Maroc

OTED : quel est l’intérêt d’enseigner l’histoire territoriale aux enfants?

Géosymbole garant de la vitalité des différences, l’histoire territoriale est porteuse de l’harmonie pluriculturelle du monde. Mais les générations futures seront-elles conscientes de cette importance ? Quelle Histoire enseigner donc à nos enfants ? Et comment faire en sorte que l’enseignement de l’histoire de nos territoires mette en valeur les spécificités locales, sans pour autant verser dans le relativisme mémoriel ? Tant de questions auxquelles plusieurs professionnels ont répondu lors d’un webinaire organisé en fin de semaine dernière. 

Alors que le chantier de l’éducation est en plein essor et que le Royaume est visiblement mobilisé pour son expansion économique, enseigner l’histoire territoriale est devenu un must. Faut-il enseigner l’histoire territoriale à nos enfants ? C’est la question à laquelle l’initiative citoyenne OTED (O’Territorial empowerment and development) a tenté de répondre en organisant une nouvelle édition «Parlons Territoires». Un webinaire animé par Souleïman Bencheikh, chargé de mission à la direction générale du groupe OCP. Y ont participé plusieurs chercheurs et experts, notamment Abdeljalil Bouzouggar, archéologue, directeur de l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine (INSAP), Nadia Hachimi Alaoui, politologue, chroniqueuse à radio, Driss Khrouz, économiste, ancien directeur de la Bibliothèque nationale du Royaume du Maroc (BNRM), et Nabil Mouline, historien, politologue, chercheur au Centre national de recherche scientifique (CNRS-France).

L’archéologie, un pont entre l’histoire locale et l’histoire de l’humanité
Abdeljalil Bouzouggar, archéologue connu pour avoir dirigé une équipe de recherche pluridisciplinaire et internationale, qui fut à l’origine de la découverte de perles de coquillages qui datent de 142.000 à 150.000 ans, indique que l’archéologie permet non seulement de mieux comprendre l’histoire locale, mais aussi de la réécrire, notamment avec les découvertes, qui sont des témoins matériels. «Au-delà du document écrit qui a bien évidemment sa valeur et son importance dans la construction d’une histoire, soit d’une région donnée soit de toute une région petite ou grande, l’archéologie peut servir de pont entre l’histoire locale et l’histoire de l’humanité’». La volonté est bien présente, mais il existe encore des lacunes qui servent de freins. C’est du moins ce qu’affirme Nadia Hachimi Alaoui, ancienne rédactrice en chef du Journal Hebdomadaire, ayant fait partie de la Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD). Selon elle, il y a un manque accru de travaux historiques d’historiens sur notre période contemporaine. «Aujourd’hui, il me semble que le discours historique sur le Maroc post-colonial est plutôt saturé de manière quasi hégémonique par de la parole mémorielle plus que par du travail d’historien», indique-t-elle. Et d’ajouter, «il faut s’emparer de cette histoire contemporaine et ne pas la laisser seulement aux témoignages mémoriels».

Une appartenance à des valeurs structurantes
Certains relèvent l’importance des traditions et de la culture du pays pour écrire l’Histoire. C’est le cas de Driss Khrouz, économiste de formation ayant consacré sa carrière au monde de la culture et des livres, qui indique que l’Histoire du Maroc s’est constituée dans une opposition entre l’État et le territoire, chose qui remonte à bien loin.

«Ce n’est qu’à partir des années 90 qu’on peut véritablement parler d’une réconciliation entre l’État et les territoires, avec un certain nombre de métamorphoses, de vagues, et de fluctuations. Dès lors, la question de la culture du territoire commence à être posée», fait-il savoir. Et de préciser: «Il n’y a jamais eu de remise en cause de la nation marocaine depuis très longtemps, même pendant la période où l’on parlait des régions de dissidence contre des formes de prélèvement de l’impôt, d’octroi de la rente foncière et de la domination d’un certain nombre de régions montagneuses et désertiques par des pouvoirs locaux en place».

Autre point important, selon l’expert: le manque d’uniformité du Maroc. «Il y a une appartenance à des valeurs structurantes qui se fait à partir d’un mouvement du bas vers le haut, c’est-à-dire via des interactivités en termes de valeurs mais aussi en termes de reconnaissance et de respect. Il y a une mixité dans tout ce qui structure le Maroc (traditions, langues…). Cette mixité fait le vécu du Maroc qui s’est construit à travers la mobilité des idées, des populations, des exodes et migrations internes, mais également par le biais des relations commerciales». De ce fait, il souligne que l’écriture de l’histoire locale et régionale doit reconnaître la multiplicité de la personnalité marocaine et sa pluralité. «L’Histoire se construit à travers la reconnaissance des différences. On ne peut pas construire un projet de société si le territoire n’est pas une personnalité culturelle et politique», insiste-t-il.

Il faut transmettre les connaissances historiques
Sur un autre volet, Nabil Mouline, historien et politologue, relève l’insuffisance des modes de transmission traditionnels de l’Histoire, à savoir l’écriture, les conférences et les workshops pour toucher le plus grand nombre de personnes. Il existe malheureusement peu de Marocains qui consacrent du temps à la lecture. L’historien donne pour exemple les chiffres révélés par le Haut-commissariat au Plan (HCP). Moins de 0,3% de la population consacre du temps à l’écriture, tandis que plus de 70% puisent essentiellement leur culture à travers les nouveaux médias, notamment les réseaux sociaux. Il soutient, de ce fait, l’idée et la nécessité de transmettre des connaissances historiques, et ce, à travers des vidéos d’archives et des dessins pour présenter une période, un personnage, une institution, un lieu ou un événement, ayant façonné ou influencé la trajectoire du Maroc que ce soit à l’échelle locale, nationale ou globale.

Kenza Aziouzi / Les Inspirations ÉCO



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