Les juristes d’affaires, maîtres du jeu
Casablanca a accueilli, les 14 et 15 décembre, un symposium international autour du thème «Investissement en Afrique et sécurité juridique: les 30 problématiques stratégiques majeures». Il y a beaucoup été question du droit des affaires dans l’OHADA.
Le symposium international autour de l’«Investissement en Afrique et sécurité juridique : les 30 problématiques stratégiques majeures» a attiré du monde les 14 et 15 décembre à Casablanca. En effet, pas moins de 160 experts juristes et opérateurs économiques intéressés par le climat des affaires en Afrique -et particulièrement les opportunités d’investissement inhérentes à l’adhésion du Maroc à la CEDEAO et de l’OHADA- ont répondu présent. Au cœur des discussions: l’intérêt du rapprochement du Maroc et de l’OHADA, organisation intergouvernementale africaine d’intégration juridique. Des réponses ont été apportées, durant cette rencontre, à des questions aussi concrètes et stratégiques que celles concernant «le rôle des juristes dans les opérations d’investissement, la prise en compte des réalités juridiques locales, la libre circulation des capitaux ou encore le règlement des différends».
L’OHADA en guest-star
Représentée à cet événement par son secrétaire permanent, Dorothé Cossi Sossa, l’OHADA a tenu une place de premier rang en tant qu’acteur majeur de la sécurisation juridique des investissements sur le continent africain. À cette occasion, le secrétaire permanent a partagé avec les participants la quintessence des nouveaux textes adoptés par le Conseil des ministres de l’OHADA, le 23 novembre 2017 en matière d’arbitrage et de médiation. Dorothé Cossi Sossa en a surtout profité pour mettre en exergue les opportunités et les atouts du système juridique de l’OHADA, ainsi que les efforts déployés par l’organisation pour mettre à la disposition des acteurs économiques des outils toujours plus adaptés à la pratique contemporaine des affaires.
Le cas du Maroc
Le patron de l’OHADA est aussi longuement revenu sur les opportunités et défis liés à une éventuelle adhésion du Maroc à l’OHADA (www.leseco.ma). Dorothé Cossi Sossa a assuré qu’en sa qualité de membre de l’Union africaine, le royaume est qualifié automatiquement pour adhérer à l’organisation s’il le décide. Une adhésion fortement souhaitée par celle-ci, qui compte dans ses rangs 17 pays africains dont la Côte d’Ivoire, le Gabon et le Sénégal. En effet, le secrétaire permanent de l’OHADA a répété dans son intervention que les membres de l’organisation sont «très attentifs» à la présence du Maroc. Une présence qui ne posera aucun problème d’ordre technique, selon lui, chose qui dénote de certaines concordances entre le système juridique de l’OHADA et celui du Maroc.
Dorothé Cossi Sossa, Secrétaire permanent de l’OHADA
«Les autorités marocaines sont pour l’adhésion à l’OHADA»
Aussi bien les milieux économiques marocains que les autorités du royaume sont favorables à l’adhésion du Maroc à l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique (OHADA). C’est ce qu’indique son secrétaire permanent Dorothé Cossi Sossa, qui en était à sa 5e visite au Maroc.
Les Inspirations ÉCO : Est-ce qu’il existe des obstacles juridiques ou techniques à l’adhésion du Maroc à l’OHADA ?
Dorothé Cossi Sossa : Il n’y a aucun obstacle juridique qui empêche l’adhésion du Maroc à l’OHADA. L’article 53 du traité de l’OHADA prévoit que n’importe quel État membre de l’Union africaine peut adhérer à notre organisation. De ce point de vue, il n’y a pas d’obstacles ni problèmes.
L’OHADA est une organisation supranationale dont l’adhésion implique un transfert de souveraineté des États. Comment cette question se pose dans le cas du Maroc ?
Sur le plan juridique, comme je l’ai dit, il n’y a pas d’obstacles. Maintenant, adhérer à l’OHADA suppose un abandon de souveraineté. Est-ce que la classe politique marocaine est prête à cela ? C’est cela la question. Les gens sont-ils conscients qu’une fois que l’on adhère à l’OHADA, l’adoption des textes relève du Conseil des ministres de l’OHADA. Il faut donc abandonner la souveraineté au profit du Conseil des ministres de l’OHADA. Sur des textes d’une importance cardinale ayant trait au droit des affaires et des activités économiques, on ne passe plus par le Parlement national. En plus, nous avons la Cour commune de justice et d’arbitrage, qui est la seule compétente, à l’exclusion des cours suprêmes nationales pour interpréter et appliquer en dernier ressort, les textes de l’OHADA. Est-ce qu’un État est prêt pour cela ?
Qu’en pensent les autorités marocaines que vous avez rencontrées à plusieurs reprises ?
Quand je rencontre les milieux d’affaires marocains, ils sont très favorables. Il en est de même pour la plupart des autorités du pays, mais la décision n’est pas encore prise. Quand je discute avec les autorités marocaines, à tous les niveaux, je vois qu’elles sont prêtes à franchir le pas. Toutefois et encore une fois, il faut attendre la décision politique.
Si le Maroc adhère à l’OHADA, l’alignement de son arsenal juridique sur celui de votre organisation sera-t-il facile ?
Si le Maroc adhère, il appliquera le droit OHADA en ce qui concerne les affaires. Dès que vous adhérez à l’OHADA, aucun de vos textes nationaux ne peut aller contre le droit OHADA, comme c’est prévu à l’article 18 de notre traité. Tous les textes nationaux cèdent devant les textes communs de l’OHADA. Le caractère supranational de l’organisation fait que c’est le droit OHADA qui s’applique automatiquement.
Un timing est-il évoqué sur cette éventuelle adhésion ?
Vous savez, le temps des institutions n’est pas celui des être humains. Il n’y a pas lieu de pronostiquer un timing. Ma conviction, en tant que panafricaniste, est que cela arrivera. Rien n’empêchera aux Africains de se retrouver. Au niveau de l’OHADA, nous sommes en quête d’investisseurs et d’acteurs pour nos économies. Et on en trouve ici au Maroc. Le Maroc, c’est l’Afrique. Nous devons d’abord regarder nos frères et sœurs africains qui sont proches de nous avant d’aller ailleurs. Je suis donc totalement favorable à la poursuite des investissements marocains dans l’espace OHADA.
Que pensez-vous de la probable adhésion du Maroc à la CEDEAO ?
Je ne pense pas qu’il puisse y avoir un obstacle technique à l’adhésion du Maroc à la CEDEAO ou à l’OHADA. Le reste est plutôt lié à des considérations politiques. Nous sommes tous des États africains liés les uns aux autres. Le Maroc est très présent dans l’espace subsaharien. On ne voit pas, techniquement, ce qui poserait problème si le Maroc décide de rejoindre une des organisations d’intégration de cette zone. Je pense qu’il faut plutôt chercher les problèmes sur le plan politique.
Dans le cas de la CEDEAO par exemple, les réticences des milieux des affaires ouest-africains ne manquent pas ?
Je ne vois pas ce qui pourrait poser problème. Nous sommes dans un système libéral, à tendance libre-échangiste. Par définition, il faut ouvrir les marchés et permettre aux gens de trouver un domaine d’intervention assez large, une grande marge de manœuvre. Notre travail à nous est de faire en sorte qu’il y ait le maximum d’investisseurs possible. Si nous ouvrons notre marché et que le Maroc s’y joint, je ne pense que quelqu’un chez nous y trouverait des problèmes sur le plan purement technique. Encore une fois, les décisions d’adhésion, ce sont des décisions de haute politique.