Lutte contre la corruption : ce que propose l’instance nationale de la probité
Première grande sortie médiatique de Mohamed Bachir Rachdi en tant que président de l’Instance nationale de la probité. Il estime que la réalisation du changement escompté est tributaire de l’engagement de réformes profondes, intégrant la coopération et la complémentarité institutionnelles. L’instance vient de rendre publics son premier rapport annuel ainsi que d’autres rapports thématiques.
Le président de l’Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption (INPPLC), Mohamed Bachir Rachdi affiche la mine des grands jours, car son instance s’apprête à se doter de plusieurs pouvoirs attendus depuis des années. Le projet de loi sur l’INPPLC va en effet bientôt franchir le cap du Parlement, comme l’espéraient le gouvernement et les parlementaires qui entendent bien l’amender pour permettre à l’instance d’atteindre les objectifs escomptés dans l’exercice de ses fonctions. Parviendra-t-elle à mettre en œuvre l’ensemble de ses futures missions ? Si certains députés émettent des doutes quant à la capacité de l’instance à activer certaines de ses futures compétences, notamment celle ayant trait au pouvoir d’investigation, Mohamed Bachir Rachdi semble être confiant dans l’avenir. Dans un point de presse, tenu hier à distance, il a affiché sa ferme conviction que le Maroc pourrait s’inscrire dans une tendance baissière en matière de lutte contre la corruption, même si «le fléau ne pourra pas être combattu du jour au lendemain», pour reprendre son expression. Pour relever le défi, il mise, entre autres, sur l’approfondissement de la connaissance du phénomène de la corruption, dans l’objectif «d’obtenir une lecture la plus objective et la mieux ciblée de la situation de la corruption au Maroc et d’identifier les facteurs qui en impactent l’évolution».
Effets néfastes sur l’économie
Il faut dire que, jusque-là, les données manquent cruellement sur certaines questions cruciales, comme des données chiffrées et précises sur les effets négatifs de la corruption sur l’économie et son ampleur dans le secteur privé. Ainsi, un diagnostic détaillé de la situation et de l’évolution de la corruption serait en mesure d’améliorer le ciblage des politiques publiques et de définir les priorités en fonction des besoins et des impacts attendus, comme le souligne l’instance. Cette-ci, malgré le manque de moyens, s’est déjà lancée dans un effort de collecte de données et d’analyse. Elle vient de rendre publics son premier rapport annuel ainsi que neuf autres rapports thématiques. Ces documents pointent les insuffisances structurelles qui demeurent en dépit des efforts déployés au cours des dernières années. Pour agir concrètement sur le fléau, le Maroc est appelé à se lancer dans «une projection vers une nouvelle phase dans la lutte contre la corruption». Il s’agit, selon le président de l’INPPLC, d’une option impérative pour assurer un changement en profondeur, capable d’infléchir sa courbe de développement et de l’inscrire dans la durée, dans une tendance fortement baissière. Dans l’attente du renforcement de ses compétences, l’INPPLC émet déjà quelques propositions pour améliorer l’arsenal juridique et procédural. Elle insiste, à titre d’exemple, dans le cadre de la réflexion sur le nouveau modèle de développement, sur l’importance de la gouvernance et la lutte contre la corruption comme fondement incontournable du modèle de développement cible. Elle souligne aussi que le changement espéré est tributaire de l’aboutissement de la mise en conformité de l’arsenal législatif, avec l’esprit et l’énoncé du texte constitutionnel. L’INPPLC donne son avis sur plusieurs dossiers importants sur le plan législatif, comme le projet de loi sur la protection des agents publics qui attire l’attention sur les actes de corruption, les situations de conflits d’intérêts, le droit d’accès à l’information, le code d’éthique pour les salariés des administrations publiques, des collectivités locales et des établissements publics.
Toutes les parties impliquées
Par ailleurs, dans le cadre de conformité du système juridique et institutionnel avec les conventions internationales, l’instance a proposé un ensemble de recommandations relatives à la déclaration obligatoire de patrimoine, à l’encouragement de la dénonciation des actes de corruption, à la réforme du système de la fonction publique et à la poursuite de la réforme du système de blanchiment d’argent, sans négliger le renforcement de la transparence des partis politiques. En somme, l’instance plaide pour «une dynamique nationale forte, mobilisatrice et crédible ; fondée sur un changement profond et irréversible ; marquée par une tendance fortement baissière du fléau de la corruption au Maroc ; et matérialisée par des résultats et des impacts perceptibles par le citoyen, de nature à renforcer la confiance et la mobilisation de tous».
Absence d’une législation sur le transfert des dossiers des tribunaux vers la justice financière
Il n’existe pas, dans la législation marocaine, de dispositions légales pour assurer le transfert des dossiers des tribunaux vers la justice financière, contrairement à nombre de pays. Ainsi, il est recommandé de prévoir dans les textes de lois concernées, le transfert obligatoire aux juridictions financières des affaires portées devant les tribunaux ordinaires et qui s’avèrent relever des compétences de la Cour des comptes. Les affaires concernées peuvent être celles classées en raison de l’absence de preuves nécessaires dans les affaires pénales, et même celles ayant été jugées pénalement suite à l’existence de preuves tangibles, selon l’instance. Celle-ci insiste sur l’importance d’approfondir l’analyse et le débat à ce sujet, qui est de nature à soulever des problématiques d’ordre doctrinal ; notamment celles découlant d’interrogations quant aux garanties du respect des principes reconnus en matière de sanctions pénales, en particulier les principes de «la proportionnalité des sanctions» et de la «non-double peine ».
Jihane Gattioui / Les Inspirations Éco