Maroc

Transport public par autobus : les maux de la gestion déléguée

Cadre juridique inachevé, multiplicité des acteurs dans la régulation, marché concentré sur deux opérateurs… sont quelques-uns des dysfonctionnements qui ressortent de l’avis du Conseil de la concurrence, sur le fonctionnement de la gestion déléguée du transport public urbain et interurbain par autobus au Maroc.

Les maux de la gestion déléguée du transport public urbain et interurbain par autobus ont été décortiqués par le Conseil de la concurrence. En effet, l’institution a publié un rapport bien garni qui analyse, sur une période de 10 ans, le fonctionnement concurrentiel dudit marché, basé sur une approche participative à travers l’audition de l’ensemble des parties prenantes au secteur. Il faut dire que la mobilité urbaine a toujours été un aspect important pour le développement socio-économique du Maroc.

Avec la croissance démographique et urbaine, la mobilité individuelle des personnes à l’intérieur des agglomérations urbaines affiche un fort développement. Ces changements ont induit des difficultés grandissantes dans le domaine de la mobilité, liées à l’insuffisance des transports publics urbains par autobus. Dans les villes marocaines, le nombre de bus pour 1000 habitants est, en général, de l’ordre de 0,25 alors qu’il est proche de 1 dans de nombreuses grandes villes du monde.

Coordination, gouvernance… plusieurs aspects à redéfinir
Si le niveau d’encadrement de la gestion déléguée du transport public est élevé – car son encadrement est régi par un arsenal de textes juridiques divers et variés -, le Conseil constate de prime abord que «ce cadre juridique est resté inachevé, ce qui a conduit les autorités délégantes à s’appuyer sur les dispositions réglementaires régissant les marchés publics pour lancer leurs appels d’offres et sélectionner le concurrent adjudicataire».

Dans  ce sens, il est noté que la gestion déléguée du transport public urbain et interurbain a révélé que la création de sociétés de développement local (SDL), non contrôlées directement par l’autorité délégante pour réguler le transport, n’a pas permis de mettre fin à la multiplicité des acteurs dans ce modèle de régulation.

Bien au contraire, «ce modèle a amplifié l’asymétrie d’informations et a créé des problèmes de coordination, de gouvernance entre les acteurs, tout en diluant les responsabilités et en entraînant des coûts de fonctionnement alourdissant les coûts d’exploitation», note le Conseil.

La situation actuelle du marché
Actuellement, la gestion déléguée du transport public urbain et interurbain par autobus concerne 37 contrats (exploitations), en cours d’exécution, dont 29 sont de type gestion déléguée, 7 en concession et un seul contrat d’affermage. A côté d’une exploitation gérée directement par la Société de Développement Local «Marafik Berkane». Ces contrats couvrent près de 343 collectivités territoriales, pour une population desservie de près de 18,83 millions d’habitants.

En 2020, ces sociétés délégataires ont réalisé un chiffre d’affaires de 1,5 MMDH en mobilisant un parc de près de 3.203 bus. 32 contrats sont gérés par six groupes économiques organisés, gérant plusieurs exploitations à la fois. Il s’agit notamment d’Alsa Maroc, City bus Transport, Karama Bus, Lux Transport, Foughal bus et Vectalia Maroc. Les cinq contrats restants sont gérés par des sociétés qui exploitent un seul contrat, à savoir Rokia Transport à Jerrada, Lima Bus à Essaouira, Transport Urbain du Sud à Tan-Tan, Trans Interurbain Laâyoune et Bani bus à Tata.

En termes de taux de couverture du transport public urbain et interurbain par autobus sur l’ensemble du territoire national, seulement 343 collectivités territoriales sont couvertes, ce qui représente un faible taux de couverture nationale de 22%.

