Maroc

Secteur bancaire : le risque de concentration, une menace systémique

Selon le dernier rapport de Bank Al-Maghrib, les expositions des banques vis-à-vis de leurs 10 plus grands débiteurs ont atteint des niveaux inquiétants, alimentant les craintes d’un risque de concentration excessif.

Dans son dernier rapport annuel sur la stabilité financière, Bank Al-Maghrib (BAM) soulève une inquiétude concernant «l’exposition plus marquée des banques marocaines au risque de concentration lié aux grands débiteurs», avec à la clé des montants record. Les chiffres avancés par la Banque centrale sont préoccupants concernant cette exposition, particulièrement envers les 10 plus grands groupes non financiers.

En 2023, ces expositions ont atteint un niveau record de 516 milliards de dirhams (MMDH), en hausse de 11,5% par rapport à 2022. Cette croissance soutenue des expositions indique que la concentration des risques sur ces grands groupes ne cesse de s’amplifier. Le fait que 51,8% de ce montant colossal soit porté uniquement sur les 10 premiers groupes non financiers est particulièrement alarmant.

Cela signifie que plus de la moitié des expositions brutes des banques est concentrée sur une poignée de grands débiteurs. Bien que cette part ait légèrement diminué par rapport à 2022 où elle était de 52,4%, elle reste très élevée et traduit une dépendance excessive du secteur bancaire vis-à-vis de ces mastodontes.

«Une telle concentration représente un risque majeur pour la stabilité financière au Maroc», réagit un analyste.

En effet, si l’un de ces grands groupes venait à connaître des difficultés financières, voire une faillite, l’impact serait lourd pour les banques concernées. Une situation qui remet en cause les principes de base de diversification des risques et appelle à des mesures urgentes, que ce soit de la part des établissements bancaires eux-mêmes ou des autorités de régulation.

Concentration accrue par rapport aux fonds propres
Autre élément à prendre en compte : le rapport de Bank-Al Maghrib indique que le niveau global de concentration des expositions des banques envers les grands débiteurs, par rapport à leurs fonds propres prudentiels, a encore grimpé, passant de 2,7 fois en 2022 à 2,9 fois en 2023. Ceci signifie que les expositions totales envers ces grands groupes représentent désormais près de 3 fois les fonds propres des banques.

Ces derniers constituent les réserves de capital des établissements pour absorber d’éventuelles pertes. Comme nous explique une personne-ressource, «un ratio aussi élevé est très risqué car en cas de défaut d’un ou plusieurs grands débiteurs, les pertes potentielles pourraient largement entamer, voire dépasser, les fonds propres de certaines banques. Leur solvabilité serait alors gravement menacée». Le rapport souligne d’ailleurs qu’historiquement, ce niveau de concentration n’avait jamais atteint un tel niveau.

Entre 2019 et 2021, il était inférieur à 2,5 fois les fonds propres, soit un niveau déjà élevé mais moins critique qu’actuellement. Cette dégradation rapide, en seulement quelques années, est très préoccupante. Elle reflète une prise de risques excessive des banques sur ces grands groupes au détriment des principes fondamentaux de diversification prudente de leurs expositions. Une situation qui les rend vulnérables à un choc sur une poignée de grands débiteurs.

Impact potentiel sur le citoyen lambda et les PME
Pour le Marocain lambda, il faut comprendre que cette fragilisation de la situation financière des banques n’est pas sans impacts potentiels. Si un ou plusieurs des grands groupes fortement emprunteurs auprès des banques venaient à faire défaut sur leurs engagements, l’impact serait que les capacités de distribution de crédits des banques à l’économie se trouveraient fortement réduites, par prudence. Cela toucherait en premier lieu les ménages, qui représentent pourtant 29% du portefeuille de crédit des banques, selon le rapport.

L’accès au financement pour leurs projets immobiliers ou de consommation deviendrait plus ardu et plus coûteux. Mais l’impact se répercuterait aussi sur les entreprises, et en particulier les PME, qui n’ont pas le poids ni des relations privilégiées avec les banques, comme les grands groupes. Leurs besoins de trésorerie, d’investissement ou de développement seraient plus difficilement satisfaits.

In fine, c’est l’économie nationale dans son ensemble qui pâtirait de ce choc sur le secteur bancaire. Un manque de financement freine l’activité économique, l’investissement, la consommation et l’emploi. Le Marocain lambda serait donc impacté à plusieurs niveaux dans ses projets personnels et professionnels.

Diversification sectorielle en amélioration

Le rapport de la Banque centrale note par ailleurs une amélioration de la diversification sectorielle du portefeuille de crédit bancaire. Tout d’abord, il est rassurant de constater que les ménages demeurent les principaux bénéficiaires des crédits bancaires avec une part de 29%. Cela reflète le rôle essentiel joué par les banques dans le financement de l’économie domestique et des projets des particuliers. Ensuite, on note une relative diversification sectorielle avec des poids importants pour les secteurs financiers (14%), des services (14%) et des industries manufacturières (9%).

Cette répartition des expositions sur différents secteurs clés de l’économie est un facteur de moindre risque comparé à une concentration excessive sur un seul secteur. Le point le plus positif reste l’évolution favorable de l’Indice de concentration IHH (Herfindahl-Hirschman). Cet indicateur varie entre 0 et 1, une valeur plus élevée signalant une concentration plus forte.

Or, l’IHH est passé de 0,138 en 2022 à 0,134 en 2023. «Cette deuxième baisse annuelle successive, bien que modeste, témoigne d’une plus grande diversification sectorielle dans le portefeuille de crédit aux entreprises. Les banques ont donc poursuivi leurs efforts pour mieux répartir leurs expositions entre différents secteurs d’activité plutôt que de se concentrer sur quelques-uns seulement», souligne un contact.

Cette tendance est positive car elle permet de mieux diluer les risques. Si un secteur particulier venait à rencontrer des turbulences, l’impact serait moindre pour les banques grâce à cette diversification accrue de leurs expositions. Cela réduit les risques de pertes concentrées et importantes sur leur portefeuille d’une année sur l’autre. Une diversification large des risques est en effet l’un des principes fondamentaux de gestion saine du risque de crédit pour un établissement bancaire.

Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO



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