Textile et habillement : les exportations marocaines vers l’UE atteignent 426,1 M€, avec l’Espagne en tête

Entre tensions géopolitiques et mutation structurelle, le secteur textile-habillement marocain cherche à concilier résilience et innovation. Alors que les exportations vers l’UE alternent entre croissance et déclin, les acteurs du secteur misent sur la circularité et les marques locales pour s’imposer.
L’Association marocaine des industries du textile et de l’habillement (AMITH) dresse un portrait contrasté du secteur textile-habillement marocain, à fin avril 2025, tiraillé entre des défis géopolitiques et commerciaux immédiats et une transformation structurelle ambitieuse.
Entre révision des tarifs douaniers américains, consolidation de la circularité, émergence de marques locales et renforcement des partenariats régionaux, le Maroc affirme sa volonté de se positionner comme un hub textile innovant et résilient.
Résilience inégale face aux marchés clés
Les exportations marocaines de textile et d’habillement vers l’Union européenne, évaluées à 426,1 millions d’euros à fin février 2025, confirment la position du Royaume en tant que 8e fournisseur de l’UE, au lieu de 9e à la même période en 2024, mais révèlent aussi des disparités inquiétantes. Si l’Espagne, premier débouché avec une croissance de 17% en 2025 soit 243,1 millions d’euros, concentre à elle seule 58% des ventes du Top 6, d’autres marchés historiques marquent un recul préoccupant.
La France, deuxième client, enregistre une baisse de 4% (96,4 M€), tandis que le Benelux plonge de 26% (13,2 M€), symptôme d’une concurrence accrue sur les segments de fast fashion et de réorganisations des chaînes logistiques européennes.
L’analyse par produit souligne une bifurcation stratégique : les pantalons (-17%) et pullovers (-31%), autrefois piliers, cèdent du terrain face à l’essor des robes (+22%) et des chemisiers (+2%), reflétant une orientation vers des articles à plus forte valeur ajoutée. Une polarisation qui suggère une adaptation aux attentes des marchés en matière de créativité et de réactivité.
Le Maroc doit ainsi capitaliser sur la réactivité et l’innovation pour compenser les pertes sur les produits basiques. Une transition qui, bien que prometteuse, n’en reste pas moins fragile, car elle dépend d’un équilibre délicat entre innovation industrielle et compétitivité-coût face à des rivaux asiatiques agressifs.
Nouveaux tarifs américains : un coup de semonce stratégique
L’instauration par les États-Unis d’un tarif universel de 10% sur les importations, annoncé récemment, place le Maroc dans une situation paradoxale. Bien que protégé par un accord de libre-échange, le Royaume subit une mesure conçue pour «rééquilibrer les échanges» américains.
Ainsi, deux impacts majeurs se dessinent : d’abord, la suppression de l’exemption de minimis pour les envois de moins de 800 $, qui frappe directement les PME marocaines positionnées sur le e-commerce, augmentant leurs coûts logistiques et réduisant leur marge de manœuvre.
Ensuite, les filières dépendantes de matières premières régionales, comme le coton égyptien, voient leurs chaînes d’approvisionnement menacées par une compression des marges, risquant de déstabiliser un secteur textile déjà vulnérable aux fluctuations des prix internationaux.
Pour l’AMITH, cette crise est néanmoins une opportunité de repenser le modèle national : «Pour les entreprises marocaines, la situation pourrait encourager une diversification des marchés d’exportation, tout en cherchant à renforcer leurs alliances stratégiques […] Le secteur de l’innovation, notamment dans les domaines de la durabilité et des technologies de production, pourrait également offrir des opportunités pour se démarquer sur de nouveaux marchés».
Une référence explicite au projet Moroccan textile circularity exchange (MTCE), qui ambitionne de recycler 100% des chutes textiles d’ici 2027, combinant exigences du Green Deal européen et recherche de compétitivité.
Cette stratégie, centrée sur la durabilité et la traçabilité, pourrait permettre au Maroc de contourner partiellement les barrières tarifaires tout en renforçant son attractivité auprès de partenaires soucieux d’éthique industrielle. Toutefois, son succès dépendra de la capacité à structurer rapidement un écosystème de collecte et de recyclage, aujourd’hui entravé par l’informalité et le manque de normes.
Circularité textile
Rappelons que le MTCE, piloté par l’IFC et ses partenaires, cristallise l’ambition marocaine de bâtir une industrie textile alignée sur les impératifs du Green Deal européen. Les six projets pilotes, dévoilés à Tanger en avril 2025, démontrent un potentiel technique tangible : le recyclage chimique du polyester et la purification des flux de coton, bien que limités par des défis opérationnels. Près de 30% des chutes textiles échappent encore aux circuits formels, en raison d’une collecte fragmentée et de l’absence de normes de tri, freinant l’efficacité des processus.
Sur le plan économique, l’analyse du cycle de vie (ACV) indique que la rentabilité du recyclage local dépendra de la maîtrise des coûts de logistique inversée, notamment le transport et le prétraitement des chutes. Si les industriels marocains, soutenus par l’ESITH et le CTTH, ont déjà initié des formations techniques via le manuel d’Accelerating circularity, l’absence de cadre législatif national menace de ralentir l’objectif «100% recyclage post-industriel d’ici 2027».