Un marché concentré sur deux acteurs
L’avis traite également en profondeur des acteurs de la gestion déléguée des autobus dans l’ensemble des régions du royaume. S’agissant de l’évolution des parts de marché en volume et en valeur des opérateurs présents sur ledit marché, l’analyse a permis de conclure que «ce marché se caractérise par un niveau élevé de concentration, où les deux premières sociétés, Alsa et City bus, ont une part de marché cumulée se situant entre 80 et 90% durant la période 2018-2020, avec une dominance nette de la société Alsa qui a vu sa part de marché passer de 50 à 70%», affirme-t-on auprès du conseil. Les entreprises restantes, à savoir Lux transport, Foughal bus, Karama bus, Vectalia Maroc, Lima Bus et Rokia Bus, ont chacune une part de marché qui ne dépasse pas 6%.

Par ailleurs, pour compléter son analyse de la structure du marché, le Conseil de la concurrence affirme que la répartition des opérateurs privés, d’après la flotte de bus exploitée en 2020, conforte le constat de dominance d’Alsa avec 53,2%, suivie par City Bus avec 26,2% de la flotte de bus totale au nombre de 3.203 autobus.

Les facteurs expliquant cette situation résident dans le fait que les barrières à l’entrée, très élevées, édictant des conditions techniques et financières d’accès qui favorisent les grandes entreprises, empêchent l’arrivée de nouveaux entrants et excluent totalement l’innovation et la créativité comme critères de sélection.

Le Conseil cite aussi un nombre réduit d’appel d’offres portant sur des contrats de gestion de longue durée se situant entre 10 et 15 ans, qui sont généralement prolongés par avenant en faveur de l’opérateur exploitant. Le faible taux de participation des opérateurs aux appels d’offres des grands centres urbains est aussi un axe à retenir dans ce sens. Ceci en raison de leurs capacités techniques et financières limitées.

Ceci dit, il est à noter que cette tendance ne fait que s’accélérer ces dernières années. Elle s’est confirmée par la dominance de l’opérateur leader du marché, dont la part de marché a augmenté de 22% durant la période 2018-2020 (Alsa).

Ceci pourrait s’expliquer également par les avantages de position acquise par les succès passés de ce dernier, dans un certain nombre de grands centres urbains (Marrakech, Agadir et Tanger), qui ont influencé de manière positive ces succès et qui ont récemment concerné les marchés de la gestion déléguée du transport public urbain et interurbain par autobus de grandes agglomérations de notre pays (Casablanca et Rabat).

Nécessité de revoir le cadre juridique
Afin d’améliorer le fonctionnement concurrentiel du marché de la gestion déléguée du transport public urbain et interurbain par autobus et son mode de régulation, le Conseil de la concurrence présente une panoplie de recommandations.

La première concerne le mode de régulation qui devrait être revu. Le Conseil préconise de «revoir le statut et le cadre juridique régissant les SDL, en vue de professionnaliser ces entités et leur donner les moyens juridiques et matériels pour jouer pleinement leur rôle de régulateur de ce marché».

Ceci permettra de renforcer les capacités des collectivités territoriales et leurs émanations, en tant qu’autorités compétentes, de maîtriser le processus de la gestion déléguée allant de l’identification des besoins à l’appel à la concurrence, la négociation, la contractualisation, la mise en œuvre et au suivi des contrats.

En outre, la refonte de la réglementation actuelle sera bénéfique aux délégants, dans le sens où ils bénéficieront «d’un transfert de savoir-faire et de la pérennisation de l’actif immatériel de connaissances et des systèmes de gestion, afin de leur assurer une autonomie managériale durable pour la continuité du service public après l’expiration du contrat», détaille-t-on auprès du Conseil de la Concurrence.

Ce dernier estime par la même occasion que pour mieux réussir la régionalisation avancée dans le secteur du transport public, il serait opportun de régionaliser la Stratégie Nationale de la Mobilité Urbaine et d’accorder plus de pouvoirs aux autorités délégantes dans la gestion déléguée du transport public, en termes de planification, de contrôle et de financement. De plus, il est noté que le renforcement du transfert des compétences de la SDL et des délégataires aux collectivités territoriales et leurs émanations (ECI et GCT) ne peut que renforcer la gouvernance régionale de la gestion déléguée du transport public urbain et interurbain.

