SCI non conformes : une bombe à retardement pour l’immobilier marocain

Face à l’échéance légale de novembre 2025, les SCI doivent impérativement régulariser leur statut juridique. Un retard menacerait non seulement leurs activités, mais aussi l’équilibre d’un secteur immobilier déjà fragilisé par les mutations réglementaires. Si l’urgence est légale, l’enjeu est économique.
Le secteur immobilier marocain, pilier historique de l’économie, est confronté à un défi réglementaire majeur en 2025 et un risque systémique sous-estimé. En effet, bon nombre de Sociétés civiles immobilières (SCI), structures juridiques privilégiées pour la gestion patrimoniale, font face à une crise de conformité susceptible de paralyser des milliers de transactions, pour non-conformité à la loi n° 31-18.
Malgré l’obligation de mise à jour des statuts et d’inscription au registre dédié avant novembre 2025, nombreuses sont les SCI qui tardent à régulariser leur situation. Une inertie qui menace non seulement leurs propres activités, mais aussi l’équilibre global d’un secteur en pleine mutation.
En effet, avec un délai d’un an imposé par le décret n° 2.23.100 de novembre 2024 pour adapter leurs statuts et s’inscrire au registre dédié, l’urgence est réelle. Mais jusqu’à quel point cette non-conformité menace-t-elle l’équilibre du marché ?
Le cadre réglementaire renforcé : une exigence ignorée à ses risques et périls
La loi n° 31-18, complétée par le décret de novembre 2024, impose aux SCI deux obligations impératives : l’harmonisation des statuts et l’inscription au registre électronique des SCI. Des mesures qui visent à combler des lacunes historiques, notamment l’opacité des structures et les risques de fraude.
Comme l’explique Lhaj Boulanouar, expert-comptable et commissaire aux comptes, «la personnalité juridique des SCI est désormais conditionnée à leur inscription. Sans cela, elles n’existent pas aux yeux de la loi, et les associés engagent leur responsabilité personnelle».
Les 10 mentions obligatoires (art. 987-1 du DOC), incluant l’identité complète des associés ou les modalités de gestion, imposent une rigueur documentaire sans précédent. Les SCI anciennes, parfois actives depuis des décennies, doivent reconstituer leur historique statutaire, une tâche titanesque pour celles dont les archives sont dispersées.
Les blocages concrets : transactions gelées et responsabilités exposées
Les conséquences de la non-conformité sont déjà palpables. Plusieurs transactions sont bloquées, les notaires et institutions financières exigeant désormais la preuve de l’inscription au registre. Sans personnalité juridique, une SCI ne peut ni acheter, ni vendre, ni même emprunter.
En outre, les associés risquent une responsabilité illimitée : en cas de dettes ou de litiges, leur patrimoine personnel devient saisissable.
«Une SCI non inscrite est une coquille vide. Les associés sont directement sur la ligne de front», souligne un analyste.
Le risque de nullité rétroactive des actes contractuels ajoute une épée de Damoclès. Une vente réalisée avant la mise en conformité pourrait être contestée, créant une insécurité juridique pour les acquéreurs.
Pourquoi les SCI tardent-elles à agir ?
La mise en conformité des SCI se heurte à des obstacles structurels et logistiques majeurs, particulièrement pour les entités créées avant 2019. Le processus exige une rigueur d’archiviste sans compromis : les sociétés doivent reconstituer l’intégralité de leur historique statutaire, depuis leur création jusqu’aux dernières modifications.
Pour les SCI anciennes, souvent administrées de manière informelle, cette tâche relève du défi. Retracer des décennies de changements – ajouts ou retraits d’associés, révisions des règles de gestion, ajustements du capital social – implique de retrouver des documents éparpillés, parfois perdus, voire jamais formalisés. Certains dossiers remontent aux années 1990, voire plus. Les archives ont été déplacées, détruites ou simplement négligées.
Dans certains cas, les modifications ont été validées oralement, sans trace écrite. La digitalisation des archives, pourtant essentielle pour accélérer le processus, reste un chantier inaccessible pour nombre de SCI, faute de compétences internes ou de partenariats avec des professionnels de la gestion documentaire. Cette pénurie de ressources techniques transforme une obligation légale en parcours du combattant, décourageant les mises à jour dans un contexte où le temps manque déjà.
Un marché immobilier sous tension
Avec 130.000 transactions immobilières enregistrées en 2024 et une croissance sectorielle de 4,5%, le Maroc ne peut risquer un ralentissement causé par la non-conformité des SCI. Ces structures, omniprésentes dans le segment des villas et dans les acquisitions étrangères (12% du marché), sont des acteurs clés du dynamisme immobilier.
Or, si des milliers d’entre elles restent hors-la-loi en 2025, les conséquences économiques seraient sévères. Une baisse de la liquidité du marché est à craindre : les biens détenus par des SCI non conformes deviendraient invendables, gelant une partie de l’offre. Les investisseurs étrangers, déjà prudents face aux réformes réglementaires, pourraient se détourner, sapant un levier essentiel de croissance.
Parallèlement, les contentieux juridiques liés à la nullité rétroactive des actes engorgeraient les tribunaux, déjà sous pression. Cette surcharge judiciaire retarderait davantage les transactions, créant un cercle vicieux délétère pour un secteur qui contribue significativement au PIB national. L’enjeu dépasse ainsi le cadre juridique : il s’agit de préserver la crédibilité du marché immobilier marocain sur la scène internationale.
Entre opportunités et risques systémiques
Comme indiqué plus haut, les dispositions transitoires accordant un délai d’un an aux SCI pour se conformer placent le marché immobilier national à un carrefour décisif. Si 2024 a affiché une croissance sectorielle de 4,5%, soutenue par des investissements dans le logement social et moyen standing, 2025 pourrait sceller un basculement.
Dans un scénario optimiste, une mobilisation coordonnée des notaires, experts-comptables et autres permettrait de régulariser 70% à 80% des SCI d’ici fin 2025. La digitalisation accélérée réduirait les délais de traitement des dossiers, préservant ainsi la liquidité du marché.
À l’inverse, un scénario critique, marqué par un taux de conformité inférieur à 50%, déclencherait une crise de confiance aux ramifications multiples : une chute de 15% à 20% des transactions affecterait directement les promoteurs, les banques et les ménages, tandis que les litiges juridiques paralyseraient les tribunaux.
Ce dualisme reflète l’urgence d’une action collective : la pérennité de 50.000 logements sociaux livrés en 2024 et des projets éco-responsables (+25% prévus en 2025) dépendent de la capacité des acteurs à transformer une contrainte réglementaire en levier de modernisation.
Un test de résilience pour l’immobilier marocain
La conformité des SCI n’est pas qu’une question juridique : c’est un impératif économique. Avec 50.000 logements sociaux livrés en 2024 et des projets éco-responsables en hausse (+25% prévus en 2025), le Maroc ne peut se contredire en tolérant des failles réglementaires. Ainsi, cette réforme est une chance historique de moderniser le secteur.
Les SCI conformes gagneront en crédibilité, attirant davantage d’investisseurs étrangers. À l’inverse, celles qui tardent hypothèquent leur avenir. La bombe à retardement est amorcée, mais elle peut encore être désactivée. Reste à savoir si la prise de conscience collective suivra le rythme effréné du calendrier légal.
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO