Maroc : le taux de pauvreté baisse… en apparence
Le taux de pauvreté ne cesse de reculer au Maroc. Pendant ce temps, les spécialistes s’interrogent sur la pertinence des outils de mesure et de suivi de la vulnérabilité dans le royaume.
La pauvreté a régressé de manière substantielle au Maroc. C’est du moins ce que nous apprennent les conclusions d’une toute nouvelle étude de l’Observatoire national du développement humain (ONDH). Intitulé «la Dynamique de la pauvreté au Maroc», ce document a été révélé mardi à l’occasion d’un webinaire présidé par El Hassan El Mansouri, secrétaire général de l’ONDH. La rencontre a connu la participation des représentants de départements ministériels et d’institutions nationales, des agences des Nations unies et de la coopération internationale au Maroc, des représentants de la société civile et des experts.
Commentant les résultats de l’enquête, El Mansouri a fait remarquer que le taux de la pauvreté absolue a nettement reculé depuis 2001 pour ne représenter que 1,2% en 2019, dans un contexte d’amélioration globale du niveau de vie des Marocains, en particulier en milieu urbain. Quant au taux de pauvreté relative, qui a également enregistré une baisse entre 2001 et 2019, il est passé de 20,4% à 17,7%.
Cependant, ce taux reste maintenu à un niveau encore élevé, surtout en milieu rural où il a atteint 36,8% en 2019, soulignent les enquêteurs, ajoutant que, durant la même période, l’incidence de la pauvreté relative a reculé en milieu urbain de 9% à 6,4%. De son côté, Ikbal Sayah, directeur du pôle études générales à l’ONDH, qui présentait les résultats de l’étude, a fait savoir qu’un individu pauvre a plus de chance de sortir de la pauvreté que de le rester (55,7% contre 43,3%) et qu’un individu non pauvre a plus de chance de rester non pauvre (86,3%) que de tomber en pauvreté (13,7%). Et de préciser que les risques d’entrée dans la pauvreté sont particulièrement liés à des situations de non-emploi, à la faiblesse du niveau éducatif ou encore à la composition démographique du ménage.
Les limites d’une enquête
Si les enquêtes statistiques permettent le suivi de l’évolution globale de la pauvreté, elles n’autorisent pas, en revanche, d’analyser les trajectoires individuelles, en l’occurrence l’entrée et la sortie de la pauvreté, recommandent les experts. En effet, la pauvreté étant un phénomène très complexe, rendant nécessaire le recours aux stratégies de ciblage individuel dans le cadre des programmes de lutte contre la pauvreté, sur la base du Registre social unifié (RSU) alimenté par des données régulièrement actualisées.
«À cet égard, l’enquête panel de ménages de l’ONDH représente un outil pertinent qui permet de mettre en exergue l’hétérogénéité des expériences vécues par les personnes et contribuer à une appréciation plus précise des phénomènes de pauvreté dans notre pays», explique l’Observatoire national.
L’appareil de mesure de la pauvreté doit prendre en considération «la pauvreté subjective», qui représente le pourcentage des chefs de ménages qui se considèrent en situation de pauvreté, ajoute El Mansouri. En 2019, près de 45% des Marocains se considèraient «subjectivement pauvres» (38,6% en milieu urbain et 85,4% en milieu rural), a-t-il soutenu, relevant que la pauvreté subjective affecte l’ensemble des classes sociales, mais à des niveaux différents.
De son côté, Larbi Jaidi, économiste et enseignant chercheur, met en relief l’importance de cette étude dans ce contexte précis lié notamment à la crise de la pandémie de la Covid-19 et qui a constitué un vrai choc social. Cette étude va alimenter la réflexion générale sur les politiques publiques inhérentes à la question de la pauvreté au Maroc, a relevé Jaidi, précisant que la mesure de la pauvreté ne doit pas être réduite à un indicateur mais doit tenir compte d’approches aussi bien qualitatives que quantitatives. «Certes, nous sommes en voie d’éradication de la pauvreté, mais ce sont ces approches liées notamment à la question de l’entrée et sortie dans la pauvreté qui nous intéressent tous pour mettre le doigt sur le profil des ménages concernés par ce phénomène social», a-t-il ajouté.
