Séisme du Haut Atlas : dans les villages décimés de Taroudant, la peur d’un hiver froid hante les esprits (PHOTOS)
Le terrible séisme qui a ravagé plus de 522 douars, relevant de 35 communes rurales de la province de Taroudant, a laissé près de 25.000 familles sans abri. Avec l’arrivée de la période hivernale, les rescapés, qui tentent, tant bien que mal, de survivre en plein deuil, redoutent le froid alors qu’ils ont perdu leurs biens et leurs moyens de subsistance. Reportage et récit en images d’une communauté en deuil.
Des proches à jamais perdus, des vies brisées et des villages complétement rasés… Les rescapés du séisme meurtrier qui a frappé, la nuit du vendredi, les zones montagneuses du Haut Atlas, témoignent de leur acceptation de ce drame et de son caractère fatal, bien qu’ils soient toujours endeuillés par cette catastrophe naturelle. Toujours hantés par les souvenirs de cette tragédie, ces miraculés, habitant les 35 communes rurales de la province de Taroudant, se réveillent toujours, même après cinq jours, sur les mêmes scènes et souvenirs lugubres. Il va sans dire que les répliques sismiques, les effondrements cataclysmiques des montagnes, d’une part, la persistance des scènes de ruines et l’intensité des odeurs nauséabondes des cadavres des têtes de bétail, d’autre part, y font toujours régner une atmosphère sinistre.
Pourtant, l’attachement à la terre et aux racines des ancêtres reste vivace dans ces 522 douars où 24.805 familles ont été touchées par cette catastrophe. C’est pourquoi la majorité des survivants refusent de quitter leur villages et souhaitent regagner leurs foyers et la chaleur de leurs demeures à l’approche d’un hiver qui s’annonce rude.
Les témoignages bouleversants des rescapés
Une aspiration à nouveau départ, malgré la mort de plus de 980 personnes et la perte des moyens de subsistance. Sur le terrain, la douleur se lit toujours sur les visages des rescapés endeuillés. Au milieu des gravats, Brahim, un quinquagénaire accompagné de son enfant, qui a survécu à ce drame, fait partie de cette population amazighophone qui garde toujours l’espoir d’un avenir meilleur. Sur une colline dominant le village de Tajgalt (commune rurale de Tafingoult), entièrement détruit, il a assisté, il y a quelques jours, au dernier enterrement d’un sexagénaire de son village qui compte près de 80 demeures (Kanoun en Amazigh).
«Au cimetière du village, des fosses communes ont été creusées. C’est là où les corps ont été alignés et progressivement enterrés après une rapide prière funéraire», témoigne avec amertume Brahim, qui a accepté de nous conduire au cimetière de son village.
De visu, on peut constater les fosses communes abritant les défunts. Elles ont été creusées et cachées par la suite par des arbustes à feuilles piquantes au niveau de ce lieu de recueillement, de souvenirs et de mémoire collective du village.
Entre attachement et arrachement à la terre
Au sein de ce douar où les rescapés se sont réfugiés sous les arbres et dans les clairières, le séisme n’a pas fait de différence de sexe ou d’âge parmi les victimes, qui sont aussi bien des hommes que des femmes, des personnes âgées que des enfants en bas âge. «Plus de 42 habitants ont péri dans notre village où deux famille ont presque entièrement été décimées avec seulement deux survivants», souligne Brahim.
Dans un autre coin isolé du village, nous avons croisé Fadma Saidi, une sexagénaire du village de Tajgalt. Assise à même le sol, le regard tourné vers la route menant au village, elle a plutôt préféré parler d’avenir. «Notre attachement à nos habitations et à notre terre ne sera jamais remplacé. Comme la période hivernale arrive bientôt, nous demandons l’accélération de la reconstruction de notre douar et la prise en charge de nos orphelins et du reste de notre bétail, en l’absence d’aliments pour le nourrir et de locaux pour l’abriter», insiste-t-elle. Pour sa part, Ait Moulay Hmad, qui a perdu son fils de 42 ans, a exprimé sa volonté de reconstruire une nouvelle vie, lui qui ne se déplace plus qu’à l’aide d’une canne. «Après le dîner, je me suis endormi tôt étant donné que la journée a été fatigante. Ce sont les éclairs qui ont précédé le séisme qui m’ont réveillé.
