2M, Médi1 TV, SNRT: ce qui va changer
Le ministre chargé de la Communication, Othman El Ferdaous, a annoncé le bouclage du pôle de l’audiovisuel public. Au-delà de la prise de contrôle de 2M et de Médi1TV par la SNRT, qu’est-ce qui changera pour les télespectateurs et pour le secteur?
Fini les phases de cadrage, de conception et de planification. La refonte du pôle audiovisuel public entre dans sa phase de réalisation. Après plusieurs années d’attente, la nouvelle vient de tomber. La SNRT, qui au passage changera de nom pour suivre ses nouvelles ambitions dans l’audiovisuel, deviendra une holding détenant non seulement ses différentes marques actuelles, mais également Soread (société mère de 2M) et Médi1TV.
L’annonce a été faite lundi par le ministre de tutelle sur le plateau du journal télévisé de 20h de la chaîne publique Al Aoula. Le ministre annonce également la finalisation imminente du contrat-programme entre l’État et le nouveau pôle, qui donnera davantage de visibilité sur plusieurs années. Hier mardi 25 mai, Othman El Ferdaous, ministre de la Culture, de la jeunesse et des sports, chargé de la communication, a présenté en commission les détails de ce nouveau pôle. Que peut-on retenir de cette séance parlementaire ?
Plus de vidéos à la demande
Aflam TV devrait être remplacée par la SVOD, une plateforme de vidéo à la demande ce qui, selon le ministre, permettra un large choix pour les téléspectateurs. En sus, les ménages marocains disposeront de plus de 1.200 chaînes de télévision. De cette présentation parlementaire, l’on constate que les autorités ont mis l’accent sur la vidéo à la demande et son potentiel disruptif, dans un contexte où le rapport des Marocains avec la télévision est en pleine mutation, une tendance accélérée par la crise sanitaire.
Pour le ministre, le défi du pôle est de capter les jeunes marocains et répondre à leurs besoins et exigences, dans un contexte où près de 84% des Marocains utilisent WhatsApp, près de 15 millions de Marocains sont sur Instagram, et 2 millions utilisent YouTube. Face à la pression de la concurrence, le pôle audiovisuel n’a pas d’autre choix que de s’adapter.
Pour Fayçal Laaraichi, PDG de la SNRT, «le grand défi n’est pas la numérisation du secteur audiovisuel, car c’est un aspect technique, mais plutôt le fait de penser comment procurer aux Marocains de nouveaux canaux de consommation de l’audiovisuel, à travers des moyens de communication numérique». Pour ce faire, il va falloir installer un nouveau paradigme. «Il faut sortir des sentiers battus de la hiérarchisation. La prise de décision doit être décentralisée… Notre secteur doit se restructurer.
La gestion va changer de manière à faire contribuer toutes les forces vives du secteur, les producteurs, les artistes, les marketeurs, les gestionnaires financiers… Ceci se fera graduellement au cours des années à venir», estime Laaraichi. Sur le plan comptable, cette réforme se traduira, dans sa première phase, par ce que l’on appelle dans le métier «opération accordéon,» via laquelle le capital social de ces entreprises sera épongé des pertes par le moyen d’une réduction de capital, puis une augmentation de capital pour faire remonter celle de la SNRT. Cependant, l’opération diluera la part des actionnaires minoritaires.
Sur ce point, le ministre reconnaît qu’il n’y a pas de secteur public fort et compétitif sans la présence d’un pôle privé. Au niveau des radios, Medi1 Radio et Régie 3 fusionneront pour entrer dans le pôle public, suite à une due diligence, afin de ficeler les paramètres financiers de l’opération.
Le rôle clé de la zone d’accélération audiovisuelle
A l’ère où Netflix, Apple TV+, Amazon Prime et les plateformes internationales de vidéo à la demande ont le vent en poupe, comment réaffirmer la souveraineté culturelle du Maroc ? Mais aussi, comment offrir aux téléspectateurs du contenu répondant à sa demande? L’un des leviers à actionner pour faire correspondre l’offre à la demande consiste à favoriser l’émergence et l’éclosion de talents dans le secteur de l’audiovisuel. En effet, l’autre défi du secteur réside dans l’implication des compétences marocaines dans l’innovation nationale.
«Nous avons la capacité de créer une offre nationale digne, qui capte l’intérêt des Marocains. Pour ce faire, nous devons nous focaliser sur la qualification des ressources humaines jeunes férue d’outils numériques. Il faut surtout leur faire confiance et les pousser à produire des idées nouvelles», fait valoir Fayçal Laaraichi.
