Maroc

Rachid Benali : “Il est difficile de parler de souveraineté alimentaire pour les céréales, les oléagineux et le sucre”

S’exprimant sur la conjoncture agricole, Rachid Benali, président de la Comader, fait le point sur de nombreux sujets qui ont trait à l’un des secteurs les plus névralgiques pour le pays, à l’occasion de l’ouverture du Salon international de l’agriculture au Maroc. 

La souveraineté alimentaire est revenue sur le devant de la scène. En tant que président de la Comader, quelles sont les leçons à tirer de la conjoncture que nous vivons ?
Comme vous le savez, les changements climatiques constatés au Maroc ces dernières années attestent d’une hausse inédite des températures par rapport aux niveaux habituels. Plusieurs filières agricoles ont été déstabilisées par ces facteurs néfastes, conjugués avec les pressions externes, essentiellement la crise post-pandémique et la spirale inflationniste. Il s’agit, notamment, de la filière des produits oléagineux, très dépendante des importations.

Dans ce sens, la couverture des besoins nationaux pour la production d’huiles de table est estimée à 5% à peine. Pour les autres filières, notamment les céréales, la dépendance varie en fonction des conditions climatiques annuelles avec un taux de couverture de 50 à 70%, voire seulement 30%.

En ce qui concerne le lait et les viandes rouges, le taux de couverture, qui avait atteint 100%, oscille actuellement entre 75 et 80%. Pour les légumes, l’insuffisance de l’approvisionnement du marché – bien que temporaire – pour certaines variétés a entrainé une flambée des prix et une déstabilisation de l’offre. Partant de ce constat, la souveraineté alimentaire sur ces produits s’est trouvée remise en cause, impactant de fait les produits de première nécessité sur le marché national.

Quel regard portez-vous sur le modèle de sécurité et de souveraineté alimentaire privilégié par le Maroc depuis le lancement du Plan Maroc Vert ?
Le Plan Maroc Vert était fondé sur deux piliers : l’agriculture moderne et l’agriculture solidaire. Il a permis au pays de se doter d’exploitations performantes, notamment pour l’olivier dont la superficie est passée de 700.000 à 1,2 million ha, la moitié de cette superficie étant cultivée par les petits producteurs. Le constat est le même pour les agrumes, les rosacés, les fruits et légumes et bien d’autres.

Au-delà de la question de la flambée des prix, due à une multitude de facteurs, le Plan Maroc Vert a permis de garantir une disponibilité des produits alimentaires sur le marché. Il faut rappeler, par ailleurs, que les cultures d’exportation permettent de générer des recettes importantes en devises mais surtout, elles sont de grands employeurs. Précisons aussi, qu’avec environ 25.000 ha, les produits exportés, qui génèrent une forte valeur ajoutée, n’occupent pas de grandes superficies. En outre, les prix rémunérateurs à l’export ont l’avantage de payer la main-d’œuvre grâce à la péréquation qui permet d’appliquer des prix bas sur le marché local, lesquels ne couvrent parfois même pas le coût de revient.

Comment rétablir l’équilibre des chaînes de production et leurs capacités dans le cadre de la stratégie Génération Green ?
Actuellement, des mesures sont prévues, notamment pour ce qui est de la reconstitution du cheptel. Même si le coût est significatif en matière de subvention des aliments de bétail, la solution doit être structurelle, en plus de faire appel aux importations.

Après le contexte pandémique qui a été suivi par une flambée des prix des aliments, plusieurs éleveurs ont décidé de vendre une partie de leur cheptel pour faire face à cette situation. L’appui qui est fourni actuellement aux éleveurs vise à remédier à cette situation. Reste l’épineuse question de la filière oléagineuse. Un contrat-programme sera signé lors du SIAM, pour encourager les agriculteurs à s’y adonner. Néanmoins, son développement ne sera pas aisé et ne pourra se faire que sur le long terme. Le constat est le même pour les céréales.

À cet égard, le développement des céréales, en assolement avec les légumineuses et les oléagineux, est envisagé grâce à des techniques d’irrigation d’appoint lors des périodes de précipitations de mars à avril. D’ailleurs, ce programme sera maintenu au cours des trois prochaines années sur une superficie de 500.000 à 1 million ha pour couvrir la production de ces trois produits stratégiques, mais aussi, les aliments de bétail issus de la paille de céréales et des oléagineux.

À votre avis, quels sont les leviers à activer pour opérer un changement de paradigme, en vue de passer d’une «sécurisation» à une «souveraineté» alimentaire ?
Pour le moment, on ne saurait parler de souveraineté alimentaire, surtout pour des cultures telles que les céréales, les oléagineux et le sucre. Ce qui est primordial pour plusieurs pays, tel que le Maroc, c’est de combiner la sécurité alimentaire et la souveraineté alimentaire compte tenu, tout d’abord, des facteurs climatiques et des mutations mondiales. Il s’agit, d’ailleurs, de l’un des objectifs des nouveaux contrats-programmes de la stratégie Génération Green.

Aujourd’hui, le dessalement de l’eau de mer est une option très prometteuse pour le secteur avec l’installation de plusieurs unités de dessalement sur les côtes marocaines, à condition de régler la problématique du coût de l’énergie ainsi que l’interconnexion entre les bassins excédentaires et déficitaires. Aussi, pour sécuriser ses besoins, le Maroc a investi dans les espaces de stockage des céréales, notamment les silos de blé qui seront subventionnés dans le cadre des nouveau contrats-programmes de la stratégie Génération Green.

L’objectif est de pallier les situations de pénurie sur le marché, comme c’est le cas actuellement pour le sucre avec les restrictions imposées par plusieurs pays sur d’autres productions (y compris les céréales et les viandes rouges). Donc, le premier pas pour assurer cette sécurité alimentaire est d’investir dans les espaces de stockage – notamment frigorifiques – afin de consolider l’autonomie des marchés. Ceci concerne particulièrement les filières où le Maroc ne dispose pas de souveraineté. Pour celles qui sont déstabilisées, comme le lait et les viandes rouges, l’équilibre devra être atteint en vue de «récupérer» cette souveraineté.

La mission exploratoire temporaire relevant de la Commission des secteurs productifs du Parlement a émis 64 recommandations au sujet des fragilités du système de commercialisation et de distribution des produits agricoles frais et périssables. Quel est l’impact de ce volet sur l’amont des filières de production ?
L’un des apports de la stratégie Génération Green est, justement, de résoudre cette problématique. Parler de circuit de distribution et de passage obligé par les marchés de gros pour les produits frais et périssables, impose aussi d’aborder le circuit de transformation. Ceci concerne notamment les viandes rouges avec la problématique des abattoirs. Ces circuits, importants pour les deux filières, souffrent de l’intermédiation. Il s’avère donc nécessaire de mettre en place des structures modernes (marchés de gros performants et abattoirs modernes certifiés par l’ONSSA), de manière à répondre aux défis qui se posent avec acuité. Le constat est le même pour la filière oléicole qui souffre de la même problématique avec la prédominance des unités traditionnelles de trituration d’olives (maâsras). De ce fait, et en plus du renforcement du contrôle, un travail d’assainissement des circuits de distribution et de commercialisation est nécessaire afin de régler les dysfonctionnements détectés en aval des productions.

Yassine Saber / Les Inspirations ÉCO


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