Maroc-France : à qui profite la guerre des visas ?
Paris a décidé de réduire de moitié le nombre de visas habituellement accordés aux pays du Maghreb dont le Maroc. Une mesure populiste qui s’inscrit dans une logique électoraliste à sept mois de l’élection présidentielle en France où le débat sur l’immigration n’a jamais été aussi vif.
Les Marocains ont toujours montré patte blanche pour entrer en France. Comme si cela ne suffisait pas, de nouvelles restrictions plus contraignantes sont venues s’ajouter à la longue liste de démarches pour l’obtention de visa pour l’hexagone depuis le Maroc.
Mardi 28 septembre, la France a décidé de réduire drastiquement la délivrance de visas pour les ressortissants marocains, soit -50%. Cette décision qui ne concerne pas que le royaume, l’Algérie et la Tunisie sont incluses dans le lot, est motivée par les difficultés à renvoyer dans les pays cités, les ressortissants faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire (OQTF).
Une décision «injustifiée» a réagi le chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita. «Nous avons pris acte de cette décision et la considérons comme injustifiée pour nombre de raisons, dont la première est que le Maroc a toujours traité la question de la migration avec la logique de responsabilité et le nécessaire équilibre entre la facilitation de la circulation des personnes (étudiants, hommes d’affaires et autres..), la lutte contre l’immigration clandestine et le traitement fermé réservé aux personnes en situation irrégulière», a soutenu mardi Bourita avant d’ajouter que dans le cadre de cette approche, les consulats du Royaume ont délivré, lors des seuls huit premiers mois de l’année courante, 400 laissez-passer au profit de personnes qui étaient en situation irrégulière.
« Partant de cela, l’adoption du paramètre du refus de la délivrance des déclarations consulaires nécessaires au retour des émigrés est inappropriée », a jugé Bourita.
Le ton est presque le même chez les voisins algériens et tunisiens, et pas que. En France, des voix s’élèvent pour condamner cette mesure qui s’inscrit dans un contexte politique interne en France. Alors que Gérard Larcher, président du Sénat, s’interroge sur la nécessité de cette décision qui cache mal l’échec de la politique d’immigration en France, le journaliste franco-marocain, Mustapha Tossa, note que le parti au pouvoir, la République en Marche, cherche seulement à grignoter des voix à la principale concurrente d’Emmanuel Macron, Marine Le Pen, à 7 mois de la présidentielle en France.
Sujet de prédilection de l’extrême droite française, l’immigration est au cœur de la précampagne de l’élection du printemps prochain. Alors qu’Eric Zemmour, possible candidat à ce rendez-vous électoral, ne cesse de monter dans les sondages, la présidente du Rassemblement national a précisé son projet de loi pour inscrire dans la Constitution la «maîtrise» de l’immigration, la « priorité nationale » et la supériorité du droit français sur le droit international pour refondre « l’ensemble du droit applicable aux étrangers ».
Pour l’Élysée, il fallait donc riposter en divisant par deux le nombre de visas à accorder aux pays du Maghreb. Sauf que cette décision « populiste » peut nuire gravement à la réputation de la France. Non seulement cette décision ne va pas régler le problème de l’immigration en France mais également et surtout elle risque d’accroitre le sentiment de rejet de la France. Un sentiment déjà très fort dans les pays du Maghreb et sur le reste de l’Afrique, soutient le spécialiste du monde arabe installé à Paris. Selon toujours lui, « les étudiants qui venaient travailler dans les laboratoires en France sont en train de regarder ailleurs et ça c’est une perte pour la France ». Est-ce que ça en vaut le coût ?, s’interroge-t-il.
Une seule certitude, l’idéologie extrémiste qui consiste à dire que l’immigration est une menace pour la France semble prendre le dessus sur les valeurs cardinales de la république française à savoir notamment l’ouverture du pays européen sur le reste du monde. Et c’est d’autant plus regrettable que les personnes qui veulent voyager en France pour des raisons respectables et profitables au pays hôte soient prises en otage par un discours opportuniste basé sur la haine et le rejet de l’autre. Enième preuve de l’incohérence de cette mesure de durcissement des papiers d’entrée en France depuis le Maghreb, le nombre de visas demandés par les ressortissants de ces trois pays a baissé significativement, selon les médias français. Entre janvier et juillet 2021, 11 815 demandes algériennes ont été déposées alors qu’il y en avait 504 173 en 2019. 8 726 visas leur ont été délivrés.
Côté marocain, il faut compter 24 191 visas demandés et 18 579 délivrés en 2021. À titre de comparaison, en 2019, c’était 420 000 demandes, 346 000 acceptations. En Tunisie, cette année, 12 921 visas pour la France demandés, 9 140 obtenus 192 000 demandés en 2019, 145 000 obtenus. Personne ne sera surpris de voir Emmanuel Macron, s’il est réélu, revenir sur cette mesure au lendemain de la présidentielle de 2022.
Khadim Mbaye / Les Inspirations ÉCO