Pour ce faire, une zone d’accélération dédiée à l’audiovisuel sortira de terre. À cet effet, un appel d’offres (AO) a été lancé, dont les plis seront ouverts dans 35 jours, déclare le ministre de tutelle. Comme nous l’annoncions il y a quelques semaines sur Les Inspirations ÉCO, l’AO portera sur la réalisation d’une étude et bien d’autres aspects relatifs à «la zone d’accélération audiovisuelle» (cf: www.leseco.ma). Le pilier de cette zone sera la mise en place, à travers un PPP, d’un institut de formation qui fournira le secteur de l’audiovisuel en ressources humaines de qualité et bien formées.
L’un des rôles de cette structure sera de contribuer au développement de synergie technologique entre trois secteurs très proches: l’audiovisuel, le cinéma et les jeux vidéo. Ceci, d’autant plus que ces secteurs emploient les mêmes compétences et ont recours aux mêmes formations. Rappelons que la SNRT emploie environ 2.000 collaborateurs, 2M en compte 700, et Medi1 a 350 employés. Le pôle audiovisuel public réunit plus de 3.000 collaborateurs. À la clé, le catalogue actuel en films et séries de la SNRT et 2M s’enrichira, chaque année, d’une moyenne de 80 programmes 100% marocains.
Des acquis sur lesquels capitaliser
Suite à une récente mise à niveau de leurs départements de l’information respectifs, les trois principales chaînes audiovisuelles du pôle public, 2M, Al Aoula et Médi1TV s’illustrent depuis un certain temps par un regain de dynamisme, plus de réactivité et plus de proximité avec le téléspectateur.
Au cours du confinement de 2020, ainsi que pendant chaque saison de ramadan, les hausses d’audience ont bien montré que le pôle public a une place de choix dans les préférences du public. Rien que pour la période de ramadan, la production nationale a connu un bond considérable d’audience. Al Oula et 2M ont présenté des taux records jamais atteints auparavant ! Le taux d’audience a, par ailleurs, dépassé les 4h45 minutrd. Des acquis sur lesquels il faudrait impérativement capitaliser. Toutefois, en dépit de ce qui précède, les chaînes du paysage audiovisuel public ont une santé financière fragile. Pour optimiser leur modèle économique, le nouveau pôle mutualisera les achats de programmes, la télédiffusion, ainsi que la commercialisation des espaces publicitaires.
L’enjeu est d’optimiser les dépenses et la gestion des ressources en vue d’être plus performants face à une concurrence qui affiche un appétit carnassier, notamment les GAFA et leurs plateformes numériques, qui aspirent jusqu’à 85% des ressources publicitaires. Pis encore, les revenus publicitaires baissent d’une année à l’autre. Pareil pour les subventions étatiques qui sont en baisse depuis plusieurs années. Face à de telles ambitions et des ressources qui ne vont pas dans le même sens, qui mettra la main à la poche ? La question reste posée. Pour des analystes, le financement public s’impose à côté du financement du marché provenant essentiellement des recettes publicitaires.
Plus de films et de pubs ?
En France, la réforme du secteur audiovisuel a opté pour un modèle qui a de quoi inspirer le Maroc. Toutefois, cette option se traduit par une légère baisse de confort pour le téléspectateur à qui la réforme a permis de voir plus de films, plus seulement les mardis et dimanches comme de tradition, mais n’importe quel jour de la semaine. Les chaînes ont ainsi eu le droit d’en diffuser quand elles le souhaitent, mais avec un volume plafonné à 244 productions par an. D’autre part, il a fallu accepter de « subir » plus de publicités durant les longs-métrages et téléfilms de plus de deux heures et même des spots parfois segmentés en fonction des goûts des téléspectateurs.
Concernant le cinéma et la création, les rapports entre les acteurs ont été davantage encadrés, notamment les chaînes, plateformes, producteurs, etc. Les plateformes de service à la demande comme Amazon Prime Video et Netflix sont désormais soumises à l’autorité du régulateur de l’audiovisuel. Ce dernier peut sévir contre les sites de streaming illégaux de films, séries et aussi de retransmissions sportives. Il reste encore à déterminer les sanctions auxquelles le régulateur peut soumettre les puissants GAFA.
Modeste Kouamé / Les Inspirations Éco