Après la forte secousse, mon fils a immédiatement succombé. Nous avons fui dans l’obscurité totale, sans rien prendre de nos affaires personnelles, et nous nous sommes refugiés sous les arbres à proximité de notre maison complètement effondrée», se rappelle Ait Maloulay Hmad, du village de Tajgalt. Selon lui, «c’est à partir de la matinée du samedi, vers 9h, que l’aide a commencé à affluer dans notre village. Mais la majorité des survivants ne disposent toujours pas d’abris», relate-t-il, évoquant avec tristesse l’intensité de la secousse, le nuage de poussière qui a suivi et la coupure du réseau électrique qui a plongé la ville dans les ténèbres.
Des familles brisées
Plus loin vers la route menant à la commune de Tigouga où les pelleteuses déblaient encore les routes afin de faciliter l’accès aux habitations, les mêmes scènes de ruines et de vies brisés se répètent.
«Le toit de la maison s’est effondré sur nous, la nuit du vendredi, pendant que nous dormions. En deuxième année du primaire, notre enfant de huit ans a trouvé et notre fille est blessée. Quant à ma belle-mère, elle a été touchée à la colonne vertébrale et transportée à l’hôpital provincial de Mokhtar Soussi à Taroudant», témoigne un jeune couple, habitant un douar situé à deux heures de Tigouga, une ville située à 82 km de Taroudant.
Ce couple a été hospitalisé. L’homme et sa compagnent présentaient plusieurs blessures à la tête, et au thorax. À noter que la majorité des cas, accueillis à Mokhtar Souissi et dans l’hôpital de campagne militaire médico-chirurgical de Tafingoulet, souffrent de fractures et traumatismes thoraciques et crâniens entrainées par le séisme. Devant ces deux hôpitaux où la mobilisation est à son comble, le ballet des ambulances, toutes sirènes hurlantes, en rajoute au paysage de détresse et de désarroi.
Hôpitaux : fractures, traumatismes thoraciques et crâniens
«Aussitôt après le séisme, survenu à 23h11, l’hôpital Mokhtar Soussi de Taroudant a commencé à accueillir les premières vagues de victimes, et ce, à partir de minuit. Au début, on a commencé à recevoir uniquement des blessés de la ville de Taroudant. En majorité, il s’agit de cas de chocs psychologiques. Quelques cas de fractures également, ce qui a entrainé un début de panique, seule l’équipe de garde étant de service», a témoigné Abdelfattah Mohib, directeur de cet hôpital qui accueille près de 130 cas par jour avec un total de 1.000 blessés.
Actuellement, «la situation est stable avec l’appui de l’hôpital de campagne mobilisé au niveau de la commune rurale de Tafingoult, à plus de 62 km de Taroudant», précise-t-il.
Depuis, 114 médecins du secteur public ont été mobilisés ainsi que 600 infirmières et infirmiers qui continuent d’apporter leur appui médical aux rescapés. Environ 20 opérations chirurgicales sont effectuées chaque jour et 150 lits mobilisé. D’autres interventions sont effectués dans les autres hôpitaux relevant de la région Souss-Massa, notamment l’hôpital régional Hassan II à Agadir et les hôpitaux provinciaux d’Inezgane et Chtouka Aït Baha.
Un élan de solidarité inébranlable
En se référant au bilan actualisé des dégâts, sur 2.946 morts enregistrés au niveau de neuf préfectures et provinces du Royaume, plus d’un tiers, soit 33% ont trouvé la mort dans la province de Taroudant. Les communes rurales les plus touchées sont Tizi N’Test (417 morts), Tafingoult (156), Tigouga (96), Ouneine (51), Sidi Ouaaziz (46)… Par ailleurs, de jour comme de nuit, les caravanes de solidarité continuent d’affluer, après ce séisme dévastateur, dans les zones sinistrées. Plusieurs points de ravitaillement ravitaillement ont été créés pour faciliter l’acheminement de l’aide, surtout à Tafingoult.
À bord des véhicules ornés du drapeau national, les bénévoles ne cachent pas leur motivation afin de prêter main forte aux habitants des zones sinistrés. La longue durée des voyages au milieu de la chaîne du Haut Atlas, les embouteillages et les multiples pannes constatées n’altèrent guerre leur détermination à tenter d’apporter réconfort et appui à leurs concitoyens dans les différentes villages sinistrées.
Yassine Saber / Les Inspirations ÉCO