Pour y remédier, l’AMITH mise sur un comité interinstitutionnel chargé de formaliser la collecte et de créer des incitations fiscales, tout en consolidant les synergies entre acteurs publics, centres de formation et entreprises. Ce projet, s’il aboutit, pourrait positionner le Maroc comme pionnier d’un modèle circulaire euro-méditerranéen, combinant performance environnementale et résilience économique.
Coopération régionale et intégration amont : les leviers de la compétitivité
La stratégie de l’AMITH pour renforcer la compétitivité du textile marocain s’appuie sur deux piliers géo-économiques complémentaires. Sur l’axe euro-méditerranéen, le dialogue avec EURATEX autour des règles d’origine Paneuromed (révisées en 2019) vise à simplifier les cumuls de production, permettant aux entreprises marocaines d’intégrer davantage de composants européens sans perdre leur avantage tarifaire.
Cette dynamique est renforcée par la participation de 11 entreprises au TFF Show 2025 (Turkish fashion fabrics show) en Turquie, où le Maroc a présenté des tissus techniques et des accessoires innovants, se positionnant comme une alternative crédible à la production turque pour les acheteurs européens.
Parallèlement, le rapprochement avec l’ECAHT égyptien et l’intérêt manifesté par le groupe belge Utexbel pour investir dans la filature marocaine illustrent une volonté de développer l’amont textile, aujourd’hui dépendant à 70% des importations asiatiques.
«Développer l’amont textile est vital pour réduire notre dépendance aux importations asiatiques», insistent les dirigeants de l’AMITH, soulignant l’enjeu de souveraineté industrielle.
Un double ancrage régional – entre l’Europe et l’Afrique – qui permet au pays de diversifier ses débouchés tout en sécurisant ses approvisionnements, une stratégie clé pour affronter les chocs géopolitiques et les mutations des chaînes globales. La future implantation d’Utexbel, si elle se concrétise, marquerait une étape décisive vers une filière textile intégrée, depuis la filature jusqu’à la confection, renforçant l’attractivité du «Made in Morocco».
Les marques locales et le pari du «Designed & Made in Morocco»
L’émergence de Rosabella, marque phare du «Designed & Made in Morocco», incarne une transformation profonde du secteur textile national, alliant héritage culturel et ambition internationale. En réinterprétant des techniques ancestrales – broderies de Fès, tissages berbères ou motifs zellige – dans des designs contemporains, Rosabella construit une narrative unique, à mi-chemin entre tradition et modernité.
Une approche qui répond à une stratégie duale : d’un côté, un soft power industriel visant à exporter 30 marques marocaines d’ici 2030, soutenu par l’effet catalyseur de la Coupe du monde 2030 ; de l’autre, une différenciation face à la standardisation asiatique, misant sur l’authenticité et l’artisanat premium.
Le pavillon «The Moroccan heritage» prévu à PV Milan, dédié à la promotion du patrimoine textile national, symbolise cette volonté de positionner le Maroc comme un hub créatif, bien au-delà de son rôle historique de sous-traitant.
Pour les dirigeants de l’AMITH, cette dynamique est vitale : «Rosabella montre la voie d’une mode authentique, raffinée et résolument tournée vers l’avenir.»
Ce pari, s’il réussit, pourrait reconfigurer la chaîne de valeur locale, en captant une part plus importante de la marge grâce à la propriété intellectuelle des designs, tout en réduisant la vulnérabilité aux fluctuations de la fast fashion.
Un équilibre fragile
Malgré des avancées stratégiques, le secteur textile marocain demeure exposé à des risques structurels. Près de 75% des exportations restent concentrées sur trois marchés européens – Espagne, France et Allemagne –,
une dépendance qui le rend vulnérable aux ralentissements économiques régionaux et aux modifications réglementaires, comme les nouvelles exigences de circularité du Green Deal.
Parallèlement, le défi de la compétitivité-coût persiste : avec des salaires horaires moyens proche de 1,5 à 1,6 $/heure, le Maroc se situe dans une position intermédiaire inconfortable, loin des 0,5 $ du Bangladesh mais sans atteindre la productivité turque (4 $/heure pour une valeur ajoutée supérieure de 30%). Une tension qui limite sa capacité à rivaliser sur les segments de masse tout en pénalisant son ascension vers le haut de gamme.
Pour un analyste, la solution réside dans un équilibre délicat : «La force du Maroc réside dans son agilité à conjuguer tradition et innovation».
Un équilibre qui exige des investissements accrus en automatisation, une meilleure intégration amont pour réduire les coûts matières, et une diplomatie commerciale proactive pour diversifier les débouchés vers des marchés comme l’Afrique subsaharienne et l’Amérique du Nord. Sans ces ajustements, la transition vers un modèle résilient et à haute valeur ajoutée pourrait rester incomplète, laissant le secteur en proie aux aléas d’un marché globalisé toujours plus imprévisible.
Bilal Chearrji / Les Inspirations ÉCO