Secteur bancaire : les créances en souffrance s’envolent
Selon Fitch Ratings, le Maroc et le Nigéria représentent les deux pays du continent à connaître une forte recrudescence des prêts douteux. Une tendance qui devrait se poursuivre en 2021, et même au-delà. Quid de la rentabilité des banques ?
Dans la foulée des secteurs malmenés par la pandémie, tels que le tourisme, l’industrie ou encore le commerce, l’activité bancaire est un cas à part. D’abord par le rôle qui lui est assigné dans le bon fonctionnement de la machine économique, puis par le fait qu’en dépit de sa résilience, il souffre profondément des conséquences de la crise sanitaire et doit faire face à la recrudescence des créances en souffrances. Celles-ci ont explosé, en glissement annuel, de 14% pour atteindre 79,6 MMDH à fin octobre dernier. Par catégorie de clientèle, les sociétés non-financières privées sont à l’origine de 44,7 MMDH (+11,7%) de cet encours, alors que les ménages y représentent pratiquement 33,5 MMDH avec une progression annuelle plus prononcée (+15,6%). Désormais, ces créances en souffrance croissent au moins deux fois plus vite que le volume des crédits octroyés. La dégradation de l’activité économique, induisant une baisse des revenus des ménages et une rupture du cycle d’exploitation des entreprises, serait à l’origine de cette envolée des créances en souffrance dont le ratio au crédit bancaire s’est élevé à 8,5% à fin octobre, alors qu’il avait réussi à se stabiliser durant ces trois dernières années autour de 7,6%. Ce qui laisse présager une nouvelle flambée des défauts de paiement d’ici à la fin de l’année. Déjà à fin septembre dernier, les crédits reportés tombés en impayés avaient atteint 13,2 MMDH et ceux qui bénéficient toujours du moratoire s’élèvent à 15,1 MMDH.
«Le suivi des échéances de crédits qui ont été reportées dans le cadre de la crise augure d’une aggravation des créances en souffrance dans les prochains mois», soulignait Abdellatif Jouahri lors de son plaidoyer face aux députés le mois dernier.
Un constat confirmé par certaines agences de notation. Dans sa dernière note d’analyse, Fitch Ratings prévoit une détérioration plus rapide de la qualité des actifs des banques africaines courant 2021 et au-delà, en raison de l’effet de retard de la pandémie sur les ménages et les entreprises, combiné à l’expiration des mesures temporaires d’allégement de la dette. «La qualité des actifs des banques sera plus prononcée en 2021 compte tenu de la gravité du choc et de la reprise prolongée des industries clés (en particulier des produits de base et des secteurs axés sur l’exportation), de la hausse du chômage et de l’augmentation probable des défauts des entreprises, exacerbée par le dénouement de l’allégement de la dette et autres mesures de soutien», précise l’agence de notation. Le scénario le plus probable, pour Fitch Ratings serait la restructuration active des prêts aux grandes entreprises, empêchant ainsi une hausse plus marquée des prêts douteux. «Une telle flexibilité ne sera pas accordée aux prêts à la consommation et aux PME et ces segments entraîneront une augmentation des prêts douteux à long terme», estime l’agence.
D’ailleurs, les ratios de prêts douteux pourraient connaître une évolution à deux chiffres dans certains pays, en particulier au Nigéria et au Maroc. Le taux de sinistralité au royaume ressort, en effet, à des niveaux excessivement élevés en comparaison avec certains pays de la région comme l’Arabie Saoudite (1,7%), l’Égypte (4,9%) ou encore en comparaison avec les pays avancés tels que la France (2,7%) et la Belgique (2,3%). À savoir que les créances en souffrance restent un des principaux paramètres pris en considération par les agences de notation. Compte tenu de l’ampleur de la situation, Fitch a d’ailleurs décidé de dégrader la note de plusieurs banques dont trois étaient marocaines. «50% des notations bancaires couvertes par l’agence ont des perspectives négatives, contre 35% il y a un an, suite à de multiples révisions à la baisse depuis le déclenchement de la crise», explique l’agence de notation. À cela s’ajoutent les risques de liquidité en devises qui pourraient peser sur les notations des banques. Or, l’ampleur du choc et la multiplication des défauts de paiement des entreprises et des ménages pourraient remettre en cause la rentabilité des banques et leurs ratios de fonds propres. Cela d’autant que, selon le FMI, les établissements bancaires du monde entier ont abordé cette crise sanitaire avec des volants de fonds propres et de liquidités nettement plus importants qu’en 2008-09 afin de pouvoir faire crédit à l’économie.
«Dans cet environnement porteur de risques, les banques continuent d’afficher des fondamentaux solides au regard des indicateurs et ratios de liquidité, de rentabilité et d’adéquation des fonds propres», tempérait Jouahri. Même son de cloche auprès de l’agence de notation qui estime qu’avec une capacité de génération de revenus toujours saine, la plupart des banques de la région resteront rentables. Le financement et la liquidité, de leur côté, demeureront globalement stables au moment où les dépôts connaîtront une croissance relativement forte, selon l’agence. Au Maroc, les banques devront procéder à un deuxième exercice stress-test d’ici la fin de l’année pour démontrer leur résilience, prenant en considération un scénario de choc extrême. Entre temps, Bank Al-Maghrib avait multiplié les consultations pour finaliser la réforme de la classification et de provisionnement des créances. À l’issue des consultations avec la profession bancaire sur la réforme de la classification des créances, BAM a retenu une entrée en vigueur progressive et en 2 étapes (fin 2022 pour les dispositions régissant les créances en souffrance et fin 2024 pour les dispositions régissant les créances sensibles).
Aida Lô / Les Inspirations Éco