Maroc

Maroc: Le programme « Villes sans bidonvilles » au point mort

Les chiffres semblent stagner : 59 villes déclarées sans bidonvilles sur un total de 85, et seuls 64% des ménages recensés ont connu une amélioration des conditions de vie alors que l’objectif initial était d’éradiquer totalement les bidonvilles à l’horizon 2010. Le département de tutelle mise sur une nouvelle vision pour dépasser les contraintes.

Depuis le lancement du programme «Villes sans bidonvilles» (VSB) en 2004, les différents gouvernements qui se sont succédé peinent à venir à bout de ce type d’habitat insalubre même si, initialement, la date butoir était fixée à 2010. La mise en œuvre du programme semble tourner au ralenti, surtout au cours des dernières années.

Malgré les efforts déployés, quelque 26 villes, notamment les plus grandes, sont encore gangrénées par les bidonvilles, donnant du fil à retordre aux pouvoirs publics. Sur les 451.816 ménages recensés, seuls 64% ont vu leurs conditions de vie s’améliorer, selon les derniers chiffres annoncés devant les députés par Nouzha Bouchareb, ministre de l’Aménagement du territoire national, de l’urbanisme, de l’habitat et de la politique de la ville qui, depuis sa nomination au gouvernement, a été à plusieurs reprises interpellée par les parlementaires sur cet épineux dossier. Nombre de députés pointent du doigt le mode de gouvernance de ce programme et la lenteur de son rythme d’exécution. L’heure, dit-on, est à la mobilisation. Après une année 2020 marquée par les répercussions de la crise sanitaire sur l’état d’avancement des différents chantiers d’habitat, le gouvernement est attendu de pied ferme en 2021 pour accélérer la cadence du programme VSB. Le ministère de Nouzha Bouchareb sera-t-il au rendez-vous ? Rien n’est moins sûr vu l’ampleur des difficultés qui doivent encore être dépassées.

Le département de tutelle compte poursuivre, en 2021, la mise en œuvre des programmes qui font déjà l’objet de contrats. La ministre mise sur la révision du programme en se basant essentiellement sur le développement d’une nouvelle vision de contractualisation, afin de mettre en place des solutions efficaces pour dépasser les contraintes qui freinent la mise en œuvre des objectifs fixés, notamment celles ayant trait à l’augmentation du nombre des ménages vivant dans les bidonvilles. Rappelons à cet égard que le nombre de ménages ciblés est passé de 270.000, au lancement du programme en 2004, à 451.816 recensés (jusqu’à fin 2019). À l’heure actuelle, le gouvernement ambitionne de mettre en place des mécanismes efficaces en vue de maîtriser la situation qui était, pendant des années, incontrôlable. Il s’agit aussi de l’instauration de programmes intégrés comprenant, outre le volet du logement, les dimensions économique et sociale (intégration économique des ménages concernés sur les lieux de résidence, équipement des nouvelles zones en infrastructures et services de base dans les délais fixés, diversification des moyens d’intervention selon les spécificités de chaque quartier…). Le département de tutelle compte aussi sur le renforcement de la participation du secteur privé à la diversification des offres en logement relatif aux catégories vulnérables. Pour limiter la prolifération des bidonvilles, il s’avère en effet indispensable d’agir sur l’offre en proposant des solutions variées à même de répondre aux besoins des différents segments de ménages tout en prenant en compte leurs moyens financiers réels.

Par ailleurs, le changement d’approche s’impose pour rendre transparentes les conditions d’éligibilité au programme. Des plateformes de contrôle ont déjà été mises en place pour détecter les ménages qui ont plusieurs baraques, mais ce mécanisme doit être renforcé car il ne permet pas de réduire efficacement le nombre de ménages vivant dans les bidonvilles. Sur le plan du financement, nombre de problèmes persistent. Le financement mobilisé et le montage financier ne permettent pas d’atteindre les objectifs escomptés. Depuis le démarrage du programme en 2004 et jusqu’à fin 2019, les conventions signées concernent quelque 2.843 ménages d’un coût global de 314 MDH dont un appui financier de 106,55 MDH débloqué par le ministère de tutelle. Le coût du programme, rappelons-le, est pris en charge par une combinaison de subventions de l’État, de recettes provenant de la vente d’autres produits réalisés dans le cadre des projets intégrés comme la vente de lots commerciaux, ainsi que de la contribution des ménages bénéficiaires eux-mêmes à travers soit des fonds propres, soit des emprunts bancaires. Or, un problème de taille persiste : l’insolvabilité des ménages. Nombre d’entre eux peinent en effet à mobiliser le financement d’une partie du coût du bien en raison de leur vulnérabilité, ainsi que de la difficulté d’accès au crédit bancaire. À cela s’ajoute la difficulté de mobiliser le financement des partenaires (Direction générale des collectivités territoriales, collectivités territoriales, Initiative nationale de développement humain, etc.) qui reste limité et ponctuel. Le gouvernement est appelé à revoir la structuration financière de ce programme qui dépend du pouvoir discrétionnaire des autorités. Quant au Fonds solidarité habitat et intégration Urbaine (FSHIU), nombre de députés rappellent le verdict de la Cour des comptes qui est sans appel : cet organisme a été dévié de son objectif initial de résorber les bidonvilles pour financer d’autres programmes (habitat non réglementaire, politique de la ville…). L’effort financier de ce fonds entre 2021 et 2023 dédié au programme VSB est jugé insuffisant par rapport aux besoins constatés. Il s’agit principalement de la poursuite des opérations en cours de réalisation, et dont les crédits de consolidation se chiffrent à 885 MDH. 

Contraintes à la pelle

Depuis son lancement, le programme Villes sans bidonvilles pâtit de nombre de contraintes, à commencer par la rareté et la difficulté de mobilisation du foncier public. Les autorités ont dû, à plusieurs reprises, mobiliser le foncier à l’extérieur de la ville concernée et ont ainsi été confrontées au refus de certains ménages d’être relogés ou recasés hors de leur ville de résidence. Outre ce problème, une contrainte majeure constitue une épine dans le pied des pouvoirs publics : l’augmentation continue du nombre des ménages concernés. Cela est dû à la problématique des familles composées qui vivent dans la même baraque ainsi qu’aux nouveaux arrivants qui en achètent de nouvelles au sein des mêmes bidonvilles. À cet égard, force est de constater que les mécanismes de contrôle sont limités, comme le reconnaît le gouvernement, et n’ont pas permis d’assurer une bonne gestion de cet épineux dossier. À cela s’ajoutent d’autres problématiques liées au financement et à la gouvernance du programme (multiplicité des intervenants).

Jihane Gattioui / Les Inspirations Éco


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