Le Maroc, un pays « solvable » ?
Après son retour remarqué sur le marché financier international l’année dernière, le Maroc se laisse à nouveau tenter en lançant un emprunt obligataire de 1 milliard d’euros en deux tranches. Cette solution n’est-elle pas déployée avec du retard au vu de la dégradation de la situation ? Analyse.
La dette du Maroc s’alourdit. Confronté à une crise sans précédent, marquée par la dégradation de la situation des ménages, le chômage et la fermeture de milliers d’entreprises sur fond de pandémie de Covid-19, le gouvernement a dû se résoudre à un choix plutôt tentant : s’endetter une nouvelle fois sur le marché financier international. «Cette émission (…) est intervenue dans un contexte difficile marqué par des incertitudes liées à l’évolution de la pandémie du nouveau coronavirus (Covid-19) et à son impact sur la qualité du crédit des émetteurs», se défend l’Exécutif. Ainsi, avec le feu vert législatif, le pays a lancé un emprunt obligataire jeudi 24 septembre.
«Un franc succès»
Et le résultat des courses a été «remarquable», se félicite le département de Mohamed Benchaâboun. En effet, l’opération s’est soldée par la «collecte» d’un montant estimé à un milliard d’euros, en deux tranches de 500 millions d’euros chacune, souligne dans un communiqué le ministère de l’Économie, des finances et de la réforme de l’administration. Dans le détail, la première tranche, d’une maturité de 5 ans et demi, est assortie d’un prix de 99,374% et d’un taux de rendement de 1,495%, soit un coupon de 1,375%, alors que la seconde tranche, d’une maturité de 10 ans, est assortie d’un prix de 98,434% et d’un taux de rendement de 2,176%, soit un coupon de 2%, précise la même source. Cet «engouement» des investisseurs internationaux, avec un carnet d’ordres dépassant les «2,5 milliards d’euros émanant de 197 investisseurs», confirme la «confiance dont jouit le Maroc auprès des investisseurs obligataires internationaux et des agences de notation», est-il expliqué par le département de l’Économie et des finances.
Le ministère met en exergue «la stabilité politique dont jouit le royaume et la résilience de son cadre macroéconomique». Des qualités louées par les agences de notation S&P Global Ratings et Fitch Ratings. À cela, s’ajoute «la portée des réformes menées sous la conduite éclairée de Sa Majesté le Roi, mettant le Maroc sur le sentier du développement pérenne et de construction d’un État de Droit, démocratique, moderne et ouvert sur le monde».
Un timing remis en question
Mais ce «NetRoadshow» mené par le ministre de l’Économie, des finances et de la réforme de l’administration et les équipes de la Direction du Trésor et des finances extérieures (DTFE) auprès de la communauté des investisseurs internationaux n’est-t-il pas arrivé un peu trop tard au vu de la dégradation de la situation ? «Non», estime Mostapha El Jaï, docteur en finance et économiste. Selon le spécialiste, le niveau d’endettement du Maroc actuel exige beaucoup de précautions et de prudence, validant ainsi le timing choisi par l’argentier du pays. Un avis que ne partage cependant pas l’Alliance des économistes istiqlaliens qui reproche au ministre des Finances sa «léthargie» et son «refus» de la main tendue des institutions internationales. «Au moment même où le FMI appelle à intensifier le soutien à la relance et propose de nouvelles lignes de financement et des échéances de remboursement soutenables, le gouvernement s’en tient à une logique qui ne permet ni de dépasser la crise, ni de préserver les équilibres des comptes publics», fustigent les économistes proches de l’opposition. Notons tout de même que le Maroc a procédé, début avril, à un tirage sur la Ligne de précaution et de liquidité (LPL) mise à sa disposition par le FMI, pour un montant de près de 3 milliards de dollars, remboursable sur une période de cinq ans.
Retour en force sur le marché financier international
Par ailleurs, il faut rappeler que l’endettement extérieur du Maroc a été aggravé de 20,14 MMDH, tandis que l’endettement intérieur s’est alourdi de 43,536 MMDH au cours des huit premiers mois de l’année. À partir de ce constat, d’autres leviers de financement, un tour de vis fiscal par exemple, ne devraient-ils pas être envisagés ? «Ce n’est pas évident dans une conjoncture comme celle que nous vivons», rétorque El Jaï, pour qui la pression fiscale est déjà très élevée au Maroc. Néanmoins, poursuit notre interlocuteur, le gouvernement pourrait réfléchir à renforcer les partenariats public-privé pour alléger les engagements de l’État. L’économiste souligne par ailleurs que le vrai débat se situe au niveau «des cibles» du gouvernement, lesquelles devraient bénéficier du milliard d’euros en question. «Si l’endettement est un moindre mal, il faut cependant injecter l’argent emprunté dans les secteurs prioritaires, sociaux notamment, à savoir la santé et l’éducation pour le cas du Maroc, au vu des défaillances auxquelles ils sont confrontés», recommande El Jaï, préconisant dans la foulée un appui aux PME.
Notons que cette «chasse à l’argent» était également l’occasion «de faire part aux investisseurs des mesures économiques et sociales prises par notre pays pour limiter l’impact des effets de la crise sanitaire et impulser la relance de l’économie marocaine», se défend encore le gouvernement. Enfin, cette émission, réalisée sous format 144A/RegS afin de permettre une large participation des investisseurs à travers le monde, est la première du genre cette année. Le dernier emprunt obligataire du Maroc remonte au mois de novembre 2019. Marqué par le retour du royaume sur le marché financier international après une absence de cinq ans, celui-ci a connu «un succès remarquable auprès des investisseurs internationaux». Outre le rendement qui constitue «le plus bas niveau jamais obtenu par le Maroc» sur le marché international, cette émission a bénéficié du carnet d’ordres le plus important par sa taille pour une transaction en euros du Maroc. Il a dépassé 5,3 milliards d’euros au cours de la transaction avec plus de 285 investisseurs impliqués.
Khadim Mbaye / Les Inspirations Éco