Pénurie de médicaments. Les dessous d’une crise
350 médicaments, dont plusieurs à caractère vital, sont introuvables dans les pharmacies d’officine du royaume. Les raisons d’une crise qui dure.
«C’est du jamais vu dans l’histoire du secteur», alerte un professionnel de l’industrie pharmaceutique. Les pénuries de médicaments se multiplient et se prolongent. Le cas du Levothyrox, traitement des troubles de la thyroïde, est le plus éloquent. Malgré le discours rassurant de la Direction de la pharmacie et du médicament (DMP), ce médicament importé par Merck était introuvable dans les pharmacies jusqu’a l’heure où nous mettions sous presse. De fait, le ministère de la Santé a annoncé l’arrivée de stocks de Lévothyrox (voir p. 23). Toutefois, cette politique de «colmatage des brèches» ne résoud pas cette crise qui perdure depuis au moins deux ans et qui dissimule des enjeux financiers autour de la fixation des prix des médicaments au Maroc. La faiblesse du suivi de la part de la DMP amplifie cette crise qui dure.
Problème de santé
Selon, le ministre de tutelle, Anas Doukkali, «moins de 5% des traitements présentent un risque de rupture» sur les 7.000 médicaments commercialisés au Maroc. Or, dans ces 5% (350 traitements) figurent des médicaments stratégiques. «Les ruptures de stocks peuvent être sans conséquence si elles touchent un produit substituable, comme elles peuvent être très graves et générer un véritable problème de santé publique quand elles concernent un médicament vital. Au Maroc, la notion de rupture de stock n’est pas définie dans les textes réglementaires. Seul le terme de stocks de sécurité est abordé»», explique Dr Rachid Lamrini, président du Conseil de l’Ordre des pharmaciens fabricants et répartiteurs (COPFR).
«Il y a un vide juridique qui profite aux industriels. En France, la rupture d’approvisionnement est déclarée en cas d’incapacité, pour une pharmacie d’officine ou une pharmacie à usage intérieur, de dispenser un médicament à un patient dans un délai de 72 heures», précise un autre professionnel du secteur.
Actuellement, la DMP ne dispose pas d’un suivi instantané de la situation des ruptures. Ce vide peut avoir des conséquences sur la santé publique. Il y a quelques mois, un traitement anti-épileptique princeps, sans générique sur le marché était à nouveau en rupture. Le point commun des médicaments en rupture est qu’ils sont en grande majorité commercialisés à petits prix (entre 10 à 50 DH) et leurs fabricants se retrouvent dans une situation de monopole.
La faute au décret de fixation des prix?
«À l’origine de cette situation se trouve le décret de fixation des prix de 2014», estime notre source. «Le mode de fonctionnement de ce texte condamne à la disparition les médicaments à petits prix et donc à faible rentabilité économique», poursuit-il. Les patrons de l’industrie pharmaceutique réclament depuis deux ans la révision à la hausse de certains de ces traitements. Ils ont finalement eu gain de cause en juillet dernier, avec une première hausse de certains traitements. L’industrie use-t-elle du chantage pour obtenir gain de cause? «La demande des industriels est tout à fait légitime. Mais dans le cas de certains traitements, les industriels ont réussi à en faire passer certains qui ne devaient pas bénéficier de cette hausse des prix», répond notre source. Parmi les traitements qui ont vu leur prix augmenter, on cite le Protamine Choay, passé de 16,10 DH à 166,20 DH! La multiplication de ces ruptures indique aussi l’importance des importations de médicaments. La situation actuelle s’explique également par une dépendance accrue aux importations de médicaments.
«Le Maroc couvre à peine 65% de ses besoins en médicaments, un taux en baisse continue depuis dix ans», souligne une source du secteur. D’ailleurs, quatre médicaments au cœur de cette crise sont importés.
«Durant les prochaines années, nous courons le risque de multiplier ce type de crises. Nous risquons de ne plus avoir notre souveraineté sur le médicament et de dépendre du bon vouloir des importateurs et des quotas fixés par d’autres industriels», prévient une source du secteur.
Une autre source propose: «le ministère de la Santé a la capacité d’autoriser des médicaments génériques, équivalents de ceux qui sont en rupture de façon récurrente, et ainsi ainsi de mettre fin à cette spirale». Encore faut-il que le département de la Santé ose se mettre à dos les multinationales du médicament… Dans l’état actuel des choses, les patients sont les grandes victimes d’enjeux financiers.
Des stocks de sécurité hors de contrôle
La loi 17-04 portant Code du médicament et de la pharmacie stipule, dans son article 15, que l’autorisation est retirée ou suspendue par l’administration quand le titulaire de l’Autorisation de mise sur le marché (laboratoire pharmaceutique) n’assure plus l’approvisionnement normal du marché pendant une durée continue de 6 mois ou ne respecte pas les dispositions législatives et réglementaires en vigueur en matière de stocks de sécurité. Ledit stock est également évoqué dans l’article 84 de cette loi qui oblige les établissements pharmaceutiques à détenir un stock de sécurité des médicaments qu’ils fabriquent, importent ou distribuent pour assurer l’approvisionnement normal du marché.