Marchés publics : quand un pressing devient… fournisseur de médicaments !

L’attribution d’un marché public de médicaments à une entreprise de blanchisserie révèle des failles inquiétantes dans le système des appels d’offres au Maroc. Faute de vérification du secteur d’activité des soumissionnaires, le portail national des marchés publics est exposé à des dérives, notamment dans des secteurs sensibles comme la santé. Les pharmaciens tirent la sonnette d’alarme.
C’est une nouvelle qui aurait pu rester un détail administratif classé sans suite, mais dans les cercles de l’officine pharmaceutique, elle a fait l’effet d’un électrochoc. Une entreprise spécialisée dans le lavage et le repassage du linge a remporté un marché public de fourniture de médicaments au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Tanger. Le paradoxe est saisissant. La mécanique des marchés publics, censée garantir transparence, efficacité et égalité d’accès, vient de démontrer une faille dont les conséquences dépassent le simple scandale bureaucratique.
Faille structurelle, risque sanitaire
Derrière ce choix incongru, se cache une vulnérabilité systémique, le portail national des marchés publics, socle numérique des appels d’offres au Maroc, ne permet pas de vérifier le secteur d’activité des entreprises soumissionnaires. Une lacune qui n’a pas manqué de susciter la vive réaction des professionnels de santé, indignés par une dérive procédurale qui, en touchant au domaine pharmaceutique, menace directement les fondements de la santé publique.
Le 8 avril 2025, la Confédération des syndicats des pharmaciens du Maroc a saisi la présidence du Ministère public. Dans son signalement, elle documente une infraction grave. À peine informée, l’Agence nationale des médicaments s’est montrée réactive, exigeant du CHU la suspension immédiate de la livraison.
«Cette situation est incompréhensible surtout dans un secteur comme celui des médicaments qui reste très réglementé. Ce n’est pas un objet quelconque. De plus, les médicaments commandés sont des médicaments d’anesthésie. Une enquête devrait être diligentée pour détecter la faille. D’où l’objet de notre correspondance au ministre Faouzi Lekjaa pour revoir les démarches au niveau du portail des marchés publics, car c’est le système qui sélectionne les soumissionnaires, mais en principe le cahier des charges des médicaments est strict. Comment une blanchisserie a-t-elle pu soumissionner ?», s’indigne Mohamed Lahbabi, président de la CSPM.
Du côté de l’hôpital, un communiqué tente d’éteindre l’incendie en affirmant ne pas avoir eu connaissance de l’activité réelle de l’entreprise adjudicataire. Ce faisant, il pointe implicitement un vide fonctionnel dans la procédure d’instruction des offres. En clair, le système ne vérifie pas si une entreprise est légalement habilitée à opérer dans le secteur ciblé par le marché.
Appel à une réforme urgente
Le problème dépasse donc le cas isolé. Il met en lumière une déconnexion critique entre le système numérique de passation des marchés publics et les réalités juridiques des secteurs sensibles. Dans le cas des médicaments, cette faille équivaut à une porte ouverte sur le marché parallèle. Elle permet à des acteurs non agréés d’introduire des produits pharmaceutiques dans le circuit légal.
Or, la réglementation en vigueur est formelle. La loi 17.04, qui encadre strictement la fabrication, la distribution et la vente de médicaments au Maroc, interdit à tout acteur non autorisé de détenir, vendre ou distribuer des produits de santé.
L’attribution d’un marché de cette nature à une entreprise de blanchisserie ne constitue pas seulement une erreur administrative, c’est une entorse à la loi, et un danger pour la santé publique, selon les professionnels du secteur.
Cette affaire soulève une exigence de réforme. Comment un marché de médicaments, potentiellement vital pour des centaines de patients, peut-il être attribué à une entité sans qualifications, sans autorisations, et sans contrôle préalable ? La sécurisation de la commande publique ne peut plus se faire sans l’intégration systématique de filtres sectoriels et de mécanismes de validation juridique sur la plateforme de gestion des marchés.
Le cas de Tanger est une alerte. Une sonnette d’alarme tirée par un secteur qui n’en peut plus de constater l’érosion du cadre réglementaire. Loin de se limiter à un incident isolé, ce dysfonctionnement révèle un maillon faible de la gouvernance économique du pays. Et si la commande publique veut conserver sa crédibilité, elle devra prouver qu’elle sait faire la différence entre une blouse blanche et une blouse de pressing.
Mohamed Lahbabi
Président de la CSPM
«Cette situation est incompréhensible surtout dans un secteur comme celui des médicaments qui reste très réglementé. Ce n’est pas un objet quelconque. De plus, les médicaments commandés sont des médicaments d’anesthésie. Une enquête devrait être diligentée pour détecter la faille. D’où l’objet de notre correspondance au ministre Faouzi Lekjaa pour revoir les démarches au niveau du portail des marchés publics, car c’est le système qui sélectionne les soumissionnaires, mais en principe, le cahier des charges des médicaments est strict.»
Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO