Sciences humaines : “Des djinns à la psychanalyse”. L’articulation des pratiques traditionnelles et contemporaines
Quelle place convient-il d’accorder aux particularités culturelles dans la psychanalyse moderne ? Constituent-elles un mode de structuration des individus ou un simple habillage socioculturelle ? La réponse à ces questions et bien d’autres sont consignées dans le dernier ouvrage, «Des djinns à la psychanalyse – Nouvelle approche des pratiques traditionnelles et contemporaines», du psychiatre et psychanalyste Jalil Bennani. Un travail que l’auteur considère à la fois comme une recherche et un aboutissement de son apport scientifique antérieur.
À travers les pages de son livre, l’éminent chercheur définit notamment les frontières entre les pratiques traditionnelles et contemporaines en matière de thérapie psychiatrique et psychanalytique. Il indique que ce livre est une articulation des deux pratiques. «Les représentations populaires et traditionnelles, ainsi que les croyances et les pratiques traditionnelles sont premières, alors que la psychiatrie est seconde. Donc, elle est venue se greffer. Et en se greffant, elle ne chasse pas les pratiques traditionnelles, mais elle amène autre chose. Ce ne sont pas ces pratiques qui ont amené la psychanalyse. Il s’agit, précisément, d’une rupture que j’appelle rupture épistémologique, c’est-à-dire une rupture dans le champ des croyances», explique Dr. Jalil Bennani (voir interview).
Une question de subjectivité
Pour l’auteur, la mission du psychanalyste est de se pencher sur la subjectivité et d’être à l’écoute de toutes les croyances et de tous les savoirs. D’ailleurs, il indique que l’universel est constitué de toutes les cultures et de toutes les langues.
«De la culture populaire au discours de la science, le lexique et les registres diffèrent, le premier situant la maladie dans un univers global, le second considérant qu’elle relève d’abord de l’individu», souligne-t-il dans son ouvrage.
Par exemple, l’état de folie trouve plusieurs appellations dans la tradition populaire maghrébine : meskoun (habité), mashour (ensorcelé), mehboul (qui a perdu la raison),… auxquelles viennent se superposer les termes de «névrose», «psychose» ou «trouble d’humeur» dans la psychiatrie.
Deux cultures, deux systèmes de soins
L’intérêt de ce livre réside aussi dans la mise en lumière de la problématique du thérapeute qui exerce entre deux cultures, deux langues, et deux systèmes de soins. «L’approche rationnelle et scientifique, qui est la mienne, ne me conduit pas à m’opposer à une irrationalité qui serait celle de la tradition. La rationalité existe aussi bien dans les pratiques traditionnelles que dans les pratiques modernes. Mais elles ne sont pas du même ordre», indique l’auteur dans l’introduction de son ouvrage.
Le lauréat du Prix Sigmund Freud appelle tout au long de son ouvrage les praticiens à prendre en compte à la fois la science occidentale et les données extra-orientales, et ce, sans qu’il soit question de valoriser l’une plus que l’autre mais de les articuler.
Le mouvement thérapeutique
Sur le plan de la pratique psychanalyste, «Des djinns à la psychanalyse» met en exergue le «mouvement» opéré des pratiques traditionnelles aux pratiques contemporaines. C’est-à-dire le mouvement effectué par le patient à travers lequel il se considère partie prenante de ce qui lui arrive. Donc, une prise de conscience du patient de sa responsabilité de son état pathologique au contraire d’une attitude fataliste où le patient se laisse faire en se disant : «C’est mon destin, ça devait m’arriver». Dr. Jalil Bennani soutient que la souffrance psychique est révélatrice à la fois des conflits individuels et de l’histoire collective, du contexte socioculturel et économique, passés et présents. Son ouvrage propose des outils pour une approche de l’être humain dans sa globalité à partir d’un contexte et de situations particulières.
Ahmed Ibn Abdeljalil / Les Inspirations ÉCO