Dans la même lignée…
Cette étude fait suite à un autre rapport, publié conjointement par la Banque mondiale (BM) et le Haut-commissariat au plan (HCP) en 2017. Intitulé «La pauvreté au Maroc : défis et opportunités», ce document confirme ainsi la dynamique baissière de la vulnérabilité au Maroc, entamée depuis plusieurs années. Entre 2001 et 2014, la BM et le HCP estimaient déjà, en 2017, que le taux de consommation par habitant avait progressé au rythme annuel de 3,3 % (et 3,9 % pour le quintile le plus pauvre), tandis que la pauvreté monétaire et la vulnérabilité ont respectivement diminué de 4,8 et 12,5 %.
Pendant ce temps, l’amélioration des niveaux de vie se traduisaient également par une évolution des modes de consommation, avec une diminution de la part de l’alimentation et une diversification en faveur d’aliments à plus forte valeur nutritionnelle. Quant à la croissance, elle avait profité aux pauvres, mais les écarts de taux de pauvreté entre les villes et les campagnes restent importants. Entre 2007 et 2014, la hausse de la consommation des ménages dans les quintiles inférieurs a été positive et supérieure à la moyenne. Cette hausse a, par ailleurs, été plus marquée dans les zones urbaines que dans les zones rurales. Le taux de pauvreté urbaine a diminué plus vite que la moyenne nationale, puisqu’il ne représentait plus qu’un tiers du taux national en 2014, contre la moitié en 2001.
Rappelons qu’à l’échelle infranationale, expliquent les deux institutions, l’évolution des niveaux de vie entre 2001 et 2014 atteste d’une convergence entre les douze régions administratives du royaume, même si le rythme d’atténuation des écarts régionaux n’a pas été identique partout. Selon toujours la Banque mondiale et le HCP, le coefficient de convergence révèle que les niveaux de vie dans les régions les moins riches se sont améliorés plus rapidement que dans les régions les plus riches.
Ainsi, à Fès-Meknès et dans la région de l’Oriental, cette convergence a été marquée, contrairement à Drâa-Tafilalet et Beni Mellal-Khénifra, où le processus a été plus lent. Il était d’ailleurs loin d’être achevé : au rythme annuel de 4 %, la réduction de moitié des disparités régionales initiales pourrait prendre encore 24 ans. Globalement, les inégalités se sont légèrement atténuées mais pas dans toutes les régions. Les inégalités se sont, de fait, creusées dans certains cas (comme dans les régions de Rabat-Salé-Kénitra, de 39,9 à 44,2, et du Sud, de 35 à 40,2) tandis qu’elles ont reculé dans d’autres (Casablanca, Marrakech-Safi et Souss-Massa). Si la croissance a contribué à faire reculer la pauvreté dans toutes les régions, son impact sur les inégalités a varié d’une région à l’autre. La réduction de la pauvreté est à imputer principalement à la hausse de la consommation des ménages : selon certaines simulations, 90 % environ de ce recul s’expliquent par la croissance, contre seulement 10 % par une légère diminution des inégalités.
Par ailleurs l’étude montre que, si le Maroc a connu une amélioration des niveaux de vie et un recul concomitant de la pauvreté et de la vulnérabilité entre 2001 et 2014, la pauvreté subjective reste forte, surtout en milieu rural, confirmant ainsi la tendance actuelle.
Il y a pauvre et pauvre
Le seuil de pauvreté absolue est calculé en majorant celui de la pauvreté alimentaire du coût d’une dotation minimale de biens et services non alimentaires. Ainsi, le taux de pauvreté absolue est la proportion des individus dont la dépense annuelle moyenne par personne se situe en dessous de ce seuil.
Le seuil de pauvreté relative est obtenu en majorant celui de la pauvreté alimentaire du coût d’une dotation plus conséquente de biens et services non alimentaires. Ainsi, le taux de pauvreté relative est la proportion des individus dont la dépense annuelle moyenne par personne se situe en dessous de ce seuil.
Khadim Mbaye / Les Inspirations Éco