Maroc

Le storytelling de Zefzafi

L’audition de Nasser Zefzafi était la plus attendue de celles des 54 accusés du procès du Hirak. Récit d’une première audience durant laquelle le Rifain a maîtrisé le temps et l’espace de la salle n°7 de la Cour d’appel de Casablanca.

Nasser Zefzafi, présenté comme le leader du Hirak, est sorti de l’anonymat en 2016 par l’intermédiaire de lives sur Facebook. Le 9 avril, face au juge Ali Torchi, il s’est livré à son exercice favori: une prise de parole de deux heures non-stop, devant un public acquis à sa cause.

À la fois humble et mégalomane
Pour cette audience, familles des détenus et observateurs internationaux ont fait le déplacement pour assister à cette comparution attendue depuis neuf mois. Le résident de la cellule individuelle n°27 à la prison locale de Oukacha a largement eu le temps pour préparer son passage chez le juge. Son récit est fait de bribes de vécu personnel et de séquences de l’histoire du Rif. Zefzafi se montre à la fois érudit et accessible, humble et mégalomane, nationaliste et fier de sa région, fondamentaliste et ouvert sur les courants de pensées, un «bricolage idéologique» pour séduire une Cour qui le poursuit pour de lourdes charges (voir encadré). Le détenu le plus en vue du royaume n’a pas apporté de réponses précises à ces accusations, préférant une audition au ton politique avec quelques approximations et des phrases courtes. Durant deux heures, il charge ses adversaires habituels: les partis politiques, «les symboles de la corruption» et «la presse jaune». À ces trois «ennemis» se sont ajoutés le parquet général et la direction de la prison locale de Casablanca. «J’ai vécu un choc», confie Zefzafi au juge. Et d’ajouter: «Quand je me suis présenté pour demander la main d’une jeune femme d’Al Hoceima, sa famille m’a refusé. J’ai aujourd’hui 39 ans, je n’ai ni travail, ni activité commerciale. Je n’arrive pas à aider ma famille». Le leader du Hirak a quitté l’école à la première année du Bac, puis a suivi des formations en informatique. «J’ai ouvert un magasin de vente et de réparation de matériel informatique. Mon commerce n’a pas fait long feu à cause des crédits. J’ai fermé boutique après quelques mois», relate-t-il. Ces obstacles professionnels se sont accentués à cause d’un environnement familial difficile. «Nous sommes trois frères sans travail. La retraite de mon père est de 1.050 DH. Sans l’aide de ma famille installée à l’étranger, nous n’aurions rien à manger», se plaint-il. Ce vécu aurait forgé la personnalité de Zefzafi, qui se révèle au grand public le soir du 28 octobre 2016, suite à la mort de Mohcine Fikri. Le citoyen Nasser interpelle Mohamed El Yacoubi, wali de la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima. Cette vidéo fait le buzz; Zefzafi entame par la suite plusieurs lives sur Facebook, qui connaissent un grand succès dans sa région.

Complot contre l’État
Une heure de comparution sans que le juge n’arrive à lire les chefs d’accusation pour lesquels est poursuivi Zefzafi. À chaque tentative du juge de poser une question, Zefzafi reprend subtilement la parole pour continuer son storytelling. Cette longue intervention est meublée de citations de Barghouti, Freud, Spinoza ou Marx et d’extraits du Coran. Pour répondre à l’accusation «d’atteinte à l’intégrité territoriale de l’État», Zefzafi répond par un argumentaire autour de l’histoire mouvementée du Rif. Le détenu revient sur les dates de la répression de 1958, les révoltes de 1982, 1984 et 1987. Il enchaîne avec l’évocation des douloureux moments du tremblement de 2004, puis la mort de cinq jeunes d’Al Hoceima retrouvés calcinés dans une agence bancaire le 20 février 2011. «L’accusation de séparatisme a toujours été un prétexte pour réprimer la région», avance Zefzafi. Ce dernier ose même parler «d’un complot contre la monarchie fomenté par des partis politiques, similaire à celui d’Oufkir en 1958». Pour répondre à l’accusation «d’atteinte à la sécurité intérieur de l’État», il choisit la posture de victime. Pour sa défense, il se montre monarchiste: Zefzafi cite les discours des rois Mohammed V et Mohammed VI en abondance. «Le roi a innocenté le Hirak», affirme-t-il. L’enquête de la Cour des comptes et les limogeages qui ont suivi seraient, selon Zefzafi, «des preuves suffisantes pour innocenter les 54 détenus». Après neuf mois de détention préventive, Zefzafi fait le bilan de cette expérience: «J’ai gagné une seule chose de cet épisode difficile: j’ai réalisé un tour en hélicoptère d’Al Hoceima à la BNPJ», s’amuse-t-il. La salle n°7 éclate de rire. Il est 20h30, Zefzafi demande la suspension de l’audition à cause de la fatigue, demande acceptée par le juge. C’est parti pour une audition de plusieurs jours…


Zefzafi risque la peine de mort

Zefzafi risque gros, et l’accusé est bien conscient de cette situation : «la guillotine n’est pas loin de mon cou». Le leader du Hirak est poursuivi pour «atteinte à la sûreté intérieure de l’État» et «incitation à l’atteinte de l’intégrité territoriale» (art. 201 et 206 du Code pénal). Ainsi que de huit délits : «Ébranler la fidélité que les citoyens doivent à l’État», «organisation de manifestations sur la voie publique sans une déclaration préalable», «atteinte à un corps constitué», «insulte aux agents de l’autorité», «propagande de nature à porter atteinte à l’intégrité territoriale», «incitation à commettre des crimes contre les forces de l’ordre lors de l’exercice de leurs fonctions, causant une effusion de sang», «désobéissance armée» et «d’empêcher une ou plusieurs personnes d’exercer un culte, ou d’assister à l’exercice de ce culte».


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