Nouveaux droits de douane américains : Welcome recession !

Les tensions commerciales provoquées par Washington ravivent les craintes d’un ralentissement mondial. Tandis que les marchés financiers vacillent, la perspective d’une récession américaine alimente l’aversion au risque. Si la Bourse de Casablanca demeure résiliente, les effets induits d’un protectionnisme globalisé font planer la menace d’une inflation importée dans les économies libérales comme celles du Maroc.
La salve tarifaire déclenchée par Donald Trump le 2 avril dernier a jeté un froid sur les marchés mondiaux. Dans les salles de marché, les premiers frémissements de la séance du lundi 7 avril rappellent les jours sombres de la crise des subprimes.
À Wall Street, l’indice de volatilité, surnommé à juste titre «baromètre de la peur» s’est hissé à 45,31 le 4 avril, son plus haut niveau depuis avril 2020 ! Un climat de tension auquel s’est rapidement associée la voix du FMI.
«Les mesures tarifaires annoncées par Donald Trump constituent un risque majeur pour une économie mondiale déjà fragilisée», a prévenu Kristalina Georgieva, directrice générale de l’institution, appelant Washington à renouer avec le dialogue pour éviter une escalade aux conséquences imprévisibles.
En dépit des effets d’annonce, les signaux envoyés par les places financières démentent l’efficacité attendue des mesures tarifaires. Un sentiment largement partagé parmi les investisseurs qui appréhendent un net affaiblissement de la demande globale, autrement dit, une possible récession. La gravité de la situation n’échappe ni aux analystes ni aux gestionnaires d’actifs, qui multiplient les signaux d’alerte.
L’investisseur et gestionnaire de fonds américain Bill Ackman a dressé, pour sa part, un tableau particulièrement sombre de la conjoncture. D’après lui, le 47e locataire de la Maison Blanche dispose d’une fenêtre de tir serrée pour couper court à l’escalade tarifaire, faute de quoi le pays s’exposerait à ce qu’il qualifie de «guerre économique auto-infligée».
Volatilité accrue
L’onde de choc est telle qu’aucun indice américain n’a été épargné. Le S&P 500, baromètre de la santé des grandes entreprises, a chuté de 6% le vendredi 4 avril, clôturant à 5. 074,08 points. Cette dégringolade a effacé près de 5 .000 milliards de dollars de capitalisation boursière en deux jours, une perte inédite depuis mars 2020.
Le Nasdaq Composite, dominé par les valeurs technologiques, a plongé de 5,8% le même jour, atteignant 15 .587,79 points, soit une baisse cumulée de plus de 20% par rapport à son pic de décembre. Les petites capitalisations, regroupées au sein de l’indice Russell 2000, ont elles aussi accusé le coup, cédant 4,4% à la clôture du 4 avril.
Plus exposé à la conjoncture intérieure, cet indice traduit les craintes croissantes des dirigeants de PME face à une montée des tensions commerciales. Le sentiment d’instabilité gagne la plupart des marchés, alimenté par les doutes sur l’impact des mesures protectionnistes sur la trajectoire de croissance et la rentabilité des entreprises.
Phase de négociation
Au moment où la nervosité se propage, les réactions se multiplient sur la scène internationale. Plus d’une cinquantaine de nations ont rapidement sollicité des négociations avec la Maison-Blanche afin de réviser ces mesures. La Chine, en réponse directe, a annoncé l’application d’un tarif additionnel de 34% sur l’ensemble des importations en provenance des États-Unis, effectif dès le 10 avril.
Pékin a également décrété des restrictions à l’exportation de terres rares stratégiques et suspendu les achats auprès de plusieurs groupes avicoles américains, invoquant des raisons sanitaires. En Europe, la réaction a été tout aussi prompte.
Emmanuel Macron a exhorté les grandes entreprises européennes à geler temporairement leurs investissements aux États-Unis et a appelé à une réponse concertée.
Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a quant à elle déclaré que l’Union européenne «ne resterait pas passive face à des décisions unilatérales qui déstabilisent l’ordre économique mondial».
Bruxelles planche déjà sur un arsenal de contre-mesures, tout en réaffirmant son attachement au dialogue multilatéral. Les marchés européens, déjà fébriles, n’ont pas tardé à réagir.
À Francfort, le Dax a perdu 6,1%, le CAC40 a cédé 5,8%, tandis que le FTSE 100 britannique reculait de 4,9%. Ces replis marquent l’une des pires séances depuis la crise sanitaire, en particulier pour les valeurs industrielles et technologiques, directement exposées aux tensions commerciales.
En réponse à la tempête qui secoue les marchés financiers, Donald Trump demeure pourtant inflexible. S’exprimant à bord de l’avion présidentiel Air Force One, il a minimisé les inquiétudes liées aux turbulences boursières, les considérant comme une conséquence attendue d’un ajustement économique nécessaire, en affirmant que les entreprises produisant sur le sol américain ne seraient pas affectées par ces tarifs.
Ambiance de 2008
Ce vent de panique n’a pas épargné la Bourse de Casablanca, gagnée par une pression vendeuse, assimilable, toutes proportions gardées, aux heures les plus sombres de 2008. «Cela rappelle l’ambiance de la crise des subprimes, avec un effet de panique immédiat, amplifié par la rapidité de l’information», observe Farid Mezouar, directeur exécutif de Flm Market.
Pris dans une spirale baissière, l’indice Masi a enregistré une chute de 5,83% à la séance de clôture du lundi 7 avril, à 16.227,79 points. Tous les compartiments s’affichent dans le rouge, emportés par un climat de nervosité généralisée.
Sur le front des volumes, les échanges ont culminé à près de 928 millions de dirhams, signe d’une séance d’arbitrages massifs et d’un dénouement précipité des positions. Selon les analystes du marché, ce repli s’explique en partie par les dégagements opérés par les investisseurs étrangers, qui, dans une logique de reconstitution de liquidités, ont allégé leurs positions.
En dépit du repli enregistré aujourd’hui, la performance annuelle de la Bourse de Casablanca s’élève à près de 10%. La sortie, bien que limitée en volumes, de quelques investisseurs étrangers, a suffi à déclencher un mouvement de repli, accentué par le mimétisme de certains petits porteurs locaux.
«Les boursicoteurs, souvent peu armés face à la volatilité, se laissent entraîner par la nervosité ambiante des marchés internationaux, précipitant le mouvement de correction», confie un gérant d’actifs.
Cela dit, la dépréciation des cours du pétrole, induite par ce contexte frileux, est une bonne nouvelle pour le Maroc qui verra sa facture énergétique allégée.
Inflation importée
La reconfiguration des échanges internationaux pourrait ne pas épargner le Maroc. Dans son rapport Global Tariffs 2025 Outlook, Bloomberg Intelligence (BI) alerte sur les effets en cascade des hausses tarifaires décidées par les États-Unis.
Selon les analystes de BI, «les hausses de droits de douane annoncées feraient grimper le taux moyen des prélèvements américains à 11,5%, contre 2,3% en 2024», avec à la clé un risque de contraction de 1,3% du PIB américain et une poussée de 0,8% sur l’indice des dépenses de consommation, l’un des indicateurs clés surveillés par la Réserve fédérale. Même si le Maroc n’est pas visé directement, les effets d’entraînement pourraient se faire sentir, notamment par un renchérissement des importations de produits manufacturés et de matières premières.
Dans une économie largement ouverte, la montée des tensions commerciales mondiales pourrait ainsi constituer une inflation importée pour des pays comme le Maroc, qui ne sont pas directement visés, mais qui subiraient les contrecoups logistiques et tarifaires du ralentissement du commerce mondial.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO