de fixer le pourcentage à ne pas franchir lorsqu’il s’agit d’une augmentation des prix. Ainsi, cette réglementation permet plus de transparence dans les relations entre les donneurs d’ordre et les transporteurs et moins d’impact sur le consommateur final au niveau des prix, du fait que la différence est assumée par le donneur d’ordre.
Pour rappel, le gouvernement avait accordé des subventions aux transporteurs dès les premières flambées des prix du carburant pour atténuer l’impact, notamment sur le consommateur. Une initiative qui a été fortement encensée par les professionnels, lesquels, par ailleurs, s’accordent à dire que les aides ne peuvent pas résoudre le problème.
Toutefois, les transporteurs TIR se trouvent confrontés à une autre contrainte, celle des heures de conduite et de repos exigées par le code de la route. En effet, au bout de quatre heures de conduite, un temps d’arrêt de 45 minutes est exigé, sauf que le nombre d’aires de repos n’est pas suffisant. Les transporteurs se disent prêts à payer pour avoir des parkings dédiés.
Amer Zghinou
Président de l’AMTRI
«Cette nouvelle mesure est tombée comme un couperet. Ce qu’il faut savoir c’est qu’un transporteur routier passe beaucoup plus de 90 jours hors du territoire marocain surtout que nous n’opérons pas sous un statut spécifique. Ce sont des visas touristes avec lesquels nous voyageons.
À ces conditions, il faudra augmenter les effectifs des chauffeurs, ce qui engendre des charges supplémentaires que nous ne sommes pas prêts à assurer. D’où notre appel aux ministères des Affaires étrangères et du Transport à nous octroyer un statut spécifique.»
Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO