Officialisation de l’amazigh : À quand la fin du blocage ?
Les parlementaires sont appelés à accorder leurs violons autour des deux projets de loi organique concernant l’officialisation de l’amazigh qui sont toujours bloqués en commission, bien que le processus d’examen ait été achevé. On s’attend à des amendements de fond pour ces deux textes. Le consensus est difficile à atteindre.
Les députés ne sont pas parvenus à faire passer les projets de loi organique sur le caractère officiel de l’amazigh et le Conseil national des langues et des cultures marocaines dont l’adoption était très attendue lors de la précédente session parlementaire printanière. L’examen de ces textes et leur discussion ont en effet été finalisés au sein de la Commission de l’enseignement, de la culture et de la communication à la chambre basse qui avait même programmé le dépôt des propositions d’amendement des différents groupes parlementaires sans pour autant parvenir à l’étape ultime de l’adoption. Certes, on s’attendait dès le départ à ce que les textes ne passent pas comme une lettre à la poste au sein de l’institution législative, mais pas au point de provoquer un blocage. Le retard abyssal au sein du Parlement est vertement critiqué par les activistes amazighs. Les députés sont appelés à accélérer la cadence pour adopter les textes lors de la prochaine session automnale.
Le président de la Chambre des représentants, Habib El Malki, estime nécessaire de parvenir à un consensus autour de cette législation de la plus haute importance avant son entérinement. Majorité et opposition tendent à améliorer les deux projets de loi organique jugés lacunaires. Cependant, les parlementaires ne parlent pas d’une même voix. Difficile d’accorder les violons sur les amendements qui devront porter sur nombre de points débattus au sein de la sous-commission créée pour discuter en profondeur les textes en concertation avec les acteurs concernés. Il s’avère nécessaire de clarifier plusieurs questions en vue d’assurer une implémentation fluide des dispositions des textes après leur adoption par le Parlement. Les moutures initiales suscitent, depuis leur adoption par le Conseil de gouvernement, des critiques acerbes. Les parlementaires sont appelés à y apporter des amendements de fond. Parmi les doléances figure le renforcement de l’équité entre les deux langues officielles en considérant l’amazigh comme langue officielle de l’État, ainsi que le stipule la Constitution, plutôt qu’une simple langue de communication dans les institutions et administrations. Certes, le projet de loi prévoit l’intégration de l’amazigh dans plusieurs secteurs (enseignement, législation, Parlement, médias et communication, culture, art, administration, services publics, justice).
Cependant, cette intégration, rappelons-le, est jugée trop globale et l’utilisation de cette langue reste cantonnée à la communication avec les citoyens alors que les autres volets (procédures, documents, papiers administratifs…) sont totalement marginalisés. S’agissant de l’enseignement de l’amazigh, on s’attend à introduire au texte des précisions pour faciliter la mise en œuvre de ses dispositions. Il s’agit notamment du caractère obligatoire dans la mouture initiale du texte qui ne concerne que le cycle primaire, sans précision pour le collège, le lycée et l’université. Cette proposition d’amendement sera-t-elle acceptée par le gouvernement? Rien n’est moins sûr. Il faut dire que la généralisation de l’enseignement de l’amazigh à court terme n’est pas chose aisée car elle nécessite la mobilisation d’importantes ressources humaines qualifiées ainsi que des ressources financières conséquentes. En ce qui concerne le Conseil national des langues, la nature de ses attributions est critiquée par députés et militants amazighs. Ses compétences, telles que définies dans le projet de loi organique, ne dépassent pas le cadre consultatif alors qu’on plaide pour la nécessité de le doter de prérogatives stratégiques en lui octroyant un pouvoir exécutif concernant la politique linguistique et culturelle et en révisant sa structuration pour qu’il soit une force de proposition et de décision.
Renforcement du rôle de l’IRCAM
Une autre requête revient toujours dans les débats: le renforcement des attributions de l’Institut royal de la culture amazighe, qui devrait être placé sous la tutelle du futur conseil. Le projet de loi ne lui a pas accordé les mêmes attributions que l’Académie Mohammed VI de la langue arabe (non encore activée). En effet, le texte n’octroie pas à cet institut des attributions académiques et scientifique, bien qu’une grande mission lui incombe dans la formation des chercheurs et l’organisation de cycles de doctorat. Par ailleurs, ce qui suscite le plus l’ire des activistes amazighs, c’est la disposition qui prévoit de mettre fin à l’autonomie administrative et financière de l’Institut royal de la culture amazighe. Beaucoup d’espoirs sont nourris par les parlementaires concernant l’amendement de cette disposition. Mais encore faut-il que le gouvernement accepte les propositions d’amendement des députés.
Ahmed Boukous
Recteur de l’IRCAM
«Nous avons perdu beaucoup de temps à tergiverser»
Le recteur de l’Institut royal de la culture amazighe (IRCAM) pointe du doigt le retard accusé dans l’adoption des textes ayant trait à l’officialisation de l’amazigh. Ahmed Boukous estime nécessaire d’accélérer le rythme d’adoption et d’implémentation des projets de loi. En tête des priorités figure la généralisation de l’enseignement de l’amazigh.