Pour une concurrence libre et loyale
Pour assurer une concurrence libre et loyale dans le marché de la gestion déléguée du transport public par autobus, il est recommandé d’établir une grille d’évaluation actualisée des offres, basée sur des critères objectifs focalisés davantage sur le business plan des soumissionnaires. Car il faut savoir que l’actuelle grille d’évaluation est notée essentiellement sur les tarifs qui ne seraient plus les seuls éléments de compétition.

Le Conseil affirme aussi qu’il est temps de changer la nature des contrats de gestion déléguée, en passant de contrats à logique de «flux financiers» à des contrats orientés objectifs (qualité de service, taux couverture du territoire, etc.), où un score de qualité des services des opérateurs est inclus comme critère d’attribution de l’appel d’offres.

Le Conseil cite, dans ce sens, l’impératif de préciser au préalable à tout appel à concurrence le degré de partage des risques industriels et commerciaux, et du coût de l’investissement global entre le délégant et le délégataire, mais aussi de prévoir un schéma clair et connu à l’avance par l’ensemble des soumissionnaires des subventions qui seront octroyées lors de l’exploitation des contrats,.Et ce, pour pouvoir créer une dynamique concurrentielle entre les opérateurs afin de limiter la part de la subvention.

En outre, les autorités délégantes doivent, selon le Conseil, revoir les conditions d’accès au marché de la gestion déléguée. Et ce, dans le sens d’un assouplissement des conditions qui permettra une compétition plus animée du marché et l’accès à un plus grand nombre de concurrents garant d’un service de transport urbain de meilleure qualité et à un prix accessible, en adoptant un calendrier échelonné des appels à concurrence, pour renforcer la dynamique concurrentielle sur ces marchés et augmenter la pression concurrentielle sur les prix.

Les leçons tirées du benchmark

 

Dans son benchmark, le Conseil de la Concurrence explique que les avancées en matière de gestion déléguée sur le plan international sont diverses selon le contexte historique et économique des expériences des étudiés (Royaume-Uni, Pays-Bas, Israël, Afrique du Sud). La plupart de ces pays disposent d’un arsenal juridique pour les contrats de gestion déléguée.

De son côté, le transport urbain par autobus est érigé dans ces différents pays comme une priorité des politiques publiques aussi bien à l’échelle centrale que décentralisée. Par ailleurs, l’ouverture du marché de transport urbain par autobus de ces pays aux opérateurs privés a été une occasion pour repenser tout le modèle économique de cette activité dans le sens d’une meilleure efficience et efficacité, en termes de maîtrise des coûts, d’augmentation des revenus et de qualité des prestations de service, etc.

Les mesures d’accompagnement proposées

Une panoplie de mesures a été proposée par le Conseil de la concurrence dans le cadre de son avis :
• Implémenter systématiquement dans les contrats de la gestion déléguée du transport urbain et interurbain par autobus le principe de transparence et de liberté d’accès à l’information par les acteurs du marché.
• Ouverture d’un débat public sur une éventuelle réforme d’envergure du mode de régulation, en vue d’amender la loi organique relative aux collectivités territoriales, pour mieux définir le rôle et les compétences des SDL dédiées à la gestion du transport public urbain.
• Mise en place de mécanismes pour accroître la dynamique concurrentielle entre les différents acteurs du marché des services du transport public, par l’adoption d’un cadre contractuel qui clarifie les objectifs et les responsabilités entre les différents intervenants.
• Prévoir dans les futurs contrats entre les autorités délégantes et les opérateurs privés des clauses qui permettent à la société délégataire d’investir à l’étranger, dans le but d’acquérir de l’expertise technique dans ce marché à l’échelle internationale.
• Assurer un cadre juridique adéquat en vue d’intégrer l’intermodalité entre les différents modes de transport public en commun (bus-tramways..), et promouvoir la multi modalité et l’intégration tarifaire entre les différents modes de transport.
• Intégrer dans les clauses des contrats que l’entreprise délégataire peut soumissionner aux appels d’offres internationaux en tant qu’entité indépendante disposant de ses propres références techniques et financières.

 

Sanae Raqui / Les Inspirations ÉCO


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