Portrait. Latifa Mentbeh, l’ange gardien de la Blouza oujdia
La région de l’Oriental regorge de profils féminins dont elle peut s’enorgueillir. Parmi eux, Latifa Mentbeh, styliste talentueuse, s’impose comme une véritable ambassadrice du patrimoine culturel, redonnant ses lettres de noblesse à la Blouza oujdia.
La Blouza oujdia, joyau vestimentaire de la région de l’Oriental, incarne la riche histoire d’Oujda. Cette ville, carrefour de civilisations, a vu naître un vêtement unique, témoin silencieux des influences culturelles qui ont façonné la région. Pourtant, pendant près de trois siècles, cet habit traditionnel est resté dans l’ombre, absent des grands événements culturels. C’est là qu’entre en scène Latifa Mentbeh, styliste visionnaire originaire d’Oujda, déterminée à redonner ses lettres de noblesse à ce patrimoine vestimentaire. «La Blouza oujdia, en particulier, est un symbole riche de l’identité oujdie, avec son histoire, ses motifs, et son artisanat», explique-t-elle avec passion.
Une mission, une passion
L’engagement de Latifa Mentbeh envers la Blouza oujdia est devenu sa mission de vie, son véritable cheval de bataille. «L’importance de préserver et de promouvoir ce patrimoine culturel m’a motivé à m’engager davantage dans sa valorisation, en sensibilisant d’autres personnes à sa beauté et à son histoire», confie-t-elle. Au début des années 2000, alors que le caftan et les robes d’autres régions du Maroc dominaient le marché, Latifa a ressenti une profonde inquiétude face à l’effacement progressif de ce vêtement emblématique. Elle s’est donc efforcée de raviver la Blouza en lui insufflant une nouvelle vie, alliant tradition et modernité pour séduire les jeunes tout en éveillant la nostalgie des aînées.
Innovation et préservation : un défi relevé
Latifa a dû faire preuve de persévérance et de créativité pour convaincre les couturières de l’Oriental de consacrer du temps à ces robes ancestrales tout en explorant de nouvelles coupes. «Mon approche créative se base sur un équilibre délicat entre la préservation de l’authenticité de la Blouza oujdia et son adaptation aux goûts contemporains», explique-t-elle. «Je veille à ce que les méthodes artisanales utilisées pour créer la Blouza oujdia soient scrupuleusement respectées». L’approche novatrice de Latifa ne se limite pas à l’esthétique. Elle perçoit la Blouza comme bien plus qu’un simple vêtement ; c’est pour elle un vecteur de culture et d’identité.
De la renaissance à la reconnaissance internationale
L’impact de Latifa Mentbeh sur la revitalisation de la Blouza oujdia est considérable. En 2005, elle lance une vaste campagne de sensibilisation auprès des jeunes couturières. Elle crée également une coopérative pour soutenir les artisanes expérimentées de la région de l’Oriental et les former aux techniques commerciales modernes.
Détaillant ses initiatives principales, elle explique : «J’ai travaillé pour faire redécouvrir un patrimoine culturel ancestral à l’ensemble de la région de l’Oriental, créer l’Association orientale pour l’Oriental en 2011 afin de donner un cadre juridique à mon initiative, et redonner à la Blouza une nouvelle image en accord avec les tendances actuelles».
Son engagement ne cesse de s’amplifier au fil des années. En 2014, Latifa franchit une étape décisive en organisant le premier défilé de mode entièrement dédié à la Blouza, marquant ainsi le début d’une nouvelle ère pour ce vêtement traditionnel. Cette même année, elle fonde l’Association de développement de l’Oriental, un tremplin pour promouvoir le patrimoine culturel de la région.
Le couronnement de ses efforts se concrétise avec la création du Festival de Blouza à Oujda, un événement annuel dont elle prend la direction. «Ce festival, lancé en 2014, a eu le mérite d’épanouir le concept de la Blouza», explique-t-elle avec enthousiasme. «Mais c’est surtout depuis 2017, grâce au Haut patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que l’événement a pris une dimension nationale». Désormais placé sous l’égide royale, ce rendez-vous culturel est devenu une vitrine exceptionnelle, mettant en lumière la richesse artistique et musicale de l’Oriental, tout en propulsant la Blouza sur le devant de la scène.
Un modèle d’inspiration
Latifa Mentbeh ne se contente pas de préserver un héritage, elle ouvre la voie à de nouvelles opportunités pour les femmes de sa région. Son message est clair : il est impératif de valoriser le savoir-faire ancestral et de lui donner la place qu’il mérite sur la scène internationale de la mode. «En organisant des ateliers et des formations, nous avons permis aux artisanes locales de perfectionner leurs compétences et de découvrir de nouvelles techniques, tout en restant fidèles à la tradition», explique-t-elle. «Ce travail a non seulement préservé cet héritage culturel, mais il a aussi offert des opportunités économiques durables aux couturières de la région». Son ambition va au-delà des frontières. Elle vise à faire de la Blouza oujdia une pièce de haute couture capable de rivaliser avec les robes africaines, méditerranéennes et européennes. À travers des coopérations décentralisées, elle œuvre à l’ouverture de l’Oriental sur le continent africain et l’espace méditerranéen.
Un héritage pour l’avenir
Latifa Mentbeh incarne la fierté et le dynamisme des femmes de l’Oriental. Son travail ne se limite pas à la préservation d’un vêtement ; il s’agit de transmettre un héritage culturel aux générations futures. Elle aide les jeunes à résister aux tentations de l’acculturation tout en encourageant les aînées à être fières de leur histoire.
Son message aux femmes de la région est porteur d’espoir et d’encouragement : «Aux femmes de l’Oriental, je voudrais dire ceci : votre région est un trésor de richesses culturelles et artisanales. Le potentiel est immense, que ce soit dans la préservation des traditions ou l’innovation. En tant que gardiennes d’un héritage unique, vous avez le pouvoir de transformer ces traditions en opportunités économiques et sociales».
Sami Nemli / Les Inspirations ÉCO