Les Inspirations ÉCO : Quel regard portez-vous sur le processus d’examen des projets de loi organique relative à l’officialisation de l’amazigh ?
Ahmed Boukous : La nouvelle Constitution reconnaît l’amazigh en tant que langue officielle aux côtés de l’arabe. Le programme du gouvernement Benkirane prévoyait la promulgation des deux lois organiques relatives au statut de l’amazigh et au Conseil national des langues et de la culture marocaine. Or, cela ne s’est pas fait selon plusieurs hypothèses. La plus plausible est le manque de bonne volonté politique de la part du gouvernement et du pouvoir législatif. L’officialisation de l’amazigh ne serait, en effet, pas bien vue par les courants qui n’étaient pas d’accord avec cette démarche.
Avez-vous essayé de sensibiliser les parlementaires à ces textes, qui en sont au stade de propositions d’amendement ?
Les deux chambres mettent la dernière main aux deux projets. Les divergences seraient relatives notamment au rythme à impulser à la mise en œuvre de l’officialisation de l’amazigh. Des voix considèrent qu’il faut y aller progressivement, tandis alors que d’autres appellent à l’accélération de la cadence dans l’esprit de la Constitution. Un deuxième problème serait relatif à la langue à promouvoir. Pour certains, il s’agit de la langue amazighe unitaire alors que d’autres plaident pour les idiomes régionaux. Un troisième point de discorde entre les parlementaires concernerait la graphie à utiliser. Alors que certains recommandent l’utilisation du tifinagh, d’autres estiment nécessaire d’opter pour la graphie arabe.
Que préconisez-vous concernant le rythme de mise en œuvre de l’officialisation de l’amazigh ? Le Maroc est-il prêt, notamment en ce qui concerne la généralisation de l’enseignement ?
Dans le projet présenté par le gouvernement, on prévoit la mise en œuvre de certaines mesures à court terme durant les cinq premières années. Un deuxième terme concerne d’autres mesures plus complexes nécessitant un peu plus de moyens et qui seraient exécutées dans un délai de dix ans. Enfin, on prévoit l’exécution des mesures nécessitant des moyens financiers et humains plus importants sur une quinzaine d’années. Si on ajoute quinze ans à toutes les années perdues depuis la promulgation de la Constitution, il s’agirait de trente ans pour mettre en œuvre quelques mesures constitutionnelles. À l’IRCAM, nous considérons que nous avons perdu beaucoup de temps à tergiverser et à poser des questions auxquelles des solutions ont déjà été trouvées et sur lesquelles la Constitution a déjà tranché. Il reste désormais à mettre en œuvre sérieusement et effectivement les dispositions de notre Constitution, soit le plus tôt possible. Tout dépend de la conviction politique.
Que comptez-vous faire dans le cadre du lobbying ?
On a déjà commencé à faire du lobbying en 2012. Nous avons rédigé une note explicative qui comprend toutes les recommandations et propositions de l’IRCAM sur un ensemble de questions, notamment l’usage de l’amazigh dans l’enseignement, les administrations publiques, au Parlement, au niveau de l’administration territoriale… Cette note a été envoyée au chef de gouvernement et à tous les groupes parlementaires. Dans le cadre de la sensibilisation, nous avons organisé des tables rondes avec des partenaires dont des représentants des organisations politiques et de la société civile. Ensuite, nous avons été sollicités par la Chambre des conseillers et la Chambre des représentants pour participer à des rencontres durant lesquelles l’IRCAM a eu l’occasion d’exposer son point de vue et de faire des propositions d’amendement. Nous avons fait du lobbying au niveau national à travers l’organisation de manifestations avec les associations et les conseillers régionaux et au niveau des universités. Comme pour le dossier du statut de la femme chez nous, la question de l’amazigh est confrontée au même type de blocage qui oppose le courant moderniste, pour les droits de l’Homme et les libertés individuelles, au courant conservateur qui veut freiner le mouvement d’évolution et de transformation de notre pays.
Quelles sont, à votre avis, les priorités de la mise en œuvre de l’officialisation de l’amazigh ?
Parmi les priorités figure l’impulsion qu’il faut donner à l’enseignement de l’amazigh. Depuis 2011, la généralisation de l’enseignement de l’amazigh est au point mort. Depuis la promulgation de la Constitution, le gouvernement n’a plus rien fait en termes de généralisation, à savoir la création d’écoles et de postes budgétaires ainsi que la formation d’enseignants. Le gouvernement dit attendre les lois organiques. On n’est pas d’accord avec cet argument. Si on n’avance pas, on recule forcément. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé. L’enseignement de l’amazigh a reculé en termes de nombre d’élèves apprenant cette langue, qui est passé de 600.000 à 400.000. Le nombre d’enseignants a également régressé. Ils étaient 6.000 enseignants alors qu’aujourd’hui, la majorité d’entre eux n’enseigne plus l’amazigh.